OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Loïc Dachary, compagnon du Tour du Monde du Libre http://owni.fr/2011/05/29/loic-dachary-compagnon-du-tour-du-monde-du-libre/ http://owni.fr/2011/05/29/loic-dachary-compagnon-du-tour-du-monde-du-libre/#comments Sun, 29 May 2011 08:26:20 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=64740

De son diplôme en 1986, dans la première promotion de l’EPITA, à sa rencontre avec Stallman, en passant par la fondation de la FSF France (Free Software Foundation) et le poker, Loïc Dachary poursuit une quête, celle de suivre l’étoile du logiciel libre. C’est un voyageur impénitent à la rencontre des autres qui forge son savoir-faire sur l’expérience. Loïc Dachary se définit lui-même par comparaison avec les Compagnons du Tour de France. Lui, il fait le tour d’un monde plus vaste encore, le monde du Libre. Suivons pas à pas ses étapes.

L’apprenti

S’il y avait une date fondatrice à la vie de Loïc Dachary, elle se situerait quelque part en 1987, l’année où il a découvert le logiciel libre. C’est une révélation pour ce diplômé d’un BTS informatique un an avant, de la première promotion de l’EPITA,  quand l’école était encore dans une cave du 18° arrondissement.

Quand t’es gamin on te martèle la tête avec le fait qu’il faut que tu partages tes jouets. Cela veut dire qu’on n’est pas câblé égoïste, on est éduqué partageur. Je trouve formidable de pouvoir vivre avec le logiciel libre et en vivre, en partageant.

L’informatique n’est jamais qu’un moyen supplémentaire de communiquer, ce dont on a toujours besoin. Il lit de la science-fiction, Hypérion, par exemple, ou du James Ellroy. Il fait ses armes en étant « chanceux » de jamais s’être mis en position d’utiliser un produit Microsoft. D’abord sous Unix, puis sous GNU/ Linux, il apprend dans les années 90 à fabriquer du logiciel libre, son métier « d’artisan du logiciel ». C’est la pratique qui le guide, en lisant et en écrivant du code, il apprend lentement car il avoue ne pas être très rapide.

Au début des années 2000, il prend la décision consciente de ne plus jamais utiliser de logiciel propriétaire, ce que l’expansion du logiciel libre permet alors. Plusieurs raisons dirigent ce choix. D’abord le manque d’intérêt :

C’est hyper rare qu’il se passe quelque chose dans le propriétaire qui n’existe pas ailleurs.

Ensuite parce qu’il a conscience que le propriétaire n’est pas bénéfique à l’humanité, parce que ce monde ne prend pas en compte une valeur fondamentale à ses yeux : le partage. « L’humanité existe dans le monde numérique maintenant, on marche sur un sol numérique dans l’univers de la pensée. Et ce socle, ce substrat de l’univers dans lequel on pense, on éduque, on évolue, il ne peut pas être propriétaire, cela n’aurait pas de sens. Le logiciel c’est de la connaissance. Il serait inimaginable que le théorème de Pythagore soit breveté. En Europe on a cette sagesse là d’avoir interdit cela. L’idée du droit d’auteur, par exemple, c’est que pour stimuler la création que des portions de l’immatériel sont octroyées temporairement et de façon exclusive. Mais les idées, les méthodes intellectuelles, jamais ! L’humanité serait infiniment plus riche si le logiciel rentrait dans cette catégorie. » Pour que le logiciel soit libre et reconnu comme tel, Loïc Dachary a milité et tenter d’être prosélyte.

Il rencontre Stallman lors d’une conférence qu’il organise à Paris VIII. Il fonde la FSF France. Les piliers de l’activité de la FSF France sont d’une part le rappel à l’ordre des industriels indélicats, et notamment les opérateurs de téléphonie, qui volent du logiciel libre, ce qui fait sourire Loic : « Je ne parlerai pas du ridicule qu’il y a à voler quelque chose dont tu disposes librement. » ; et d’autre part, la mise à disposition d’infrastructures pour que des projets libres puissent se développer.  Il lancera d’autres initiatives comme EUCD.info, parent tutélaire de la Quadrature du Net.

En écrivant pour eucd.info, il découvrira Victor Hugo, se fabrique une philosophie personnelle, mais se rend compte de son peu d’appétence pour le prosélytisme. La barrière des codes de communication lui semble parfois insurmontable.  « On a plus une absence de culture qu’un trop-plein. Sans culture, on fait les choses de façon incomplète, on se bat avec les armes qu’on a et on réussit moins bien. Mais si on prend conscience de ses limites, on ne le fait pas. « Il renonce à convaincre mais appelle à publier pour communiquer : «  l’avantage de publier du logiciel libre, c’est que c’est disponible et donc un communicant peut s’en emparer et gloser dessus, transmettre le message. »

Richard Stallman est son Jésus.

La formation philosophique

Au cours de ces années, Loïc Dachary a fondé des convictions, une philosophie qui sous-tend son savoir-faire. Le logiciel libre est une philosophie personnelle, qui ne correspond pas aux philosophies construites existantes, parce qu’elle est issue d’une révolution des usages, de la pensée. Pour lui, c’est une philosophie de la transcendance : « le truc qui s’en rapproche le plus c’est la construction des mathématiques. Mais le logiciel libre parle plus aux gens. C’est un édifice intellectuel d’une dimension qui te dépassera toujours. » C’est un artisan du logiciel libre. « Il faut plein d’hommes pour faire un logiciel, mais pas une chaine, des artisans. Cela ressemble à l’ébénisterie, une activité individuelle créative qu’on insère, créative individuellement mais qui existe indépendamment de soi. C’est multiforme, cela n’a pas d’équivalent dans le monde des objets. C’est quelque chose qui existe à la fois une seule fois et un million de fois et qui au même moment se transforme. Cela explose et se réconcilie en même temps. Le plus difficile c’est de s’adapter mentalement à l’idée que malgré le fait que cela ne soit pas centralisé, c’est possible. » C’est un trésor pour l’humanité, Loïc Dachary en est convaincu.

J’ai fortement le sentiment d’être au cœur, d’appartenir à une foule, à un pays. Je suis dans une bulle, le logiciel libre, qui ne sent pas le renfermé, dans laquelle il y a des butineurs, des passants, des artisans. À aucun moment je ne sens l’enfermement.

Le grand œuvre

Il y a 8 ans de cela, Loïc Dachary est à maturité. Il entreprend son grand œuvre du logiciel libre : un jeu de poker.  Pourquoi le poker ? Parce que c’est un jeu fabuleux, unique. Il en existe des centaines de variantes, comme le poker chinois, qui se joue à 13 cartes. Parce que le jeu est la vie en miniature et que le poker recèle toute l’agressivité et l’animalité humaine. Parce que le poker est le seul jeu dont l’argent fait partie intégrante, le seul qui prend en compte la rareté du monde réel pour fondement ludique, ce qui crée un business model efficace. Mais surtout parce que techniquement les possibilités sont immenses. En effet, le poker est un jeu d’agression que l’on ne peut pas automatiser : « l’intelligence artificielle, dans un jeu de poker, au-delà du face à face, le commun des mortels lui claque le beignet. » Un défi que Loic Dachary va mener pendant 7 ans à bien et qui finalement l’a fait se poser la seule question utile : « qu’est ce qu’il reste à l’humain lorsque l’intelligence artificielle n’y arrive pas ? »

Le Maitre compagnon du Libre

Depuis janvier, Loïc Dachary est un journalier du logiciel libre. « J’ai fait mon grand œuvre. Mais sinon je suis à l’intérieur d’un grand œuvre encore plus immense qui est l’ensemble du logiciel libre. Je me promène dans tous les projets et c’est mon univers, c’est dans ma machine et je suis dedans comme chez moi puisque c’est à tout le monde. »

Son projet est de continuer à voyage et tenir un journal de ses voyages. Il le verrait bien écrit dans le style de Johann Sfar, illustré de photos, pour « raconter son sentiment d’être à l’aube des temps ». Mais pour l’instant il se contente d’un journal de sa journée de travail.  Son métier de journalier du Libre répond à un besoin : « celui d être socialement utile dans un contexte qui a un sens philosophique à long terme, qui est de consolider ce trésor de l’humanité qu’est le logiciel libre. »

Alors il va de projet en projet, parle à des  gens, se sent accueilli partout où il passe. « L’esprit du Libre dans l’abstrait, c’est ce que je vis dans mon quotidien. J’arrive sur un projet en ayant le sentiment profond d’arriver chez quelqu’un. Je lui dis que je suis à lui pour la journée, que je suis avec lui. C’est comme dans une ferme si tu ne sais pas tenir une charrue, ce n’est pas pour autant qu’on ne va pas te mettre à faire la vaisselle. Moi, je sais coder, mais il n’y a pas de niveau de contribution, de niveau de participation qui n’existe pas dans le logiciel libre. À un niveau quelconque si tu utilises, tu contribues. »

Article initialement publié sur Silicon Maniacs. Retrouvez la série de portraits “Le web mis a nu” sur SiliconManiacs

Crédits Photo- Le Web Mis à Nu : Claire Dorn et Flickr PaternitéPartage selon les Conditions Initiales gisleh


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La Carte et le Territoire: un roman nabien http://owni.fr/2010/12/12/la-carte-et-le-territoire-un-roman-nabien/ http://owni.fr/2010/12/12/la-carte-et-le-territoire-un-roman-nabien/#comments Sun, 12 Dec 2010 13:43:30 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=38995

La fameuse cour des grands, elle a une adresse : c’est notre 103, Michel. C’est chez nous !)

À ce numéro de la rue de la Convention, deux écrivains se sont fait face. Ils y sont nés à l’écriture et y ont connu leurs premières publications. Dans un des immeubles de la cour, celui qui en cette rentrée est unanimement proclamé « plus grand auteur français » pour son roman La Carte et le Territoire : Michel Houellebecq, alors poète. Dans l’autre, l’écrivain qui, plus tôt en 2010, a « anti-édité » son vingt-huitième livre, L’homme qui arrêta d’écrire : Marc-Édouard Nabe, Byzantin aujourd’hui ostracisé. Le hasard se montrait une nouvelle fois excellent romancier en rapprochant ainsi deux écrivains si différents – en apparence.

