OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La petite musique des fonds d’investissement http://owni.fr/2011/01/20/la-petite-musique-des-fonds-dinvestissement/ http://owni.fr/2011/01/20/la-petite-musique-des-fonds-dinvestissement/#comments Thu, 20 Jan 2011 16:18:19 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=29730 Philippe Astor (@makno), journaliste spécialiste de l’industrie de la musique, a co-fondé le site Electron Libre, publie sur Musique Info et est blogueur sur digitaljukebox.fr.

De plus en plus de fonds d’investissement jètent leur dévolu sur les actifs d’une industrie musicale exsangue après dix ans de crise du disque. Tous les fonds de catalogue prestigieux, qui promettent de se transformer en vaches à lait, suscitent désormais leur convoitise. Mais ils goûtent moins la prise de risque que constitue l’investissement dans la production et le développement de nouveaux talents, ce qui n’est pas très bon signe.

A quelques jours du Midem 2011, ce n’est plus qu’un secret de polichinelle : le second semestre 2010 s’est révélé beaucoup moins bon en terme de ventes de musique que le premier, au point que le SNEP pourrait annoncer, lors de sa conférence de presse annuelle à Cannes, un recul du marché de gros de l’ordre de 4 %. A noter que l’embellie des ventes de gros de fin 2009 et des six premiers mois de 2010 ne s’est jamais traduite par une embellie des ventes de détail.

Dans un contexte économique qui n’est toujours pas reluisant, certains acteurs du marché parviennent cependant à tirer leur épingle du jeu, au point même de susciter l’intérêt d’investisseurs en capital risque. C’est par exemple le cas de X5 Music Group en Suède. Ce n’est pas une start-up de musique en ligne mais un label au profil atypique, qui vient de lever 7 millions d’euros auprès du fonds de capital risque NorthZone Ventures, principal actionnaire de Spotify..

X5 Music Group ne produit pas de phonogrammes et n’investit pas dans le développement de nouveaux talents, mais s’est spécialisé dans l’acquisition de droits “masters” sur des compilations de fond de catalogue qu’il licencie à différentes plateformes de musique en ligne et à des agrégateurs pour les exploiter en ligne.

Des « Early Years » de Roy Orbisson aux « #1 Hits » d’Elvis Presley, en passant par « The Very Best » de Stan Getz, le « 75 Year Anniversary » de Gene Vincent ou « The Complete B » de Billie Hollidays, X5 Music fait son marché dans les vieilleries de fond de catalogue et les compilations de tout acabit : de rock, de jazz, de country, de blues, de classique, etc.

Et ça marche ! Le label se présente ainsi comme le premier partenaire, en Europe, de plateformes de téléchargement comme iTunes ou Amazon MP3, avec quelques 70 millions de ventes en téléchargement au compteur. Avec les fonds levés auprès de NorthZone Ventures, la compagnie s’apprête désormais à pénétrer sur le marché américain, où cet argent lui permettra d’acquérir de nouveaux droits masters, afin de les exploiter sur Interne

Mauvaise pioche

Passons sur la mauvaise pioche du fonds d’investissement britannique Terra Firma, qui a racheté en 2007 la maison de disques EMI (et ses prestigieux catalogues d’édition et de masters), au prix fort, par effet de levier, c’est à dire en s’endettant lourdement au plus mauvais moment, avant que n’éclate la crise des subprimes. Entre temps, EMI a enregistré des résultats plus qu’honorables, mais pas au point de pouvoir faire face aux échéances de sa dette et d’éviter que la banque américaine Citigroup, qui a financé son rachat, ne mette à plus ou moins brève échéance la main sur l’ensemble de ses actifs, avant d’en organiser la vente par appartements.

