Le bourreau de mes thunes (4)

Le 9 septembre 2010

La dévouée Ginette se découvre des talents de maître-chanteur, au grand désarroi de l'amant de Madame. Zalope ! Suite et fin (provisoire) de notre politique-friction.

Image tOad pour OWNI /-)

- Asseyez-vous, ze vous en prie, Zinette. Bien, nous entrons en campagne, comme vous le savez, avec tout ce que cela comporte en terme de soins et de relations, commença le stratège. Et quand ze parle de soins, vous me comprenez, vous qui êtes de la partie ! rigola-t-il sans que l’infirmière ne moufte. Donc, nous avons tout d’abord, et pour bien commencer ce petit marathon, deux remerciements à effectuer : l’un au ministre des Finances pour les raisons que vous connaissez, l’autre au secrétaire zénéral du ZéPM puisque, ma foi, il faut bien imprimer des affiches… entre autres… Et puis samedi prochain, on fera une petite avance au président, ça lui fera plaisir. Ça lui donnera du cœur à l’ouvraze, bien que sa réélection ne fasse aucun doute. Conclusion : en premier lieu, Bercy, casier habituel, vous connaissez le chemin. Petit deux, Au Tord-Boyaux, le patron s’appelle Bruno, même topo. Tenez.

Du Boufabouf déposa devant Ginette deux enveloppes vides aux noms des intéressés. Comme elle l’avait fait des centaines de fois, l’infirmière irait ouvrir le coffre, remplirait les dites enveloppes et les livrerait aux adresses ci-indiquées. Simple, efficace, la routine. Du Bouftoidlakeujmimeth avait une totale confiance en Ginette Caoutchou. Tu parles, depuis l’temps, elle avait fait ses preuves.

- Non, fit simplement l’employée modèle.

- Comment ça, non ? interrogea du Bouftefeux, incrédule.

- Non. C’est fini du Bouffin, asséna-t-elle, les bras croisés dans le fauteuil du défunt mari.

- Ma petite Zinette, si c’est une plaisanterie, elle n’est pas très drôle, tenta du Bouffillon.

- Je n’ai absolument pas l’intention d’être drôle. Une enveloppe est déjà prête et en lieu sûr.

- Une env’… hein ?… Deux enveloppes, ze vous dis ! Enfin, Zinette, cessez, cette scène est ridicule, protesta du Boufner en contenant difficilement sa colère de petit roquet mal dégrossi.

Ginette, se sentant soudain plus forte et peut-être même plus désirable (car le charme, n’est-ce pas, c’est une question de détente), quitta le fauteuil, s’avança vers le bureau que du Boufkhan s’était approprié d’autorité, appuya ses deux mains sur le chêne verni et, bras écartés, fusilla du regard l’as de la gouachette.

- Écoutez-moi bien, du Bouffin. Il n’y a plus qu’une enveloppe. Le lieu sûr, c’est un coffre. Il se trouve à deux pas du bureau d’un journaliste tout ce qu’il y a de pointilleux si vous voyez ce que je veux dire. Il attend mon signal. S’il ouvre, je vous dis pas le merdier.

- Quoi, quel merdier ? demanda l’autre, les yeux écarquillés.

- Dans l’enveloppe, il y a tout ce qu’il faut pour faire sauter la machine. D’abord, les photocopies des derniers chèques que Madame vous a signés. Vous vous souvenez des montants ? Je me demande ce que vous pourriez bien faire de tout ce pognon, vous qui avez déjà tout ! Puis également la copie du dernier versement effectué sur le compte personnel du président de la République.

- Mais enfin, bafouilla le barbouilleur.

- Ensuite, une série d’enregistrements audio de toutes les réunions auxquelles vous avez participé en tant que pseudo conseiller financier de Pharmarros. On vous y entend, bien sûr, mais accompagné de vos acolytes, le ministre des Finances, le patron de la banque centrale, le ministre de l’Industrie et celui de l’Information, quelques artistes aussi, des collectionneurs de tableaux, et le président en personne. Des heures et des heures de discutailleries autour d’une idée de base assez simple : on a les couilles en or, comment les garder au chaud ? Et tout ça, ça intéresse vraiment beaucoup le journaliste dont je parlais à l’instant. Croyez-moi, les preuves sont accablantes. Alors voilà ce que vous allez faire…

- Mais t’es la pire des salopes ! lâcha du Boufozy en levant son popotin.

- LA FERME ! Abruti ! hurla la grande Ginette. Assis ! Je n’ai qu’un geste à faire, un seul. Et tu te retrouves en taule jusqu’à l’âge de César Franck qu’avait l’âge de ses artères.

- Keskèdi ? fit du Boufesson complètement liquéfié, statufié, anéanti, en plein cauchemar.

- Comme le dit le philosophe Axel Honneth : « Ce qui doit former le cœur même de la normalité d’une société, ce sont les conditions qui garantissent aux membres de cette société une forme inaltérée de réalisation de soi. » Or, toi, tes alliés, tes clients, tes souteneurs, tes relations et tous ceux qui gravitent autour de cette sphère nauséabonde du pouvoir industrialo-étatique, vous formez le cœur même d’un régime anormal d’une société pressurisée et vous êtes, vous-mêmes, les conditions qui garantissent aux membres de ce régime une forme inaltérée d’enrichissement de soi. Alors, moi, si tu permets, je me fais un petit plaisir et puis je disparais. J’ai besoin d’eau claire. Voilà ta mission. Petit un : tu te démerdes pour récupérer le fric versé récemment sur le compte du Grand Chef de la France. C’est assez simple, vous vous connaissez bien, il te rembourse et c’est dans la poche. Il devra quand même me signer ce petit reçu, pour preuve de sa bonne volonté. Dis-lui bien que lui aussi a les deux pieds dans le caca. Petit deux : tu ajoutes à cette somme les deux cents millions que tu as piqué à Madame le mois dernier. Petit trois : tu procèdes au versement de ce pactole sur le compte suivant. En contrepartie, je mets le feu à l’enveloppe.