Lorsqu’en 1985 Nabe éclot avec Au régal des vermines, Michel Houellebecq n’est que le voisin de palier d’un trublion de la littérature. La reconnaissance littéraire semble garantie au Marseillais jazzy tandis que l’ingénieur agronome poétise sa dépression. Mais, comme Jed Martin, protagoniste de La Carte et le Territoire, Michel Houellebecq n’était pas à l’abri d’un succès. En 1998, Les Particules élémentaires le fera exploser sur la scène littéraire française. En rupture avec l’avant-garde, assumant son destin d’écrivain en réaction, il rencontrera le succès au croisement entre un mouvement de création et un mouvement historique, phénomène où, comme pour Jed Martin, le hasard – encore lui – aura sa part. « C’est sans doute avec une pièce d’Oscar Roty que le Destin a joué notre sort : “Pile, c’est Michel qui aura du succès. Face, c’est Marc-Édouard…” » écrira Nabe.
Cette inversion du destin semble maintenir le face à face entre les deux auteurs. Du reste, ils subissent le même sort sur le ring de la réception critique. Ni intellectuels ni populaires, le disciple de Schopenhauer et l’amoureux de Céline ne rencontrent pas toujours la faveur de la presse, sans doute par excès de froideur pour l’un et de passion haineuse pour l’autre. Ils partagent toutefois la même vocation : écrire. Mais il ne s’agit pas plus de divertir que d’enseigner ; écrire, chez eux, répond à un même noyau de nécessité, à une même obligation de contredire le réel par l’œuvre. « Écrire un poème n’est pas un travail mais une charge » dira Houellebecq.

Tout devrait au fond pouvoir se transformer en un livre unique, que l’on écrirait jusqu’aux approches de la mort, ça me paraît une manière de vivre raisonnable et heureuse et peut-être même envisageable en pratique.

Alain Zannini montrera qu’il approuve cette vision en faisant de sa vie son grand œuvre, dans son journal intime d’abord. Houellebecq, lui, choisira de s’effacer derrière ses personnages et construira son œuvre comme « un gigantesque “en fait” ». Deux écrivains, deux démarches, deux immeubles, une grande cour de récréation où la rivalité peut éclater, l’un traitant l’autre de « pathétique », l’autre ayant déjà affirmé « tu es la caricature de ce que j’aurais voulu être : une idole de la subversion » . Mais peut-être cette rivalité n’est-elle que l’aboutissement d’une complémentarité contrariée.

Dans la cour des grands, un même projet : rendre compte de la modernité

Au lieu d’essayer de sauver ce qu’il y a encore d’humain dans ce monde, comme le font les cons dans mon genre, il valait mieux se contenter de montrer la déshumanisation de ce même monde comme tu le fais, toi l’intelligent. Tu as su synthétiser l’époque : la médiocrité et l’ennui de ce début de siècle, tu les as parfaitement transposés

Dans une tradition balzacienne, La Carte et le Territoire témoigne des valeurs et problématiques de son époque. Malgré la légère anticipation que Houellebecq s’autorise, on y reconnaît un réel commun à tous. Le style d’ingénieur de son auteur mêle logique et poésie pour transmettre le sentiment d’échec de la civilisation, de fatalité dans la chute mortelle que ressent l’Europe. Plus profondément encore, Houellebecq propose une catharsis de l’individualisme de ce début de siècle. L’homme qui arrêta d’écrire est lui aussi un témoin. Nabe y explore les tendances qui semblent transformer notre monde. L’ennui est remplacé par le dégoût, la civilisation par la société. Au fil de ses errances dans Paris, Nabe balaye la modernité en utilisant l’anecdote comme catalyseur de sa volonté de transcendance.

Le fatalisme du premier et la rage de l’autre ne sont vérité que parce qu’ils sont sentimentaux ; ils n’ont de valeur que dans leur désir de décloisonner la souffrance. En mettant cette souffrance au centre de leur œuvre, ils participent tous deux à un retour au monde, mais un monde auquel ils ne trouvent aucune grâce, qui leur apparaît non pas tant artificiel qu’artificieux, ce qui est pire.

Car l’obsession de la transcendance qu’ils ont en commun se cristallise dans leur vision de l’art. La Carte et le Territoire comme L’homme qui arrêta d’écrire sont des réflexions sur l’artefact qu’est la culture face à l’artifice sacré de l’art. Le titre même du dernier opus houellebecquien est issu d’un concept scientifique qui permet la compréhension du monde par la vision des échelles et donc des gradations : l’évidence réelle du territoire, la beauté sublimée de la carte. « La culture vide l’art de son sang » dit Nabe. Il partage en cela le constat de son ancien voisin, la colère en plus. Dans un monde où le commerce crée la valeur, la distinction entre artiste et « cultureux » ne se fait plus. Tout vaut rien, et c’est ainsi que les gens désespèrent. Morale de ce fonctionnement délétère : l’artiste est maudit. Houellebecq et Nabe le vivent ainsi : « Tu sais bien, écrit le second, que si un grand artiste avait du succès de son vivant en plus de son talent, ce serait insupportable pour la société. Moi, je pense qu’il y a une sorte de connivence secrète entre l’artiste et la société de son temps qui permet à chacun de tenir son rôle : le premier dans celui du héros christo-suicidaire saignant dans le mépris de son époque, et l’autre dans celui du gros animal froid tapi dans l’ombre de l’avenir, en se pourléchant les babines. »

Finalement, la morale est plus haute que l’art. Houellebecq et Nabe sont des moralistes christo-punk. Mais leur projet, qui est de remettre de l’ordre dans les gradations de valeurs et de sentiments, s’efface devant leurs personnages. Houellebecq utilise des protagonistes statistiquement dans la moyenne, soumis à la fatalité et au hasard. L’espoir, le mouvement ne sont pas de mise pour eux, seul l’échec permet la révélation des sentiments ; dans leur ennui et leur médiocrité, ils nous ressemblent sans nous dépasser ; ils nous incarnent. Nabe a choisi d’intervenir lui-même dans le roman. Chaque personnage croisé lors de sa période de non-écriture est la caricature d’un réel fatigué de lui-même où l’auteur semble se débattre furieusement. Ces personnages sont nous, mais leur auteur est loin de nous. Utilisant tous deux le dialogue avec les acteurs du contemporain comme révélateur, Houellebecq et Nabe tendent à leur lecteur le miroir d’une littérature de constat pour l’un et de combat pour l’autre.

Les jeux de miroir de l’écrivain

« On ne se tue jamais, cher ami, c’est toujours l’autre qu’on supprime » écrit Nabe. Dans La Carte et le Territoire, Houellebecq se tue, utilisant pour la première fois l’écriture métafictive. Ce faisant, il s’autopsie en tant qu’écrivain et personnage public. Dans une interview donnée à GQ, sur la blessure engendrée par certains des livres qui lui ont été consacrés, il déclare : « En fait ils ne savaient rien du tout : seules certaines femmes savaient certaines choses, mais elles n’ont jamais parlé. »

L’enquête sur la mort de Michel Houellebecq personnage, fait apparaître le même constat. Son ennui, sa difficulté d’écrire, sa passion pour la charcuterie, ses mycoses, tout est vrai et pourtant tout est faux. Il se décrit comme il se vit, incompris et comprenant. Il sait être un produit, un appel d’offre moderne de la littérature sur le monde. Nabe, avant lui, s’était disséqué dans Je suis mort. Étrangement, bien qu’habitué de l’écriture métafictive, il choisit alors de créer un personnage de Mime Marceau incompris et burlesque. La réception de son œuvre est nulle et non avenue, seules restent les amitiés. Son travail lui-même ne sera qu’éphémère puisqu’il ne pourra être transmis.

L’arrêt de la vie ne fait pas le poids près des joies, des souffrances, des folies dont un homme est capable lorsqu’il vit. L’homme n’est lui-même que vivant.

L’écrivain n’est lui-même que dans la fiction vivante, son image est son cadavre.

La vérité de l’écrivain est donc dans l’artifice. Il est un « mimitateur » de ses contemporains. « La particularité de mon action mimodramatique était de donner la parole à l’autre à travers mon silence. Avec deux ou trois gestes, une mimique (jamais de grimace) et surtout une série de positions dans l’espace, qui devinrent très vite mes signatures, le spectateur pouvait entendre la voix du personnage mimité. On entendait ce qu’on voyait !» Houellebecq et Nabe sont des mimitateurs. Ils utilisent à ce titre le procédé du name-dropping, qui leur permet d’introduire des personnages de notre réalité dans leur fiction. Pour ne citer que lui, Patrick Le Lay passera à la postérité autant grâce à La Carte et le Territoire que par l’entremise de L’homme qui arrêta d’écrire. Houellebecq ne l’utilise pas pour sa valeur réelle, mais comme un type, celui d’un capitaliste de la télévision sans morale. Il ressemble à Le Lay mais ne sonne pas comme lui. Nabe, en revanche, utilise ce personnage dans son contexte et restitue son phrasé. Il suspend à leur réalité sonore la crédibilité des péripéties qu’il fait vivre à ses personnages. Et quand Jean-Michel Apathie et Clara Morgane, personnages nabiens, finissent leur nuit ensemble, le lecteur y croit.

Dans ces jeux de miroir entre réalité et fiction comme entre écrivains, celui pour qui tout est reflet et tout est visible reste le lecteur. Il doit se reconnaître dans ce miroir sans pouvoir se nommer. Houellebecq par son parti pris du quelconque rend le lecteur acteur de sa fiction. Il ne néglige pas le travail du lecteur dans la réception de son œuvre, il lui donne des degrés. Nabe, quant à lui, veut transmettre sa volonté de transcendance. Différence profonde entre les deux rivaux, que l’auteur de L’Âge du Christ exprime avec ironie tout au long du Vingt-Septième Livre :

Si tu veux avoir des lecteurs, mets-toi à leur niveau ! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux que lui. C’est le secret, Marc-Édouard. Toi, tu veux trop soulever le lecteur de terre, l’emporter dans les cieux de ton fol amour de la vie et des hommes !… Ça le complexe, ça l’humilie, et donc il te néglige, il te rejette, puis il finit par te mépriser et te haïr.

Filiation bloyenne versus positivisme : la cour du 103 rue de la Convention n’abritait pas que des rivalités littéraires.