Or derrière les repreneurs potentiels, supputés ou déclarés, des actifs d’EMI, se cachent d’autres fonds d’investissement, qui semblent décidément très séduits par un marché de la musique pourtant réputé exsangue. Il en va ainsi de ceux (dont l’américain Bain Capital) qui ont financé le rachat de Warner Music à AOL Time Warner aux côtés d’Edgar Bronfman, et qui ont d’ailleurs très vite récupéré leurs billes à l’issue de cette opération, ou encore du fonds KKR (Kohlberg Kravis Roberts & Co), actionnaire de BMG Rights Management à hauteur de 51 % aux côtés du groupe de médias allemand Bertelsmann.

Dans un article publié sur Electronlibre.info, je retrace la génèse de BMG Rights Managemment, structure dédiée à la gestion de droits masters et d’édition dans le secteur de la musique, dont la création et la montée en puissance ces deux dernières années marquent un retour en force de BMG (l’une des cinq majors du disque au début des années 2000, qui avait complètement disparu des radars de l’industrie musicale en 2008) sur le devant de la scène.

Cette nouvelle structure s’est lancée depuis fin 2008 dans une politique d’acquisition tous azimuts de catalogues d’édition prestigieux. Après avoir acquis l’éditeur Crosstown Song America en juillet 2009, BMG Rights Management a entre autre mis la main sur Cherry Lane Music Publishing en mars dernier, l’un des plus gros éditeurs indépendants américains, avant de racheter le célèbre éditeur britannique Chrysalis, au mois de novembre 2010.

En quête de vaches à lait

Les éditeurs de musique, qui représentent les droits des auteurs-compositeurs (partitions et paroles), ont beaucoup moins souffert de la crise du disque que les producteurs de phonogrammes, au point que dans leur globalité, leurs revenus ont légèrement progressé au cours des dix dernières années à l’échelle mondiale, la multiplication des canaux de diffusion (à l’origine d’une augmentation des droits d’exécution publique qu’ils perçoivent) et le développement du placement de musique à l’image (synchro), qui peut être très rémunérateur, ayant compensé la baisse des revenus qu’ils tirent des ventes de disques (droits de reproduction mécanique).

Aussi certains catalogues d’édition constituent-ils de véritables vaches à lait et ont-ils suscité la convoitise ces dernières années. Le secteur a connu une véritable redistribution des cartes, au cours de laquelle Universal Music, en rachetant le catalogue de BMG Music Publishing, s’est hissé à la place de numéro un mondial. Mais cette convoitise s’oriente clairement, désormais, vers les droits sur les masters de fond de catalogue, qui retrouvent une seconde jeunesse sur Internet, en particulier avec le développement du streaming (1).

Ainsi BMG Rights Management se dit-il beaucoup plus intéressé, aujourd’hui, par l’acquisition des droits masters d’EMI que par celle de ses droits d’édition, beaucoup plus chers à acquérir, et beaucoup moins rémunérateurs sur Internet, qu’il s’agisse de streaming ou de téléchargement. S’agissant d’un fond de catalogue prestigieux, qui a toutes les chances de se transformer en vache à lait, cela n’a rien d’étonnant. D’autant que son exploitation ne revêt aucune prise de risque.

Par contre, ni BMG Rights, ni X5 Music, à une moindre échelle, ne manifestent de velléités d’investir dans la production ou le développement de nouveaux talents, ce qui n’est pas très bon signe. D’un industrie essentiellement axée sur la production de nouveautés, appelées à constituer les fonds de catalogue de demain, l’industrie de la musique risque fort de se transformer de plus en plus en machine à exploiter des standards dont la production a déjà été largement amortie et à resservir essentiellement des plats réchauffés.

A moins que ne se crée un cercle vertueux qui verrait les revenus générés par les fonds de catalogue être réinvestis dans la production. Mais il faudrait pour cela que ceux qui mettent aujourd’hui la main sur ces fonds de catalogue, d’édition comme de masters, soit plus animés par l’amour de la musique que par l’appât du gain, ce qui, s’agissant de fonds d’investissement, est loin d’être gagné.