Ginette, frétillante d’une joie qu’elle peinait à contenir, déposa sous le nez de du Boufgarde un morceau de papier sur lequel étaient inscrits un numéro de compte ainsi que les coordonnées de son détenteur. Le chanteur lut.

- 243 815 GDV 2010, Association Nationale des Gens du Voyage ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?

- Fais pas ta mauvaise tête, allez, on leur doit bien ça.

- Et comment vous voulez que z’aille reprendre de l’arzent dézà dépensé ? C’est impossible ! Et puis z’aurais l’air de quoi à demander ça au président ?

- Et tu auras l’air de quoi quand l’affaire fera la une de tous les canards ? « Du Bouffin, le bouffeur de fortune », « Du Bouffin fait exploser le gouvernement », « La République tremble à cause de du Bouffin »…etc.

- Mais vous êtes totalement zivrée, Zinette ! Ze vous en prie, revenez à la raison ! Ze peux vous aidez, ze peux…

- Tss tss, pas de ça entre nous, Jean-Édouard. Tu as quarante-huit heures chrono. Ensuite, c’est le merdier.

Du Bouffeurth regarda Ginette Caoutchou s’éloigner. À l’intérieur de l’homme meurtri, menacé d’humiliation, de ruine, d’excommunication, d’exil, se mélangeaient de multiples sentiments. Honte, rage, perdition, peur, incrédulité, instinct de survie.

- Et qu’est-ce que z’en ai à foutre moi de ces putains de manouches et de leurs caravanes de MERDE !! paniqua-t-il.

Mais Ginette était déjà loin. Quarante-huit heures chrono.

Du Bouflapoussière rentra chez lui, épuisé, tremblant, tel un loup blessé par le destin, poils au chien. Il s’affala sur son Chesterfield outremer et s’endormit dans les bras de Morflé.

- Monsieur le Président veuillez m’excuser de vous déranzer pendant la sieste mais vous savez les cent cinquante mille euros de Madame de Châlong c’est-à-dire est-ce que vous pourriez parce qu’il y a eu une erreur c’est bête et donc si vous voulez bien à charze de revanche bien sûr parce que sinon c’est le merdier.

- Qu’est-ce tu viens m’faire chier avec tes réclamations casse-toi pauv’ con tu vois pas que j’suis en campagne ?

- Si tout à fait Monsieur le Président mais c’est zuste une formalité ze vous rembourse dès demain promis.

- Donner c’est donner tête de nœud. Sbires, emparez-vous de ce chien galeux et pendez-le à un croc de boucher !

- Oh non Monsieur le Président ze vous en supplie, lâchez-moi, lâchez-moi ! Au secours AAAAAAAHH !

Du Bouftèmor se réveilla en sursaut, trempé. Deux cents cinquante pulsations minute, déshydratation avancée, hallucinations dignes d’un shoot au magic mushroom, tremblements, angoisses, paniques, l’auteur de Ma Vie, Mode de Finance, de l’écume aux commissures, était dans de sales draps, il avait la tronche du triquard moyen, sans horizon, sans issue, grillé, cuit, roussi, une vrai merguez.

Telle une bête traquée, dans un gémissement sourd, il tenta de se redresser, dégobilla une bouchée de turbot sauce aigrette sur son Chesterfield à cent mille balles et se rétama comme une bouse sur son tapis Stepevi à motifs japonais. Il parvint à se positionner à quatre pattes puis, centimètre par centimètre, se dirigea vers la salle de bain où, sans en avoir vraiment conscience, sans avoir peser le pour et le contre, sans avoir posé les choses bien à plat, il trouverait bien le moyen de se soustraire à la persécution des hommes. Et des femmes.

Il atteignit le carrelage frais, s’agrippa au lavabo, tira sur le tiroir de la console, farfouilla à l’aveuglette et s’empara d’une boîte de Pentothal, le célèbre et puissant anesthésique. Il ouvrit la boîte avec les dents. AArgh ! Elle était vide ! Ses muscles se raidirent, il hurla. La folie était là, envahissante, dense, sans limite. Son mode de locomotion animal lui permit néanmoins d’atteindre la cuisine. Et là, sans réfléchir une seule seconde, comme téléguidé par une force étrangère, il se saisit, en jetant sa main sur la table, d’une baguette de pain rassis Tradition, s’adossa à la cuisinière Falcon Classic Deluxe et, lentement, par à-coups, méthodiquement, il s’enfonça la baguette dans la gorge, un quart, la demie, les trois quarts, jusqu’à ce que mort s’ensuive, espérait-il. Les hommes du SAMU trouvèrent le milliardaire enfariné et inconscient, le croûton au bord des lèvres.
Le lendemain, le journaliste facétieux d’un journal humoristique osa le titre suivant :

« À défaut de Pentothal, Jean-Édouard du Bouffin tente de se suicider au pain complet »

Et alors là, ce fut un merdier, mais alors un merdier ! Rarement merdier avait été aussi merdique. Il y eut du sang, de la chique et du mollard.

Quant à Ginette Caoutchou, elle posa ses valises dans un petit mas cévenols, au bord du Galeizon, rivière limpide où, enfin, elle s’alla baigner toute nue.

Fin de la saison 1, la prochaine à venir…

Épisode 1, épisode 2 et épisode 3

Olivier Bordaçarre est publié aux éditions Fayard

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