Des livres qui agissent

La Carte et le Territoire est un livre ontologiquement ironique. L’ironie y est son propre message ne recouvrant aucun autre argument. Elle est le reflet de la faculté houellebecquienne de rire à la déchéance de l’homme. « Je fais tantôt dans le sinistre, tantôt dans le burlesque, cela me semble une manière de voir très opérante » dit Houellebecq. Le sourire que nous tire le coming-out d’un Jean-Pierre Pernaut ou d’un Beigbeder se « jean-d’ormessonnisant » est cependant un sourire triste. L’ironie de Houellebecq est en cela on ne peut plus moderne, elle relève du cynisme omniprésent propre à notre temps. Si burlesque il y a, il est plutôt du côté de Nabe. Espiègle, il sème dans L’homme qui arrêta d’écrire des farces et attrapes tout au long de ses péripéties d’écrivain-ayant-arrêté-d’écrire et utilise cet humour enfantin pour révéler la tristesse et la vanité de ses interlocuteurs. Sans ironie, mais avec humour, Nabe est un champion de la répartie à tiroirs et à références. C’est un Don Quichotte de l’esprit. Un grand rire moqueur ébranle le lecteur.

Mais de qui rit le lecteur de l’un et l’autre, si ce n’est de lui-même ? Opération critique qui n’est pas le simple résultat de la mise en abyme des personnages, mais provient du parallèle constant que les deux auteurs introduisent entre les époques. « Ce n’est pas que rien ne soit plus comme avant, c’est que rien n’est plus comme tout de suite. » Malgré l’anticipation temporelle de La Carte et le Territoire, Houellebecq utilise une grille de lecture du monde héritée du XIXe siècle ; ses maîtres sont Comte et Schopenhauer, ou Nietzsche pour la vision du style. Il illustre la sentence de son maître à penser, le grand Arthur comme il dit :

On se souvient de sa propre vie, un peu plus que d’un roman qu’on aurait lu dans le passé. Oui c’est cela : un peu plus seulement.

Raconter son présent, c’est faire, avant de mourir, l’inventaire des objets ou personnages qui le composent, aussi vulgaires soient-ils.
Marc-Édouard Nabe, lui, ne supporte pas son époque qui se « défonce à l’anti-présent ». Comme un Céline avant lui, il écrit pour la réveiller, lui faire prendre conscience de sa passivité mortifère. Il convoque à cette fin tout un arsenal de grands martyrs de la littérature (et du jazz), de Dostoïevski à Suarès. Dans L’homme qui arrêta d’écrire, il interroge à intervalles réguliers des jeunes gens déconnectés de leur passé sur ce qui a changé dans le monde pendant que lui était occupé à l’écrire. Le mal du siècle a des racines et nous sommes tous responsables de notre époque. Comme Léon Bloy avant lui, Marc-Édouard Nabe nous demande des comptes.

L’on ne rend des comptes qu’à l’Histoire

Ce qui rapproche finalement tous les écrivains, qu’ils aient ou non habité rue de la Convention, c’est leur réception critique. Houellebecq et Nabe sont deux écrivains de l’ère de la mort des idéologies qui ont eu pourtant à affronter, dès leur apparition sur la scène littéraire, le scandale suscité par l’idéologie de droite qu’on leur prêtait. Nul besoin de rappeler l’accusation d’antisémitisme qui poursuit absurdement Nabe depuis vingt-cinq ans. D’écrivain en réaction, il est devenu, aux yeux des tenants de l’ordre médiatique, réactionnaire. Son style célinien, sa verve et son refus de composer avec le monde ont abouti à un ostracisme qui l’a finalement obligé à s’« anti-éditer » pour pouvoir continuer à offrir aux lecteurs sa vision du monde contemporain.

Plus intéressant serait de remarquer que l’auteur de La Carte et le Territoire est en passe d’être consacré comme le plus grand auteur de son temps par un monde de la culture majoritairement de gauche, alors qu’il est ouvertement un écrivain de droite. Le scandale de son lancement, soigneusement orchestré autour de la rupture avec la revue Perpendiculaire, s’est fondé sur cette évidence – d’ailleurs assumée. L’accueil critique qu’il obtient (nettement plus chaleureux que celui qu’on réserve à son ancien voisin) est sans doute dû au syncrétisme qu’il a réussi à créer entre une pensée dix-neuviémiste et un style qui, par l’apport de données sociétales et scientifiques, mime la modernité du nouveau roman. Houellebecq a fait preuve d’un darwinisme éditorial d’une efficacité étonnante pour ce pessimiste convaincu, réussite que Nabe lui reconnaît en ces termes : « Tu as réussi à être à la fois Kafka et Françoise Sagan ! Tu es peut-être en train d’inventer un nouveau rapport de l’écrivain véritable au commerce concret. »

Dans une même cour, sont nés deux auteurs, deux visions parallèles, deux concurrents dans la course à la postérité. Ratés par les grandes collections de chez Gallimard. L’un exilé du monde de l’édition, l’autre englué dans les stratégies médiatiques éditoriales, ils se vivent, en cette époque sans valeur, en agneaux immolés de la grande littérature. Les deux seront sacrifiés sur l’autel du Goncourt. Vont-ils réussir à transcender la contemporanéité pour accéder à l’immortalité – sans l’habit vert ?

Article initialement publié dans La Revue littéraire n°49, octobre 2010 (Éditions Léo Scheer)

Illustration CC FlickR Andrew Stawarz

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#CantineRMX : les djs des NTIC fêtent leurs deux ans http://owni.fr/2010/01/25/cantinermx-les-djs-des-ntic-fetent-leurs-deux-ans/ http://owni.fr/2010/01/25/cantinermx-les-djs-des-ntic-fetent-leurs-deux-ans/#comments Mon, 25 Jan 2010 16:59:18 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=7243 Free Culture, cela vous dit quelque chose ? Et bien, à l’occasion de son deuxième anniversaire, La Cantine a l’audace de remixer Laurence Lessig trois jours durant. Le 26, 27 et 28 janvier, la Cantine est fidèle à sa vocation de promouvoir et accueillir tous les acteurs de l’innovation numérique en vous offrant 3 jours de fête UGC.

Chaque intervenant a répondu à l’appel à projets de Silicon Sentier de contribuer à animer cet anniversaire. Tous ensemble, nous pouvons remixer cet espace central et essentiel de la culture numérique.

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Et pour le dernier mix avant de dormir, Silicon Sentier vous invite à vous rencontrer, vous mélanger, dans une ambiance zen et festive, lors la soirée de clôture de l’anniversaire .

Pour vous inscrire, rendez vous ici


Pour suivre REMIX sur twitter #CantineRMX

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Le Diginovel Level 26 à l’épreuve du clic http://owni.fr/2010/01/21/le-diginovel-level-26-a-l%e2%80%99epreuve-du-clic/ http://owni.fr/2010/01/21/le-diginovel-level-26-a-l%e2%80%99epreuve-du-clic/#comments Thu, 21 Jan 2010 11:47:19 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=7152 Level 26 a été présenté à grands renforts de trailer vidéo comme une « Révolution » , un changement de dimension du livre. Pour ce faire, l’éditeur a joué sur plusieurs ressorts.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

D’abord son « créateur » ( vous noterez que la terminologie n’est pas auteur mais bien créateur ) n’est autre que le  scénariste de la série la plus regardée dans le monde CSI : Anthony E.Zuiker. De plus, il s’agit d’un « livre augmenté » c’est-à-dire une forme hybride nouvelle mélangeant les univers du livre, du film et du site internet.  Le principe est  relativement novateur : vous achetez un livre et à l’intérieur de celui-ci, toutes les 20 pages environ, vous découvrirez un code  qui vous permettra d’ouvrir les vidéos reliées sur le site internet créé à cet effet réunissant la communauté des lecteurs et l’animant.

Au fondement il y a une nouvelle de 60 pages de Duane Swierczynski. Augmenté par Anthony Zuiker, elle atteint un tout autre niveau, le 26 plus exactement, le niveau suprême de classification criminologique des tueurs. Un serial killer contorsionniste et sadique nommé Squeegel, sévit sur la surface du globe, sans jamais laisser d’indice sur son identité grâce à un subterfuge de fétichiste du latex, une sorte de préservatif affublé de fermetures éclairs savamment placées le recouvrant entièrement, ce qui implique une forte utilisation de beurre ( toute autre que celle du Dernier Tango, quoi que …).  Evidemment, le seul homme , Dark (quelle symbolique dans le nom n’est ce pas ? ) pouvant l’arrêter a subi les ires du méchant caoutchouc , qui a découpé toute sa famille. Depuis, il compte les morceaux de sa vie au bord de la mer avec sa nouvelle femme, tellement plus belle et tellement enceinte . Mais Squeegel  dérange jusqu’au plus haute sphère de l’Etat américain :  le Secrétaire d’Etat à la Justice qui tel un Hoover accouplé à un Don Corleone, peut faire éliminer tout élément récalcitrant par ses forces de l’ombre.  Est-ce que Dark arrivera à ôter la capote de Squeegel ?

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Pour le savoir, vous aurez donc le choix des armes : l’objet, la connexion ou la communauté. Il semble que l’intérêt principal de ce Diginovel soit dans sa forme hybride originale. L’objet livre contient des dessins de Mark Ecko, symbolisant en noir et blanc, les étapes de l’énigme. Mais surtout, toutes les 20 pages, vous trouvez un indice permettant d’ouvrir un CYBER BRIDGE.  Ce pont  entre la rive textuelle et  un petit film complément de la narration n’est pas un passage obligatoire. Toutefois, il apporte un supplément d’âme à un scénario qui vous fait ramer sur tous les clichés du polar américain.  En vous connectant sur le site, vous trouverez une page d’accueil entièrement en anglais, sur un fond noir oppressant vous pourrez découvrir le  trailer, des indices sur les suites prévues à Level 26, et toutes les entrées vous permettant de dialoguer entre lecteurs-fans du roman. Bref un roman à clés, les clés du portail.  Avec un casting impressionnant pour une websérie ( entre autre Mickael Ironside, dont les fans de V se souviennent , et le fameux RubberBoy), les additifs video d’une durée moyenne de 4 minutes améliorent considérablement l’appréhension du livre, par leur réalisation appliquée et leur atmosphère aussi glauque que kitsch.  Loin des rumeurs de gore, vous ne trouverez rien de plus que dans un épisode des experts. Ah si ! Vous y trouverez ce petit supplément qui fait rêver : la scène de sexe ! Et petite transgression aux codes du genre, madame est enceinte ! Racoleur Zuiker ? Pour ceux qui souhaitent dialoguer et savoir qui de John Gacy ou de Squeegel est le plus psychopathe, you’re welcome in the forum. Choisissez votre avatar, avancez masqué ou avec votre véritable identité, la seule chose que vous n’aurez pas le droit d’être, c’est autre chose qu’américain puisque c’est la seule nationalité prise en compte lors de l’inscription.