(1) Alors qu’à peine 20 % des titres de musique référencés sur iTunes se vendent, 70 % de ceux qui figurent dans le catalogue de Spotify sont écoutés

Article initialement publié sur Digital Jukebox

Crédits Photos : FlickR CC : Daniel Hedrick; Wiity Name; Domien

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Spotify : le freemium devient rentable ? http://owni.fr/2010/12/06/spotify-le-freemium-devient-rentable/ http://owni.fr/2010/12/06/spotify-le-freemium-devient-rentable/#comments Mon, 06 Dec 2010 10:56:34 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=28617 Une perte nette de £16,6 millions (19,6 M€) à rapporter à un chiffre d’affaires de £11,3 millions (13,3 M€) : ce sont les résultats de Spotify Ltd, l’entité commerciale principale de la compagnie, et opérateur du service de streaming de musique à l’échelle européenne.

Révélé par le site Music Ally la semaine dernière, ces chiffres laissent le doute subsister quand à la rentabilité du modèle économique freemium. Mais les prévisions encourageante de l’exercice 2010 pourraient changer la donne.

Le service de musique en ligne Spotify, qui a encore enregistré de lourdes pertes en 2009, pourrait bien atteindre l’équilibre en 2010. A condition que la forte progression des abonnements et de la publicité enregistrée sur les neufs premiers mois de l’année se soit poursuivie jusqu’à fin décembre.


Les comptes officiels de la filiale britannique de Spotify, Spotify Ltd, font état d’une perte nette de £16,6 millions en 2009 (19,6 M€), pour un chiffre d’affaires de £11,3 millions (13,3 M€). Ces résultats rendent compte des performances de la start-up de musique en ligne sur l’ensemble des territoires européens où elle est présente (Royaume-Uni, Suède, France, Espagne, Finlande, Norvège, Pays-Bas).

Selon son bilan, dont nous nous sommes procuré une copie intégrale (PDF), Spotify Ltd est en effet l’opérateur direct du service de streaming dans tous ces pays et la principale entité commerciale de la maison mère Spotify Technology SA, basée au Luxembourg.
Dans le détail, les revenus engrangés par Spotify Ltd en 2009 proviennent à 60 % des abonnements, à hauteur de £6,8 millions (8 M€), et à 40 % de la publicité, à hauteur de £4,5 millions (5,3 M€). Au 31 décembre 2009, Spotify revendiquait 7 millions d’utilisateurs, dont 250 000 abonnés, soit un taux de conversion en utilisateurs payants de 3,57 %.

Les coûts de vente de la société, qui couvrent notamment les sommes versées aux ayants droit, se sont élevés à £18,8 millions sur la période (22,1 M€), auxquels se sont ajoutés des coûts de distribution et les dépenses administratives, pour un montant global de £8,8 millions (10,3 M€).

Forte progression de l’abonnement

Fin octobre, Spotify indiquait à Music Ally avoir versé 40 M€ aux ayants droit depuis son lancement, dont 30 M€ sur les huit premiers mois de l’année 2010. Une indication que le chiffre d’affaires de la compagnie, qui revendiquait 601 000 abonnés à fin septembre 2010, dans un document confidentiel adressé à certains ayant droit auquel ElectronLibre a eu accès, aura nettement progressé cette année.

Selon l’évolution du nombre d’abonnés à Spotify, révélée dans ce document, le chiffre d’affaires lié à l’abonnement était déjà de l’ordre de 35 M€ en septembre 2010. Il pourrait atteindre environ 55 M€ fin 2010 si l’objectif déclaré de 770 000 abonnés est atteint, ce qui est en bonne voie. Soit une progression de 587 % sur un an.


Le chiffre d’affaires publicitaire de Spotify aura-t-il progressé dans les mêmes proportions dans l’intervalle ? Les documents dont nous disposons nous permettent de calculer qu’au huitième mois de l’année, les abonnements avaient rapporté 28,5 M€ à Spotify, qui a reversé environ 70 % de ce chiffre d’affaires aux labels, soit près de 20 M€.