Vous me direz  un livre et son adaptation cinématographique directement accessible,  révolutionnaire ! Et je vous dirai qu’une révolution, c’est tout de même revenir à peu de chose près au point de départ.  Il est heureux par exemple que la connexion au site ne soit pas obligatoire pour la compréhension de la narration. En effet, sous sa forme papier, cela nécessite un ordinateur à portée de main toutes les 10 minutes environ, de même que dans les versions électroniques, le format vidéo n’étant pris en compte par aucune des « liseuses » actuelles ( mais attendons fin janvier !) le mécanisme est donc aussi harassant.  Le créateur se réclame de l’économie d’attention et de la génération Y pour justifier ce remix littéraire. S’appuyer sur la réduction de l’envie de lecture chez les jeunes et une attention limitée, voilà l’erreur de diagnostic, pour cette tentative somme toute louable en son principe. Le succès de saga telles que Millenium ou Twilight prouve que la génération Y est aussi capable d’avaler 800 pages indigestes sans cliquer d’un œil ! La confusion entre lecture informative ou de recherche, qui effectivement, dans cette économie de l’attention, a des fenêtres temporelles de plus en plus réduites face à une offre variée, et la lecture de plaisir, plus confortable, qui déjà peine à s’acclimater au format électronique et à se détacher de l’objet,  a porté Anthony Zuiker à l’originalité quand il voulait une révolution.  Enfin, il convient de rappeler aux innovateurs qu’avant toute chose le lecteur lit avec son cerveau, non pas dans une démarche passive de consommateur télévisuel, mais dans un cadre solitaire et volontaire : il lit, analyse, intègre et transmet.  Par conséquent, avant d’augmenter le livre, il faudrait songer à l’écrire.  Et dans le cas de l’édition française à le traduire. Vous remarquerez en effet que la comptine essentielle pour donner des indices varie de traductions au fil du temps , sans doute pour mieux coller à la video.  A moins de grosses améliorations, pour les deux tomes suivant prévus, je me déclare déjà allergique au latex.

La révolution numérique n’influe pas encore vraiment sur la trajectoire du livre. Le contenu d’un livre augmenté peut il réellement dépassé l’enrichissement par l’hypertexte ?  Quand les auteurs s’empareront ils de cet outil en modulant leur écriture ? Que sera réellement la textualité performative dans les prochaines années ? Qui osera le roman total web : rythme, concu, enrichi par le web ?

Pourquoi ne pas tenter une expérience textuelle collaborative ? Je vous propose donc d’écrire un scénario, aussi bon que celui de Zuiker au minimum, avec pour base du latex, des fermetures éclairs et les personnages de niveau 26 que nous essaierons d’élever jusqu’au 27 ! Allez soyons fous , jusqu’au 30 !

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Nick Cave m’a posé un lapin http://owni.fr/2010/01/20/nick-cave-m%e2%80%99a-pose-un-lapin/ http://owni.fr/2010/01/20/nick-cave-m%e2%80%99a-pose-un-lapin/#comments Wed, 20 Jan 2010 07:24:39 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=7113 Une sympathique peluche au bout du nez rose tendre et aux grandes oreilles. Des caractères rouges sang,  typologiquement proches du Wanted des dessins animés  proclamant le début de la fin dans le titre, suivis de lettrines noires, comme manuscrites, signature de cet avis de décès. Voilà la couverture du nouveau Nick Cave chez Flammarion. Un joli lapin enfantin pour illustrer la MORT DE BUNNY MUNRO. Et  pour le même modique prix (20€), la photo de l’arrière tête du lapin et de la face stylisée et sexy de Nick Cave.

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Bunny Munro  est  un lapin, un chaud lapin plus exactement. Bunny Munro senior est un raté, Bunny Munro le second est un père comme Senior avant lui , tout droit sorti de Bukowski, qui traine Bunny junior sur les routes de la vente de produits de beauté à domicile, après le suicide de sa nuisette orange préférée, Libby sa femme. Junior se révèle un observateur de la réalité de son père, cette mauvaise graine du politiquement correct, extrêmement mature, et malgré le fait que son cœur appartient à son Daddy, il se révèlera adulte pour deux.

La Fascination du lapin.

En lisant « Mort de Bunny Munro » , j’ai pris conscience de l’existence chez le créateur à tendance « morbid chic », pour reprendre l’expression de Liberati, d’une véritable fascination pour le mignon, inoffensif et tendre LAPIN.  Les occurences ont gambadé dans ma tête comme dans un champ de la Garenne profonde ! D’abord le lapin blanc d’Alice aux pays des Merveilles entrainant au fond du terrier de mon esprit, jusqu’à faire apparaître des  Roger Rabbit effrayants, qui se sont transformés fabuleusement en Franck de Donnie Darko, prophétisant l’arrivée des lapins de David Lynch dans Inland Empire, jusqu’àCaerbannog, le gardien carnivore d’une entière caverne de fantasmes dans laquelle devaient bien se trouver quelques lapins Playboy.

L’oryctolagus cuniculus se révèle en fait bien plus qu’une chair tendre et une paire d’oreilles si mignonnes et douces. Il détient une puissance symbolique un peu oubliée de nos jours au détriment de ce côté peluche. Nombre de personnages enfantins de dessin animé comme Bugs Bunny ou Pan-Pan se réfèrent aux caractéristiques évidentes du lapin : sa vitesse, ou sa douceur.  Dans les publicités , il représente l’ abondance reproductive comme chez Duracell.  Mais plus profondément, il est  dans la civilisation chrétienne un symbole janusien. Un lapin est symbole de pureté comme dans La vierge au lapin blanc du Titien, alors que plusieurs sont représentatifs d un érotisme débridé.  Il est chez les chinois un symbole lunaire alors qu’il est le totem de la déesse de l’Aube Ostara en Grande Bretagne. Quand aux hindous, ils en ont fait la personnification du sacrifice personnel, en le faisant se jeter dans e feu pour nourrir Bouddha, qui le récompensa en lui offrant une nouvelle maison : la lune.

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Bref, le lapin prête généreusement le râble à la personnification. La Fontaine, Lewis Caroll et Walt Disney ne s’y étaient pas trompés.  Nos créateurs modernes en ont fait toutefois un parangon de symbole de l’étrange, ces derniers temps, jusque dans Matrix.  Nick Cave en choisissant ce surnom a sans doute voulu syncrétiser ces différents symboles : l’enfance, le sexe, le sacrifice. Et après, tout, il est australien et la fascination pour le lapin, maudite bête qui a fait un carnage sur les terres de ses ancêtres est justifiée.

Un surnom, un pitch, un post-it de morale : le lapin fait tout vite

Bunny Munro baise dans une chambre d’hôtel quand sa femme l’appelle exprimant sa peur  d’être seule de manière hystérique et grotesque. Il ne pense qu’au plaisir de la décharge. Il raccroche et elle, elle s’accroche … le cou à la grille de sécurité et laisse tomber. Bunny récupère donc Junior pour son quotidien de road trip et de baise car il est VRP en cosmétique. Efficace car son expertise à Bunny c’est la chatte… La reconnaitre, savoir ce qu elle veut , la remplir et la faire payer à tout prix , il s’y connait.

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On voit dans ce pitch à quel point le surnom Bunny était justifié de la part de l’auteur ! Quoi de mieux qu’un nom de lapin pour un érotomane dépressif ? Si la queue n’est pas basse, les oreilles le seront peut être…. Nick Cave affirme qu’il a d’abord conçu ce roman comme un scénario pour Johhn Hillcoat.  Et au vu de la description de Bunny Munro je ne saurai trop conseiller Matt Dillon pour interpréter le rôle titre. Peut être qu’en ce cas, la ressemblance entre Hank Chinaski de Factotum notamment, et plus largement l’œuvre de Bukowski sera trop évidente.  Nick Cave a cherché ce style fait de crudité du réel et de marginalité qui caractérise ce grand auteur. L’intimité désespérée  de son personnage ne supporte pas l’analyse plus profonde de ses motivations : Bunny est creux.

Or Nick Cave a voulu le remplir. Le remplir d’intentions et de symboles. Il a créé Bunny Munro comme un prétexte à une fable évangélique simpliste.  Ce chaud lapin doit cristalliser l’humanité nécessaire et universelle qui apprend à pardonner à l’autre comme à soi même. Il a voulu par le sacrifice final de son fils démontrer que pour être adulte et humain, il faut savoir se couper d’une partie de soi même pour l’offrir au monde et à l’autre.

« J’ai l’impression qu’à travers l’écriture, je crée un monde plus large que la vie et peut être plus beau, plus intéressant » dit Nick Cave. Plus moral, sans aucun doute. Mais plus large ? Tout dépend de la largeur des vagins diverses et variés qu’il décrit. Mais plus beau ? Sa nomination au Bad Sex Award du Guardian semble solder l’idée même d’esthétique du livre.  Il enchaine les clichés, confond vulgaire et cru, et ne trouve ni le rythme  ni la profondeur de la voix du génial auteur de « The Mercy Seat ».

La voix de Nick Cave, Flammarion, nous propose de la retrouver , non pas dans le roman mais dans la promotion de celui-ci, innovante et transversale  avec un site dédié, sa propre application iphone, un audio livre, et en fond, ce que l’on aime le plus, la musique de Nick Cave and the Bad Seeds. Car le Nick Cave percutant, rebelle, profondément humain, celui que j’admire en musique, ce Nick Cave là n’est pas l’auteur de Bunny Munro. Et à la dernière ligne du livre, ce rendez vous du lecteur, tout en tendresse guimauve, j’ai su que Nick Cave m’avait posé un lapin

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Vincent Peillon, le coup d’éclat (im)pertinent http://owni.fr/2010/01/18/vincent-peillon-le-coup-d%e2%80%99eclat-impertinent/ http://owni.fr/2010/01/18/vincent-peillon-le-coup-d%e2%80%99eclat-impertinent/#comments Mon, 18 Jan 2010 12:27:30 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=7054 Marine LePen a jugé Eric Besson impoli en ce jeudi soir de messe télévisuelle, après en bon rhéteur,  avoir fait rire d’un seul bon mot assimilant notre ministre de l’Identité Nationale à un produit deux en un «  socialiste et UMP à la fois. » A mes yeux,  sans doute sans en être consciente, l’euro député du Front National a posé la vraie question de fond de cette soirée : celle de la politesse dans le débat démocratique médiatisé, celle que Vincent Peillon lui aussi venait de façon fracassante de remettre en cause en transgressant les codes de conduite oratoire et refusant le débat et ses conditions, dans ce que l’on pourrait interpréter un peu facilement comme un geste outrecuidant de fuite ou du moins peu démocratique de refus du débat.