C’est-à-dire les deux tiers des droits que la compagnie a déclaré avoir payé en 2010 à cette date. 10 M€ de droits proviendraient donc de la publicité, sur le chiffre d’affaires de laquelle Spotify reverse 50 % aux ayants droit ; soit un CA publicitaire pouvant être estimé à 20 M€ sur les huit premiers mois de 2010, et qui pourrait donc s’établir autour de 30 M€ sur l’ensemble de l’année. Il afficherait ainsi une progression de l’ordre de 660 %. Le chiffre d’affaires global de Spotify Ltd devrait ainsi s’établir autour de 85 M€ en 2010.

Équilibre en perspective

Dans ces conditions, la start-up suédoise pourrait très vite devenir profitable en Europe, avec une proportion croissante de ses revenus en provenance de l’abonnement, qui s’avère beaucoup plus rémunérateur pour les ayants droit, et un taux de conversion en abonnés payants qui devrait se situer autour de 6,5 %. Une ambition que son PDG, Daniel Ek, a déjà affichée publiquement.
En se basant sur notre estimation des revenus publicitaires et d’abonnement de la compagnie en 2010, elle devrait reverser un total de 53,5 M€ aux ayants droit cette année ; le solde (31,5 M€) permettant largement de couvrir ses autres coûts d’exploitation (la part des coûts de vente qui ne relève pas des royalties à payer, les coûts de distribution et les dépenses administratives), pour peu qu’ils ne s’envolent pas.

Leur marge de progression supportable, pour parvenir à l’équilibre dès 2010, est selon nos calculs de l’ordre de 45 %. De là à considérer que Spotify est sur le point de démontrer la rentabilité de son modèle freemium, il n’y a qu’un pas, qui pourra certainement être franchi dès que Spotify Ltd aura publié son bilan 2010.

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Cet article a été initialement publié sur Electron Libre

CC flickr : pedroarilla, Johan Larsson, louisvolant

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Spotify : bienvenue au paradis (fiscal) http://owni.fr/2010/11/29/spotify-bienvenue-au-paradis-fiscal/ http://owni.fr/2010/11/29/spotify-bienvenue-au-paradis-fiscal/#comments Mon, 29 Nov 2010 16:54:16 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=28458 Philippe Astor aka @makno analyse ici la situation fiscale de Spotify, cette “nouvelle” plateforme dont tout le monde suit l’évolution du modèle de près. Il livre une enquête de fond révélant l’absurdité du système fiscal français concernant les secteurs technologiques.

La publication de ses résultats pour l’année 2009 par la filiale anglaise de Spotify, Spotify Ltd, m’a incité à mener une petite investigation sur Internet, qui m’a permis de mettre à jour un drôle de montage, dont l’optimisation fiscale ne fait aucun doute.

Après avoir parcouru de nombreux articles de médias étrangers sur les résultats de Spotify Ltd en Angleterre, le doute persistait, dans mon esprit, sur leur véritable périmètre. Je me suis donc rendu sur le site de Companies House (registre du commerce britannique) pour commander le rapport annuel 2009 de Spotify Ltd. Après lecture, il apparaît que ces résultats concernent l’ensemble des activités commerciales de la plateforme de streaming en Europe (publicité et abonnement), qui a enregistré une perte de nette de £16,6 millions en 2009 (19,6 M€), pour un chiffre d’affaires de £11,3 millions (13,3 M€).

Il apparaît également que les filiales de Spotify dans les autres pays européens, dont Spotify France SAS, ne sont que des succursales commissionnées par Spotify Ltd sur la vente de publicité : de simples régies publicitaires, en somme, qui ne déclarent certainement, en terme de chiffre d’affaires, que les commissions perçues (de l’ordre de 30 % à 40 % des ventes pour les régies Internet en général, mais rien ne dit que le taux de commission des succursales de Spotify soit aussi élevé), et non le chiffre d’affaires publicitaire réel de Spotify en France.

Le compte de résultat simplifié de Spotify France SAS, visible sur Societe.com, fait état d’un résultat net de 2000 € en 2009, pour un chiffre d’affaires de 265 K€ réalisé à 100 % à l’export, ce qui tendrait à confirmer que cette filiale se contente de facturer des prestations de régie publicitaire à Spotify Ltd, qui doit donc facturer elle-même directement les annonceurs recrutés en France depuis le Royaume Uni, avec des contraintes fiscales (taux de TVA et d’imposition sur les bénéfices des sociétés) qui ne sont évidemment pas les mêmes.

Délocalisation fiscale

Cette pratique de “délocalisation fiscale” des revenus des sociétés Internet est malheureusement assez courante (pour ne pas dire qu’elle constitue la règle), et le le fisc français est certainement rompu au calcul du manque à gagner pour l’État français. C’est ce qu’on essaie notamment de contrer avec la « taxe Google », adoptée par les sénateurs cette semaine, comme s’il suffisait de pisser dans un violon.

Mon investigation ne s’est pas arrêtée là dans la mesure où autre chose me titillait encore. Je me rappelais, en effet, avoir lu il y a déjà un petit moment un article de Paidcontent, dont je n’ai pas retrouvé la trace de suite, sur les résultats de Spotify AB en Suède. De mémoire, il faisait état de pertes relativement substantielles en 2008 et dressait un profil financier de cette société qui ne cadre pas avec celui d’une simple régie publicitaire comme Spotify France SAS.

La question que je me posais alors était toute bête : pouvais-je considérer, oui ou non, que les résultats publiés par Spotify Ltd pour l’année 2009 englobaient ceux de l’exploitation du service (publicité et abonnement) en Suède ? Afin d’en avoir le cœur net, je me suis rendu sur le site du registre du commerce suédois en quête du dernier rapport annuel de Spotify AB, ne serait-ce que pour savoir quelle était la nature de son activité.

Quelle ne fut pas ma surprise de constater que cette entreprise a dégagé, en 2009, un résultat net positif de 14,1 million de SEK (1,5 M€), pour un chiffre d’affaires de 90,3 millions de SEK (9,6 M€). Se pouvait-il qu’un service de streaming comme Spotify soit déjà rentable en Suède ? Voilà qui valait le coup d’être creusé ! Mais après avoir passé plus de deux heures à éplucher ce rapport rédigé en Suédois avec l’aide de Google Traduction, j’ai malheureusement dû me rendre à l’évidence : il ne m’apporterait pas la réponse escomptée.

En passant par l’Angleterre

C’est en retrouvant l’article de Paidcontent dont j’avais perdu la trace, que j’ai finalement pu mettre un terme à mon interrogation. Il précise en effet que Spotify AB, en Suède, regroupe toutes les activités de recherche & développement de Spotify, Spotify Ltd regroupant bien, pour sa part, toutes les activités commerciales du groupe en Europe, quelque soit le territoire où le service de streaming musical est délivré. Cela vaut pour la vente de publicité, par l’intermédiaire de régies implantées localement qu’elle commissionne, mais aussi pour les abonnements, dont les revenus échappent aussi au fisc local.

Les conditions d’utilisation du service établissent bien une relation contractuelle entre l’utilisateur et Spotify Ltd, qu’il soit abonné ou non, et quelque soit le pays dans lequel il se trouve. Par ailleurs, le nom de domaine Spotify.com appartient à cette entité, et tous les URL localisés de Spotify, de type Spotify.fr ou Spotify.se, renvoient vers ce domaine, à une adresse de type Spotify.com/fr/ ou Spotify.com/se/.

On apprend par ailleurs, dans le rapport annuel de Spotify AB, que c’est une filiale à 100 % d’une holding baptisée Spotify Technology SA et enregistrée depuis 2006 au Luxembourg. Pressé de dérouler jusqu’au bout le fil de mon investigation, je commandais illico, sur le site du registre du commerce et des sociétés de ce vénérable petit pays, le dernier rapport annuel de cette holding.