Le philosophe Vincent Peillon a en ce jeudi soir subordonné le Vincent Peillon politicien pour pouvoir convoquer en un geste violent Habermas, Chomsky , Cicéron et Foucault.  Les réactions a son refus « impoli » de se rendre sur un plateau pour débattre sur un sujet qu’il juge indigne prouvent en majorité par leur caractère offusqué cette forme de résorption de la pensée rhétorique dans le préjugé social, qui est devenu notre quotidien médiatique, avec pour ultime critère ce jugement de la foule.

Le spectacle du débat dévoilé

Dans sa justification a posteriori , Vincent Peillon a convoqué sans les nommer Chomsky et Debord : fabrique du consentement et société du spectacle. Sur l’occurrence du deuxième dans notre vie quotidienne, il n’est point besoin de discuter une évidence.  Mais qu’en est il du premier qui remet en cause la mission de service public au sens noble de ce terme à la télévision française ?

Les modalités ( le piège dit il ) du passage de Vincent Peillon dans A vous de juger ne sont pas pertinentes en l’occurrence. Plus pertinent est le contenu même de l’émission.  Le portrait effectué de M. Besson en début d’émission justifie à lui seul l’argumentaire de Vincent Peillon.  Dans ce « reportage », rien ne nous est épargné, rien n’est politique : apparition de l’intime, justification psychologisante, biographisme politique.  Son ex-femme vient nous donner le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy comme un leitmotiv de la vie de son ex-mari. Ses origines sont évoquées avec force musique, appuyant tant sur la méditerranéité d’Eric Besson que sur l’intime douloureux de la perte d’un père remplacé par  chance par la nation. Après avoir saacrifié à cette mode du témoignage de la maîtresse,  même les politiques socialistes interrogés se livrent à des explications  touchant au pathos , parlant d’humiliation. Rien de politique, rien des convictions, tout dans l’extime. Jusqu’au sacrifice suprême du père préférant son devoir envers la Nation et donc éducateur des valeurs républicaines, comme il lui a été transmis par sa mère à qui il fait « une spéciale dédicace »et restant ministre malgré les pleurs honteux de ses enfants. On l’aura compris M.Besson est humain, trop humain.  M.Besson est français, tout le prouve et tolérant, ce qui restait à prouver. Voilà qui est fait, son identité nationale est établie.

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Puis vint le débat avec Marine LePen qui pose l’identité électorale de ceux que sert M.Besson.  Marine LePen ( qui a hérité des qualités oratoires de son père apparement) fait un contresens lorsqu’elle pose que le FN est le seul  « véritable » opposant à l’UMP , face à l’annonce de la défection de M.Peillon. Elle n’a pas compris que le dispositif de l’émission servait au contraire la fin de convaincre son électorat tout en marquant courtoisement son désaccord avec la xénophobie du FN.  Elle n’est que le contre-exemple sur ce plateau. A l’heure de grande écoute, elle permet à Eric Besson d’être autre chose qu’un traître aux yeux du téléspectateur, mais un être convaincu, car socialiste ou UMP, il sera toujours anti-FN. Elle n’est qu’une stratégie de repoussoir.

S’il est une phrase de cette soirée qui prouve que Peillon a bien fait de convoquer Chomsky, elle vient d’Arlette Chabot qui s’adressant à Eric Besson dit : « vous aimez les effets médiatiques on ne peut pas vous en vouloir vous avez été journaliste ! ». C’est donc cela être journaliste, aimer les effets médiatiques ! Dire que certains pensaient que cela consistait à aimer les faits, les causes, les analyses,  rechercher une forme de vérité !

Ce soir là , l’audimat ne sera pas au rendez vous, mais l’effet médiatique se posera sur ce que l’on attendait pas : la défection « grossière » de Vincent Peillon.  C’est elle qui devient sujet  des interventions, non plus comme habituellement par la présence dans un média mais par l’absence, et plus encore par les modalités de cette absence.

Une polémique est-elle un débat ?

Face à la mine grise de colère contenue d’Arlette Chabot, comment ne pas convenir que M. Peillon a dépasser les bornes de la convenance avec une violence peu commune au service politique de France 2 : un communiqué de presse et l’extinction de son portable ? Faut-il donc être un goujat d’une part et peu démocrate d’autre part pour refuser le débat dans ses conditions ?  Plus largement, quelle part de violence est acceptable dans la pratique du jeu politique médiatisé ?

Vincent Peillon l’a bien compris la polémique nait de la polarisation entre ami et ennemi , face à face constituant du politique et qui prend une dimension tragique avec Eric Besson, ancien compagnon de conviction.  Les procédés dans laquelle celle-ci doit s’exercer sont extrêmement codifiés : langage, présentation etc.  Les opposants rentrent en compétition au sein d’un même espace socio-institutionnel commun dans lequel le but n’est pas d’avoir raison mais de réduire l’autre au silence.  Dans cet espace, l’attention au convenable est essentielle. Pour reprendre Cicéron dans De Oratore, il faut faire preuve de retenues dans les saillies ( dicacitatis moderatio ) et préserver la gravité ( gravitas) en se contrôlant ( temperentia) et en faisant attention à la fréquence de ses traits d’esprit ( raritas dictorum). Ce qu’il ne faut pas, c’est rendre visible une agressivité impropre ( petulentia). Cette même agressivité ne relève pas du fond mais de la forme. On pourrait croire que Vincent Peillon a été «  pétulant » au moins envers  l’animatrice d’A vous de juger ce soir là.

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Mais ce serait méconnaître la nature de la polémique. L’aspect fondamental de celle-ci est de n’être astreinte à aucune condition ou raison, elle est transgressive des normes traditionnelles.  Pour nier l’existence d’un débat sur l’identité nationale, Vincent Peillon a polémiqué en niant l’existence même du dispositif de débat organisé par France 2.

Un risque politique, une identité

Par cette  transgression, Vincent Peillon s’est éprouvé. Il s’est mis en épreuve, c’est-à-dire qu’il traverse un moment destiné à requalifier  son entité, ce qu’il représente, par rapport à des questions saillantes, celle essentielle des modalités du débat démocratique. Ce faisant, et après avoir révoqué tout jugement moral qui fait passer la dissimulation ( agir stratégique ) pour du mensonge, il légitime la violence de son procédé par les graves conséquences sociales que le débat indigne sur l’identité nationale lui semble porter, et en cela, il prend un risque éminemment politique, d’une acuité et d’une profondeur rhétorique peu en cour actuellement.  Vincent Peillon a donc éprouvé son identité politique et éprouve la notre en mettant à jour la distorsion entre le réel de la politique politicienne et l’idéal de débat démocratique. En somme, il a donné sa pierre à l’édifice de débat national d’Eric Besson : être français, c’est être éminemment politique.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Grand Prix littéraire du web : nous avons les moyens de vous faire lire http://owni.fr/2009/11/18/grand-prix-litteraire-du-web/ http://owni.fr/2009/11/18/grand-prix-litteraire-du-web/#comments Wed, 18 Nov 2009 13:16:34 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=5565 Le 10 Novembre dernier, l’équipe de Chroniques de la rentrée littéraire.com , ses partenaires ( Ulike, Silicon Sentier, Owni , Chermedia , Le Post ) et surtout ses participants, les bloggeurs du livre, ont remis, le Grand Prix Littéraire du Web à quatre auteurs de cette rentrée 2009. L’intitulé du prix, inspiré d’un art connexe à la littérature, le cinéma, est un hommage à la diversité et à l’ampleur des participations des amoureux de la littérature sur le web. Lors de cette soirée, les rencontres se sont multipliées, croisant les auteurs et les éditeurs, et offrant un point de vue sur les attentes et envies de nos lecteurs.

Dans une ambiance festive et conviviale, nous avons pu récompenser les auteurs que nos participants ont lus, aimés et voulus distinguer, dans les trois catégories : premier roman, roman français , roman étranger.

Les auteurs récompensés par le Grand Prix Littéraire du Web.

La plus grande récompense pour les participants aura été de rencontrer les auteurs primés, qui se sont déplacés avec plaisir et se sont livrés, avec émotion et sincérité. Après tout, la seule réaction que nous voulions connaître et qui nous intéresse, est celle des auteurs… et peut être celle de leurs éditeurs, ceux qui ont travaillé pour nous offrir ce plaisir solitaire qu’est la lecture, et qui l’ont partagé avec notre communauté.  Nous sommes fiers de pouvoir offrir notre reconnaissance à ces quatre auteurs et pensons que la qualité de ce « palmarès » est représentative de celles de nos participants et de leur goût.

A Chroniques de la rentrée littéraire, nous sommes très attachés à offrir la meilleure visibilité et les meilleurs lecteurs possibles à cette catégorie si sensible que sont les premiers romans. Ils sont même une des raisons pour laquelle nous avons créé cette plateforme.

Le Grand Prix Littéraire du Web du Premier Roman a été remis à Gilles Heuré, pour « l’homme de cinq heures » chez Viviane Hamy. Gilles Heuré nous a expliqué comment l’idée de cette narration loufoque et érudite lui est venue lors de ces études en hypokhâgne et comment ce premier roman est le travail obsessionnel de toute une vie d’historien.  (En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs)

L’une des vocations de notre site était aussi de mettre en valeur des auteurs confirmés, mais qui peut être ne bénéficiaient pas de l’exposition au public qui leur permettraient de partager leurs mots et émotions avec le plus grand nombre de lecteur, eu égard à la pléthore de romans sortant à la rentrée.

Le Grand Prix Littéraire du Web du Roman Français a été remis à Isabelle Condou, pour « la Perrita » chez Plon. Isabelle Condou, venue de son sud, nous a ému, et l’était visiblement elle aussi, en nous racontant la génèse si intime de cette narration inclue dans la grande histoire de l’Argentine. Elle nous a aussi transmis le plaisir pour un auteur de trouver un écho dans ses lecteurs de ce qu’il a si intimement porté en lui. (En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs)

Pas d’identité nationale en littérature, et surtout pas à Chroniques de la rentrée littéraire. Nous aimons les auteurs étrangers et leur traducteur ( voir chronique vengeance du traducteur).

Le Grand Prix Littéraire du Web du Roman Etranger a été remis à John Connolly pour « le livre des choses perdues » aux éditions de l’Archipel. Jérôme Pécheux, son éditeur, nous a lu  avec joie, le mail que celui-ci nous a fait parvenir

(En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs)

Notre site n’aurait pu exister sans des passionnés, des passeurs. Nous tenions à les remercier tous ici.

Le Prix de la meilleur chronique a été remis à la bloggeuse de «  Chaperlipopette » qui nous a écrit ce petit mot que vous trouverez dans les slides.

Comme à Cannes, nous avons voulu distinguer une œuvre remarquable, un talent exceptionnel. Par ce choix, nous avons honoré un styliste unique, une narration atypique qui manifestement est promis à une pérennité  par son originalité.

Le Grand Prix Littéraire du Web, Prix Spécial du Jury a été remis à Eric Vuillard, pour « Conquistadors » chez Léo Scheer. Tous nous avons voulu remettre ce prix à cet auteur, pour la rareté de sa voix au milieu de cette rentrée littéraire.  Dans la maison de la lecture, il y a bien des portes. Toutes les demeures ont des portes permettant de communiquer entre elles, d’une masure à une plus élevée, une fois que l’agilité du lecteur a été forgée par le plaisir des mots. Nous avons voulu inciter à lire ce livre exigeant, mais avant tout, nous avons voulu inciter à lire. (En lien les chroniques, et dans l’animation en slide les impressions des Grands lecteurs).

Comment  le Grand Prix Littéraire du Web est né

Une véritable communauté, fondement de nos initiatives

« Dis moi Umbertino tu lis pour ce qu’il y a dans le livre que tu lis ou pour l’amour de lire ? » A cette question que la  grand-mère d’Umberto Eco posa,  tous les participants de Chroniques de la rentrée littéraire pourraient répondre d’abord  pour l’amour de lire, car ils considèrent la lecture comme un des biens précieux de la vie.  D’après les statistiques de la CNL, seulement 10,7% des lecteurs ont achetés plus de 12 livres dans l’année. Nos participants sont  tous inclus dans ce faible pourcentage.  Par la pratique du blog, ces amateurs se font prosélytes de ce vice solitaire et désirent le partager. Notre plateforme leur offre un espace libre pour ce faire.

Ce sont tous des amateurs éclairés. Et puisqu’élite et lire ont la même racine, ils forment une communauté élective de lecteurs.  Nous ne demandons pas leur parcours universitaire pour apprécier leurs avis, lorsque nous les contactons pour participer, comme nous ne demandons pas les diplômes qui justifient les critiques que nous lisons dans les journaux. Nous espérons faire un travail de démocratisation de la lecture et non de popularisation.  Ce que nous leur demandons c’est de faire le vrai travail d’accès à la connaissance, c’est-à-dire la transformation d’un savoir en une expérience de vie et c’est ce que font nos chroniqueurs, nous transmettre leur expérience.

Evidemment, nous n’avons pas contacté l’intégralité de la blogosphère littéraire, qui est si diverse et variée. Certains bloggeurs sont des journalistes, des critiques attitrés ou s’octroyant ce titre par leur plume prolixe et parfois talentueuse sur la littérature. Nous ne sommes pas sectaires et nous les invitons à nous rejoindre, nous les accueillerons avec plaisir. Nous notons toutefois que l’expertise n’est pas toujours bonne conseillère. Ce sont des experts qui en note d’édition à leur époque ont écrit sur Proust «  je suis peut être un peu limité mais je ne suis pas capable de comprendre pourquoi il faudrait consacrer 30 pages pour raconter comment quelqu’un se tourne et se retourne dans son lit sans trouver le sommeil »  ou à Flaubert sur Madame Bovary «  Monsieur vous avez enseveli votre roman dans un fatras de détails qui sont bien dessinés mais complètement superflus » ou sur Moby Dick «  Il y a peu de chance qu’un tel ouvrage trouve à intéresser un public jeune ». Ce sont aussi eux qui ont raté Céline pour le Goncourt. Et que dire de la cruauté des auteurs entre eux ? Flaubert disait bien : «  Quel homme aurait été Balzac s’il eût su écrire ». Nous ne prétendons à rien d’autre qu’à partager des avis éclairés. Nous raterions peut être aussi Céline mais nous l’aurions expliqué autant avec la tête qu’avec le coeur…

Un prix, un esprit

Ce prix est avant tout le reflet d’une communauté, il est représentatif des attentes de celle que nous avons constituée.  Le Goncourt représente le prix d’une société de gens de lettres héritiers d’un salon, nous, nous considérons comme un hall de bibliothèque, où tous  se rencontrent, tous les goûts se croisent et toutes les compétences s’enrichissent de la présence de l’autre.

Il est aussi un filtre. Face au 659 romans de la rentrée, nous avons choisi de ne pas parler des livres que nous n’avons pas lu. Notre plateforme a recueilli 300 chroniques. Ce prix est un exercice que la mémoire effectue naturellement, l’art de la synthèse. Car si la culture est un cimetière de livres disparus, nous voulions mettre en valeur ceux qui ont représentés les goûts du public.  Aucun livre n’est né chef d’œuvre, il le devient  tout au long des interprétations qu’il absorbe. Nous aurons livré nos interprétations.  Nous ne visons pas à déterrer des chefs d’œuvres inconnus des médias, et peut être que tel le vin, la littérature a plus de saveur dans sa contemporanéité, avec des saveurs impures.

Nous assumons ce tanin. Nous assumons le fait de prendre en compte l’avis de la majorité. Nous assumons le fait d’offrir un accès sur un support nouveau à la littérature.  Et peut être que grâce à notre recommandation, comme autrefois sur les fiches dans les bibliothèques, nous permettrons à des auteurs d’être lus, parce que de nombreux lecteurs auront déjà « empruntés » la voie de ce livre.

Des auteurs élus : le vote des lecteurs

Notre site ne s’est pas vanté d’avoir exhaustivement chroniquer la rentrée littéraire, mais la majorité de celle-ci : 300 romans sur 659 publiés. Nous avons voulu favoriser démocratiquement l’accès à ces livres, qui pourraient facilement passer pour des clandestins dans une rentrée littéraire. Emmanuel Leroy Ladurie, lorsqu’il était à la direction de la BNF, avait calculé que plus de 2 millions d’ouvrages n’avaient jamais été empruntés. En cette rentrée, les romans auront eu au moins un lecteur : notre chroniqueur.

Dans la présentation et le choix des chroniques, nous n’avons pas fait de hiérarchie, juste un classement : roman français, étranger, premier roman. Nous n’avons pas voulu nous interposer entre les recherches et les choix de lecture de nos visiteurs.  Notre site se veut tel que fut le bouche à oreille qui vous poussez chez votre libraire. Nous n’avons pas fait de déconseil surréaliste et péremptoire « Ne lisez pas Anatole France » . Nous avons recueilli les avis éclairés.

A partir de ceux-ci, les visiteurs du site ont pu voter pour mettre en valeur les auteurs qui leur ont plu, ou leurs envies de lecture, et un seul vote est pris en compte par chronique et par IP. Nous avons statistiquement extrait les votes pour créer la dernière sélection des 15 ouvrages que notre jury aurait à lire. Nous avons conscience que le système n’est pas parfait ( vote sans avoir lu l’ouvrage etc) mais d’une part nous faisons confiance à nos lecteurs pour user sagement de cette possibilité qui leur est offerte et d’autre part, bien que nous réfléchissons déjà à améliorer le système, nous sommes heureux d’avoir tenté de rapprocher web et littérature démocratiquement. Alors nous nous perfectionnerons, mais quoi ,  c’est une innovation, alors ne boudons pas notre plaisir en nous écriant que l’avenir aussi était mieux avant.

Les Grands lecteurs, parce qu’on ne peut pas dire gros !

Nous avons sélectionné un jury à l’intérieur de nos participants. Si nous avons fait ce choix pour élire les Grands Prix Littéraires du Web , c’est par une volonté d’extraire 3 ouvrages de façon ouverte, démocratique et compétente.  Les critères qui nous ont guidés dans ce choix pour les Grands lecteurs sont multiples, mais principalement, ce sont de « gros lecteurs », appliqués , capables d’  « avaler » cette quinzaine d’ouvrages, et tous réunis par leur amour des livres. Nous les avons sélectionné sur les critères suivants : leur absence de lien avec le monde de l’édition, leur capacité à transmettre leur pratique de la lecture, et malheureusement l’impératif d’être en région parisienne. Nous les avons choisi en prenant en compte la diversité de leur âge, de leur goût. Nous n’avons aucun doute sur leur compétence à apprécier un ouvrage, car si ils n’ont pas la formation universitaire ( 3 d’entre eux  pour le moins l’ont ) ils ont pour le moins « l’œil » et la capacité à faire un travail pour inciter à lire.  Et puis quoi, personne n’interroge la capacité du Goncourt des Lycéens ? Et bien nos jurés ont au moins le bac na !

Nous vous présentons les membres du jury : Tilly, notre doyenne si je peux me permettre, Alexandra, Stéphanie

, FabienneChristophe, notre ancien libraire, Mry qu’on ne présente plus, et nous-même créateurs de ce site Abeline et Raphaël.

Nous le répétons, nous ne sommes pas une société littéraire héritière d’un salon, mais un hall de bibliothèque.

Le Grand Prix Littéraire du web certes, et après ?

L’esprit qui anime l’équipe

Flaubert a dit que la bêtise , c’est de vouloir conclure. « L’imbécile veut parvenir de lui-même à des solutions péremptoires et définitives. »

A Chroniques de la rentrée littéraire, nous ne prétendons pas avoir trouvé la solution pour réconcilier le web et la littérature, ou pour amener en masse l’internaute en librairie. Mais, nous cherchons … Nous avons tenté, avec réussite à nos yeux, en cette rentrée de septembre, d’offrir un meilleur accès aux romans. Et si, nous pouvons avoir amené un lecteur à lire « Conquistadors » ou « La cinquième saison du Monde » et à partir de nos chroniques, d’accéder, pourquoi pas à « Ulysse » de Joyce, ou comme Raphaël le prône à acheter un volume de René Char, alors nous serons heureux.  Nous encourageons toutes les initiatives aussi diverses soit elles dans ce sens. Et nous  remettons déjà l’ouvrage sur le métier,  pour améliorer et innover et ce dès janvier, notre site.