Spotify Technology SA, la luxembourgeoise, qui a déclaré un chiffre d’affaires de 56 K€ en 2009 et une perte nette de 558 K€, est une holding regroupant cinq filiales détenues à 100 %. Parmi elles figurent Spotify USA LLC, société “dormante” enregistrée aux Etats-Unis ; Spotify AB, basée en Suède ; et Spotify Ltd au Royaume Uni, dont dépendent manifestement les régies publicitaires ouvertes dans plusieurs pays européens. Mais on trouve aussi la référence à deux autres filiales détenues à 100 % : Spotify Technology Holding Ltd et Spotify Technology Sales Ltd, toutes deux enregistrées à… Chypre!

Impuissance politique

Inutile de m’étendre sur la nature “paradisiaque” de la fiscalité chypriote. Ces deux sociétés sont bien enregistrées là-bas, et le rôle qu’elles s’apprêtent à jouer dans l’évasion des bénéfices éventuels de la start-up ne fait aucun doute.

On pourrait crier au loup, jeter la pierre à Spotify, comme à Google ou Apple, ou bien se réjouir qu’un acteur européen ne s’en laisse pas conter et se donne les moyens de jouer dans la cour des grands. Je préfère, pour ma part, renvoyer la balle dans le camp des pouvoirs publics européens, et les mettre face à leur impuissance à réduire, jusque là, les fortes distorsions de concurrence et la captation de valeur indue que tout cela entraîne. A quand un moratoire sur une TVA réduite et harmonisée pour le e-commerce partout en Europe ? Quant aux problèmes de délocalisation des bénéfices, il faudrait déjà avoir le courage politique de balayer devant notre porte (que certains grands groupes français du CAC40 ne se sentent surtout pas visés).

Article initialement publié sur: ZDNet.fr

Crédits photos CC flickr: jfournier; Kazaa; Neesflin

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http://owni.fr/2010/11/29/spotify-bienvenue-au-paradis-fiscal/feed/ 4
Et si les contenants étaient l’avenir de l’industrie musicale? http://owni.fr/2010/11/10/et-si-les-contenants-etaient-lavenir-de-lindustrie-musicale/ http://owni.fr/2010/11/10/et-si-les-contenants-etaient-lavenir-de-lindustrie-musicale/#comments Wed, 10 Nov 2010 19:01:31 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=35284 Retrouvez cet article et bien d’autres sur OWNImusic


Quelle que soit l’efficacité de la loi Création et internet pour endiguer le téléchargement illégal, ou la légitimité du message adressé par les ayants droit aux internautes par l’intermédiaire de cette nouvelle législation – tout créateur doit pouvoir prétendre à une rémunération équitable dès lors que ses œuvres sont mises à la disposition du public ou exploitées, la question d’une redéfinition radicale des modèles économiques de l’industrie musicale à l’heure d’internet reste entière.

Les conséquences de la rupture technologique liée à la révolution numérique et au développement d’Internet, John Perry Barlow, fondateur de l’Electronic Frontier Foundation et ancien parolier des légendaires Grateful Dead, les résumait déjà en des termes on ne peut plus clairs en 2003 :

L’énigme à résoudre est la suivante : si nos biens peuvent être reproduits à l’infini et distribués instantanément dans le monde entier sans le moindre coût, sans que nous en ayons connaissance, et sans même que nous en soyons dépossédés, comment pouvons-nous les protéger ? Comment allons-nous être rémunérés pour le travail de notre esprit? Et si nous ne pouvons être rémunérés, qu’est-ce qui va permettre de poursuivre la création et la distribution de ces biens ?

Le dispositif de riposte graduée mis en place par la loi Création et Internet tente d’apporter une réponse à ce dilemme, en essayant de limiter la manière dont les œuvres peuvent être reproduites et distribuées à l’infini sur Internet, sans l’autorisation de leurs auteurs. Mais ce dispositif souffre déjà de nombreuses failles avant même d’avoir été activé, et tout le monde en est bien conscient, y compris ses défenseurs les plus ardus.