Nous travaillons sur un support numérique, celui qui a « trusté » toutes les pages de cette rentrée avec les e-readers, celui qui fait interroger Umberto Eco par les journalistes sur la mort du livre, possible.  Nous, nous voulons expliquer aux auteurs et aux éditeurs ce que nous pensons qu’internet peut leur offrir :  des lecteurs, une agora, un outil de dialogue et de connaissance.

A nos participants, nous voulons offrir un meilleur service, une possibilité nouvelle de travailler, dans le respect de leur goût et de leur volonté de connaître, à découvrir des nouveaux ouvrages. Chroniques de la rentrée littéraire est comme une pratique de la lecture à haute voix et en public, et nous remercions nos courageux orateurs.

De nouveaux participants ?

Moins médiatisée mais toujours aussi prolixe, la rentrée de janvier se profile. L’année dernière nous avons eu le plaisir d’y lire Paul Auster, Richard Morgièvre ou John Berger. Qu’aurons nous en cette rentrée ?

Il est parvenu à nos oreilles que certains bloggeurs ont eu une réaction de dépit car nous n’avons pas réussi à réunir l’intégralité de la blogosphère littéraire, avec tous ces courants, et que donc nous ne les avions pas contacté. C’est une invitation officielle qui leur est faite ici. N’hésitez pas à nous rejoindre, venez disséquer avec nous , en admirateur cette rentrée de janvier.

Pour ce faire, nous redonnons les mêmes impératifs que précédemment aux bloggeurs :

-          Lire le livre reçu

-          Chroniquer en 3000 signes au minimum en dégageant la narration, les intérêts, le style , l’auteur et surtout en posant son opinion

-          Renvoyer la chronique à la date prévue

-          La publier sur son support personnel, seulement 3 jours après la publication sur Chroniques.

De notre côté, nous nous engageons à :

-          Leur faire parvenir un livre

-          Respecter leur écriture et leur opinion ( avec toutefois la possibilité de modération en cas d’insulte ou de propos diffamatoires, incitant au racisme à la haine etc)

-          Publier leur chronique avec le lien vers leur support personnel

-          Répondre à toutes leurs demandes le plus rapidement possible

-          Leur offrir une animation qui leur permettra rencontre, échange, et surtout plaisir

Comme une bibliothèque, Chroniques de la rentrée littéraire est ouvert à tous, dans la limite des places disponibles ;)

Les bonus et améliorations

Pour la prochaine saison, janvier vous l’aurez donc compris, nous travaillons à augmenter notre catalogue de choix pour les bloggeurs auprès des éditeurs et à leur fournir des opportunités supplémentaires d’amélioration de contenu ( avec des interviews d’auteurs) mais aussi de partage, avec l’organisation de rencontre.

Et surtout, nous travaillons déjà à une amélioration du site, notamment avec la possibilité de rechercher les chroniques par chroniqueurs, une meilleure ergonomie du site, améliorer la possibilité de converser sur le site et bien sur la mise à disposition de la bibliothèque de chroniques faites en septembre.

Nous espérons pouvoir poursuivre le dialogue entre nous tous, auteurs, éditeurs, lecteurs.  Bonne lecture à tous

Pour toute information complémentaire ou pour participer : chroniques @ chroniquesdelarentreelitteraire.com

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http://owni.fr/2009/11/18/grand-prix-litteraire-du-web/feed/ 2
Grand prix littéraire du Web : si Goncourt m’était blogué http://owni.fr/2009/11/06/grand-prix-litteraire-du-web-goncourt-renaudot-flore/ http://owni.fr/2009/11/06/grand-prix-litteraire-du-web-goncourt-renaudot-flore/#comments Fri, 06 Nov 2009 09:38:55 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=5257 Après Michon et en même temps que NDiaye, Beigbeder vient de recevoir un prix littéraire prestigieux : le Renaudot. La saison des récompenses est donc bel et bien entamée. La surprise ne vient ni des auteurs primés ( ce que certains méritent ) ni de leurs éditeurs : Galligraseuil a encore frappé. Les prix les plus prestigieux attribués, il reste aux auteurs les sessions de rattrapage si l’on peut le dire ainsi : Décembre qui vient d être attribué à Jean Philippe Toussaint, Interallié, Flore à Libérati, l’amateur de capot de voiture ami de Beigbeder et autres. Dans les 659 ouvrages de cette rentrée littéraire, ce sont les 20 mêmes que l’on retrouve sur toutes les listes. Ils seront bien placés sur les tables de libraire, achetés, commentés. Mais les autres ?

Les autres auront le prix que les libraires et le public voudront bien leur donner, cette reconnaissance par la vente et le bouche à oreille qu’a eu Muriel Barbery l’année dernière. Et sans doute, est ce le plus beau prix pour un auteur, que d’être offert, prêté, commenté par une communauté d’afficionados.

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C’est dans cet esprit que nous avons oeuvré à récompenser trois auteurs, dans les catégories que sont le roman français, le roman étranger et le premier roman. Dans un esprit de partage entre amateurs amoureux des mots, dans l’idée de recommander à nos amis, qui comme nous se passionnent ou travaillent dans le monde du livre, et surtout des mots, un auteur qui n’aura peut être pas eu l’écho qu’à sa lecture nous lui aurions intimement souhaité. L’esprit d’un prix tient à son fonctionnement et le nôtre est démocratique et transparent. La sélection des 15 ouvrages dans lesquels un jury de grands lecteurs devra choisir les trois gagnants s’est faite statistiquement et démocratiquement par vote sur notre site. Les Grands Lecteurs ont été choisi parmi les plus participatifs et les plus représentatifs des acteurs du livre ( bloggeurs autant que libraires), aucun que l’on puisse taxer de lien de connivence, si ce n’est la complicité d’un lecteur avec un autre.

Vous me direz, pourquoi notre sélection est différente des autres et pourquoi le web, comme support de ce prix ? Parce que notre sélection est celle d’une large communauté de lecteurs, aussi large et diverse que le web littéraire, dépassant donc le périphérique et les querelles de chapelle stylistique. Parce que nous avons réussi un défi qu’aucun autre média que le web pouvait permettre : chroniquer, et ainsi offrir le choix à tous de découvrir, une majorité des romans de la rentrée littéraire. Chroniques de la rentrée littéraire a réuni 200 bloggeurs, 200 experts en objets aimés, en fusionnant sur une même plateforme, des bloggeurs amateurs provenant d’Ulike, ou Babelio, des bibliothécaires de Chermedia, des amateurs éclairés ou des journalistes et libraires, le tout avec l’aide active de Silicon Sentier et 22mars. Ces 200 participants ont chroniqué les quelques 300 romans que les éditeurs partenaires ( et je dis partenaire à dessein, car certains d’entre eux nous ont refusé de beurrer fraichement nos chroniques à leur couleur, si vous voyez de qui je veux parler). Nous avons ainsi pu découvrir des auteurs, des ouvrages dont aucun autre media n’a parlé ou confirmer la bonne impression qu’une critique-presse nous avez donné. Tous ont été lus et commentés. Tous ont été traités avec la justesse et la passion qui anime tous les véritables lecteurs. Enfin, nous tenons à récompenser un de ceux qui, par gout de la littérature, s’est jeté dans ce défi et a pris le temps et fait l’effort de lire, rechercher, chroniquer et finalement , transmettre son sentiment, son analyse sur un ouvrage : le chroniqueur, celui qu’on ne prime jamais mais qui est le véritable passeur du message d’amour des romans.

Le 10 novembre sera donc l’apogée de cette aventure avec la remise du premier Grand Prix Littéraire du Web, la fête d’une véritable réussite communautaire. Nous vous offrirons les chroniques des 3 romans primés pour vous faire partager notre engouement. Bien sûr, vous pouvez découvrir les 300 autres sur notre site, et les prochains, ceux de la rentrée de janvier, car ce défi est fait pour continuer … avec votre aide si vous le voulez ;-)

[disclaimer] Owni est partenaire de l’évènement, et espère vous y voir nombreux /-)

» Téléchargez l’invitation à la soirée de remise des prix animée par David Abiker

» Le site Chroniques de la rentrée littéraire

» La présentation du Grand Prix avec les liens vers les chroniques des nominés

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Chroniques de la rentrée littéraire: qui a eu cette idée folle ? http://owni.fr/2009/08/28/rentree-litteraire-qui-a-eu-cette-idee-folle/ http://owni.fr/2009/08/28/rentree-litteraire-qui-a-eu-cette-idee-folle/#comments Fri, 28 Aug 2009 18:30:09 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=2953 Qui a eu cette idée folle, un jour d’inventer …

Empruntons à France Gall ces rimes si poétiques et parlons de la rentrée. La rentrée est le symbole des cartables et feutres à acheter, et du retour devant la machine à café après le soleil de l’été. S’il est un point commun entre écoliers et éditeurs, c’est bien la rentrée. Septembre est le moment pour les éditeurs de se présenter sous leur meilleur jour, en espérant jouer dans la cour des grands et obtenir un satisfecit en novembre si possible : le Goncourt pour les grandes classes, ou un de la dizaine d’autres prix existants.

Chaque année donc en septembre, le lettreux sort de son trou pour observer la rentrée littéraire. Et chaque année, un tsunami de papier le submerge lui, et la table de son libraire. 659 romans pour cette rentrée et estimez vous chanceux, le nombre est en baisse pour 2009 ( 670 environ l’année dernière). Imaginez vous devant la table du libraire avec 659 exemplaires étalés devant vous et un budget de 100 euros obligeant à faire un choix. Plusieurs techniques sont possibles : la lecture de la quatrième de couverture de façon méthodique ( prévoir une journée) , le repérage à la couverture la plus avenante ( plus facile de tomber sur un bon marketeur que sur un bon écrivain), se munir d’un Télérama, le Monde des Livres ou autres et suivre les chemins balisés ( selon le journal choisi Christine Angot ou François Bégaudeau sont des génies cqfd…) ou le pifomêtre qui au mieux peut permettre la découverte au pire le gaspillage. Bref, pour des amoureux de la littérature, comme moi, cela signifie toujours passer à côté de romans qui mériteraient un écho, un public.

Personnellement, j’attaque un entraînement psychologique et physique de haute volée dés le mois de juin pour ne pas me noyer en septembre : éplucher les catalogues des à paraître des maisons d’édition, préparation en amont de ma banquière, changement de lunettes, achat de carnets de notes. Malgré tout je passe toujours à côté d’un ou deux romans que je découvre des années après. Rageant ! Mais cette année, la lumière est venue à moi et la solution s’est imposée : pourquoi ne pas utiliser la merveilleuse ressource qu’est internet correctement ? pourquoi ne pas rendre communautaire ce défi que représente les 659 romans ? bref pourquoi ne pas utiliser les média sociaux pour choisir et aimer les livres de cette rentrée ?