Aux générations successives de réseaux peer-to-peer (P2P), de Napster à BitTorrent, succèdent désormais des systèmes d’échange plus privatifs – d’amis à amis ou friend-to-friend (F2F) -, comme le logiciel open source OneSwarm, qui fait appel à la cryptographie et préserve l’anonymat de ses utilisateurs.. « OneSwarm est capable de résister au monitoring systématique qui est devenu chose courante aujourd’hui sur les réseaux P2P publics », confirment ses créateurs, dont les travaux de recherche sont officiellement supportés par la National Science Foundation et l’Université de Washington aux États-Unis.

Les limites de la riposte graduée

Les canaux empruntés par les échanges de biens numériques entre particuliers se sont en outre largement diversifiés au cours des dernières années : des newsgroups ou forums de discussion du réseau Usenet aux Direct-to-download links (liens de téléchargement directs) vers des plateformes d’hébergement comme Rapidshare, en passant par les logiciels de messagerie instantanée. La liste des protocoles de communication qu’il serait nécessaire de surveiller pour exercer un contrôle efficace sur la circulation des œuvres sur Internet s’allonge de jour en jour.

La surenchère de moyens de surveillance à mettre en œuvre, outre le fait qu’elle est susceptible de soulever de manière récurrente de nombreuses questions relatives à la protection de la vie privée et au respect des libertés publiques, risque d’engendrer des coûts bien plus rédhibitoires à terme que le manque à gagner des ayant droit lié au piratage en ligne. Le seul coût de mise en œuvre de la riposte graduée française, évalué entre 70 M€ et 100 M€, est déjà nettement supérieur à toutes les aides dont bénéficie la filière musicale, qui n’est certes pas la seule concernée.

Pourtant, elle n’en attend pas un renversement miraculeux de la tendance qui a vu ses retours sur investissement se réduire comme peau de chagrin au cours de la décennie passée. « Ce serait irréaliste de penser que cette loi va nous permettre de réaliser + 20 % l’an prochain », nous confiait il y a quelques mois Vincent Frérebeau, président de l’Upfi (Union des producteurs français indépendants) et p-dg du label tôt Ou tard. Tout comme il serait illusoire d’imaginer qu’un retour au statu quo ante, à la situation qui prévalait à la fin des années 90, lorsque l’industrie du disque était florissante, soit encore possible. Car le ressort de cet âge d’or est définitivement cassé.

« Le business du disque était parfait. C’était une industrie parfaite », explique le gourou du marketing en ligne américain Seth Godin dans la transcription, publiée sur le web, d’une conférence donné à l’occasion de la parution de son dernier essai, Tribes, sur les nouvelles tribus du Web. Et d’énoncer tous les ingrédients qui contribuaient à cette perfection : entre autres, un nombre limité de médias, dont toute une partie du spectre était consacrée à la promotion de ce que l’industrie du disque produisait ; quelques puissantes compagnies en situation d’oligopole, incontournables pour produire et distribuer un disque au niveau national comme international ; des chaînes de détaillants qu’elles ne possédaient pas entièrement dévouées à la vente et à la promotion de leurs produits…

Sans parler du florilège de magazines spécialisés dédiés à leur prescription ; d’un système de mise en avant du classement des meilleures ventes favorisant essentiellement le haut de la pyramide ; ou d’un support physique qui ne pouvait pas être copié et avait tous les attributs d’un bien rival, que l’on ne pouvait pas échanger sans en être dépossédé.

Les nouveaux rouages du marketing tribal

Mais la technologie du CD, dont le coût de reproduction était relativement marginal, portait en elle-même ce qui allait précipiter son déclin : le ver du numérique était dans son fruit. “Désormais, si je donne un enregistrement, je le détiens toujours, poursuit Seth Godin. Et ça change tout. Je ne dis pas que c’est mieux, je ne dis pas que c’est pire. Je ne dis pas que c’est moral ou immoral. Je dis seulement que ça change tout et que nous devons l’accepter.”