Ce n’est pas le tout d’être touchée par la lumière et de se prendre pour Bernadette Soubirous encore faut-il que le reste du monde croit à votre miracle ! Et là, des dizaines d’immaculées conception de pacotille vous le diront : c’est difficile, il faut expliquer. Le web regorge d’amateurs de littérature éclairés qui discutent sans véritable passerelle d’achoppement de blog à blogs de leur passion. Les avis fusent et se diffusent et il est notable de voir la différence de point de vue existant entre les média traditionnels et le net. Evidemment, on peut me répondre que les journalistes eux sont très éclairés alors que nous apparemment nous n’avons la lumière qu’au fond de notre grotte. Pourtant sans être ségoléniste dans l’âme, je pense que les lecteurs sont les meilleurs experts de ceux qu’ils lisent : le vrai pouvoir de recommandation c’est eux qui le détiennent, rien de mieux qu’un ami vous offrant un livre pour avoir envie de lire. Après une discussion passant de Fleisher à Vialatte (surtout Vialatte !), Raphaël Labbé de Ulike et votre Bernadette Soubirous, se sont associés autour de cette idée folle : faire chroniquer la majorité de la rentrée littéraire par le net. Cette discussion littéraire que nous avions envie de partager avec le plus grand nombre est le véritable acte de naissance, le Noël de Chroniques de la rentrée littéraire.

Avant de vous distribuer en cadeau les chroniques, ce fut un long périple digne de la traversée du désert des rois mages, vers ces 659 impossibles étoiles. Comme votre servante Bernadette et Raphaêl n’avaient aucune envie de porter le poids de la rentrée littéraire seuls (659 multiplié par 500g en moyenne, faites le calcul ), nous nous sommes alliés d’autres illuminés littéraires. D’abord, Notre bonne Dame de la Librairie priez pour nous, Magali Porlier de Silicon Sentier. Cette association à la pointe des nouvelles technologies nous a offert un lieu, son expertise et toute sa bonne volonté et surtout sa patience dans le contact avec les éditeurs. Ensuite, Sainte-Cher-Bibliothèque de son petit nom Chermedia qui s’est jetée dans le défi avec ferveur, heureuse de faire chroniquer des ouvrages inédits par ses participants. Puis, la Babel du livre nous a rejoint , parlant le même langage d’amoureux des livres que nous : Babelio. Et enfin, ceux qui ont transportés nos paquets sur le net jusqu’au pied du sapin, Aurélien et Tom, nos deux anges du code, ont réalisé le joli paquet cadeau qu’est le site.

Bon c’est pas tout de faire les ravis autour de la crèche, mais il a tout de même fallu remplir les cadeaux. Et là autant vous le dire, pas de petits elfes pour nous seconder. Le poids du traîneau s’est fait lourd auprès des éditeurs. Nous les avons contacté un par un leur expliquant notre miraculeuse idée et les invitant à communier avec nous sur le net. Je peux vous dire que nous avons croisés beaucoup d’impies ! Si une inquisition du net existait, le monde des éditeurs auraient beaucoup de grands brûlés à déplorer. Je ne voudrais pas jeter d’anathème nominatif mais dans la série des blasphèmes, nos oreilles ont souffert de phrases du genre : « mais le net cela ne sait pas lire, je préfère déjeuner avec le critique de Libération » ou « une plateforme, ca a quelle forme ? » ou « bloggeur ca veut dire quelqu’un qui raconte sa vie sur le net, quel intérêt ? ». Certains géants de l’édition sur nos épaules de nains d’amateurs de littérature ont même participé du bout des lèvres, pour ne pas dire pas du tout ( allez voir notre liste vous les reconnaitrez). Bref, récupérer une majorité des romans de la rentrée littéraire ne fut pas une sinécure.

A l’inverse, le bloggeur est croyant, voir fanatique. Lorsque nous avons proposé ce défi aux bloggeurs de chaque communauté et à ceux extérieurs à celles-ci, les mains se joignant pour recevoir le roman ostie de la rentrée en exclusivité et pour déposer sur notre site l’obole d’une chronique ont rempli notre sacristie ! Et il n’est de meilleure religion que la littérature, qui grâce à ses fidèles a réussi le défi de soulever le poids de la rentrée, joyeusement, en chantant un gospel pour convaincre les impies : « Ohhhh happy rentrée… quand le bon roman viendra … et il viendra…. Nous saurons le recommander ». L’auteur aussi est croyant puisque certains d’entre eux viennent participer, en rédigeant des chroniques pour certains, en commentant pour d’autres, en nous envoyant leur roman. Les auteurs dans leur infinie sagesse nous ont accordés des interviews , petits suppléments d’âmes que nous destinons à nos lecteurs et dédicaçons à nos chroniqueurs.

Noël pour nous sera en octobre cette année: le jour où nous pourrons au travers des coups de cœur que nous mettons en valeur et par le vote des lecteurs et des bloggeurs, offrir en cadeau un prix au meilleur chroniqueur, celui qui est l’oublié des rentrées, celui qui fait l’effort d’avoir une bonne plume après le plaisir de la lecture, et un podium des romans, plébiscités par nos lecteurs. Et moi Bernadette, je vous invite à venir déballer les cadeaux avec nous ce jour-là et en attendant le champagne, de grignoter quotidiennement en apéritif les chroniques du site.

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Twitter, un roman d’émancipation en temps réel http://owni.fr/2009/05/11/twitter-un-roman-demancipation-en-temps-reel/ http://owni.fr/2009/05/11/twitter-un-roman-demancipation-en-temps-reel/#comments Mon, 11 May 2009 02:00:12 +0000 Abeline Majorel http://owni.fr/?p=1041  Twitter est, par nature, romanesque, et je ne parle pas des twitteromans, expériences d’écriture, plus ou moins réussies, je parle de son essence même. Les Vagues de Virginia Woolf m’ont confirmé dans cette intuition, au cours de leur lecture en ce long week-end.

Les Vagues, ce sont six personnages qui monologuent, trois hommes trois femmes, chacun exprimant comme le ressac, son angoisse ou sa sérénité, sa peur ou sa joie. Chaque destin s’entremêle sans qu’une seule fois la construction narrative ne les fasse réellement dialoguer. Et, rythmant leur soliloque, s’intercalent des chapitres décrivant la course du soleil sur la mer, point d’ancrage de ses autofictions multiples dans une dimension temporelle stable. Des vies tranquilles, plates en apparence comme un océan durassien pourtant pleinement conscientes de leur individualité prise dans le flux de la vie. Mais, surtout, il y a ce  septième personnage, qui ne s’énonce jamais directement, Percival, ce mystère que tous les autres connaissent, et qui n’est connu de nous que par leurs analyses.

Dans ce roman, les  six personnages sont donc six centres perceptifs différents, qui utilisent la même manière de dire JE, la même voix de l’impersonnel. Comme sur Twitter (ou autre site de microblogging) où la modalité du JE est imposée à l’utilisateur par le format. Dans un rapport proustien à l’autofiction, Virginia Woolf obtient de ses personnages un regard rétrospectif sur leur narration. Comme Twitter, qui plonge l’utilisateur dans une auto-fictionnalisation de son quotidien : en permettant à tous de se raconter, de lier et de commenter, le microblogging ne donne pas accès à des faits véritables,  mais à des récits. Les Vagues sont une sorte de PARATAXE de l’individualité : dans le récit de chacun se trouve non seulement son écho intérieur mais aussi la conscience de son appartenance à un monde en mouvement perpétuel. Comme Twitter, où les vagues d’updates sont rythmées autant par l’humeur de l’utilisateur que par la résonance qu’à en lui le flux puissant des autres micro- bloggueurs. La pérennité partielle des posts et la possibilité de référencement produisent même en creux, et aux yeux de tout lecteur, une construction antéchronologique de personnage, non dénué d’affect, puisque tout microbloggeur fonctionne avant tout en réaction.

Les Vagues questionnent les limites de l’individu autant que celle de l’écriture. Le parallèle entre la limitation à 140 signes du microblogging et la limite de l’écriture pour signifiant qu’il peut être n’est pas suffisant. Il serait plus juste d’évoquer la recherche stylistique de Dos Passos, faisant se croiser les destins des personnages qui communiquent par des modes d’énonciation empruntés aux bulletins d’information, ou à la publicité, pour chercher la limite de forme d’écriture du microblogging. Nonobstant la forme, le microblogging est  romanesque par essence c’est-à-dire qu’il est une construction qui « égalise les personnages et dissout les enchaînements d’action dans la multiplicité des accidents de la vie », il interroge les limites de l’individu c’est-à-dire celle de sa perception. Comme dans les Vagues où le septième personnage, Percival, est la résultante des échos intérieurs des six autres personnages aux yeux du lecteur,  Twitter se fait l’index romancé du monde. Comme dans le roman de Virginia Woolf, la Gestalt applique sa loi du destin commun aux personnages-twitterusers : les parties en mouvement ayant la même trajectoire de forme sont perçues comme faisant partie d’une même forme, et créent donc une pensée communautaire moderne.

Moderne parce qu’en littérature, la modernité est apparue avec la purification des sujets au profit du style, d’une forme absolue. Loin d’une écriture automatique, l’écriture de microblogging est moderne, par sa forme imposée, mais surtout, dans ce roman du monde en temps réel qu’elle propose, par le bricolage littéraire qu’elle impose. La multitude des posts rend la perception du réel diffuse et vouée à l’incomplétude, pourtant, comme une ligne mélodique, en fond, se distingue une entité stable. Pour la trouver, il est nécessaire de passer de notre zone de perception habituelle à une autre zone de perception. Par la fonction hypertextuelle de  SURVISION, et son double mouvement de distance critique et dialectique, nous entrons dans une sphère moderne de perception et faisons apparaitre du DISSENSUS au cœur de notre compréhension de l’outil-roman Twitter. En partageant chacun notre réalité en temps réel, nous déconstruisons des dispositifs de pensée pour reconfigurer des réseaux de références et cartographier des possibles communautaires.

Or, l’émancipation se définit ainsi, par la reconfiguration du champ de perception d’un individu. Twitter est donc un outil d’émancipation à échelle planétaire, en plus d’être le roman en temps réel du monde.

 

 1-Les liens se rapportent aux auteurs des notions citées. 

 

 

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