Pour Seth Godin:

la musique n’est pas en crise. De plus en plus de gens écoutent de plus en plus de musique, comme cela n’a jamais été le cas auparavant dans l’histoire de l’humanité. Probablement cinq fois plus que vingt ans en arrière. [...] Mais l’industrie de la musique est en difficulté. Parce qu’elle se trouve face à un nouveau paradigme.

Les nouveaux médias, comme les détaillants en ligne, prolifèrent sans aucune limite. Le marketing de masse cède le pas à un mode de communication de pair à pair beaucoup plus social. L’accent est mis de plus en plus sur les marchés de niche et de moins en moins sur les hits. Les frontières entre ceux qui produisent la musique et ceux qui la consomment sont de plus en plus perméables. Le cycle de vie des produits de cette industrie est beaucoup plus court. Ses lignes de produits elles-mêmes éclatent et ne sont plus limitées par des contraintes de fabrication mais par l’imagination. Et l’essentiel des investissements porte aujourd’hui sur l’innovation, plutôt que sur la promotion.

« Il n’y aucun moyen de passer de l’ancienne économie de la musique à la nouvelle avec un retour sur investissement garanti et des assurances écrites, ça n’existe pas », explique l’essayiste américain, qui invite les industriels à s’investir dans l’animation de « tribus » de fans, un mode d’organisation sociale hérité d’un lointain passé qui retrouve des lettres de noblesse sur Internet.

« J’ai tous les disques de Rickie Lee Jones, confie-t-il, y compris les bootlegs qu’elle vend. Je les ai presque tous achetés sur son site. Rickie Lee Jones devrait savoir qui je suis ! Ses agents, son équipe, devraient me connaître ! J’attends désespérément qu’elle m’envoie un message pour me dire qu’elle se produit en ville. Je veux qu’elle me demande : ‘Dois-je faire un album de duos avec Willie Nelson ou avec Bruce Springsteen ?’ Je veux avoir cette interaction avec elle. Et je veux qu’elle me dise : ‘J’envisage de sortir un autre bootleg, mais pas avant que 10 000 personnes l’aient acheté’. Parce que je signerais. J’en achèterais même cinq s’il le fallait. Mais elle ne sait pas qui je suis. Elle ne me parle jamais. Et quand son label essaie de me crier quelque chose, je n’écoute pas, parce qu’il pousse son cri dans un lieu [sur MTV, sur les radios du top 40, ndr] auquel je ne prête plus guère d’attention. »

Rupture psychologique

Pour Seth Godin, l’essentiel n’est plus de vendre un disque à un consommateur – « Il peut l’acheter pour 10 balles sur Amazon ou se le procurer gratuitement » -, mais de le connecter à l’artiste et à sa tribu de fans : « Il y a un très grand nombre de gens qui veulent se connecter à cette tribu, et de là où vous vous trouvez, vous avez la possibilité de faire en sorte que cette connexion ait lieu. [...] C’est très important pour les gens de sentir qu’ils appartiennent à une tribu, d’en ressentir l’adrénaline. Nous sommes prêts à payer, à franchir de nombreux obstacles, à être piétinés par la foule, si nécessaire, pour nous retrouver à l’endroit où nous avons le sentiment que les choses se passent. [...] Le prochain modèle, c’est de gagner votre vie en gérant une tribu… des tribus… des silos entiers de tribus ».

Ce changement de paradigme, Terry McBride, le charismatique patron de Nettwerk Records, label indépendant canadien (The Barenaked Ladies, The Weepies, The Old Crow Medicine show, The Submarines…), qui réalise 80 % de son chiffre d’affaires dans le numérique et dans la synchro, avec une croissance annuelle de ses revenus de 25 % dans le numérique, l’a anticipé dès 2002.

« Ce fut quelque chose d’intuitif pour moi, explique-t-il dans une interview accordée au blog américain Rollo & Grady. De toute évidence, le numérique envahissait notre univers depuis trois ans et l’effet Napster se faisait sentir. Étant une petite compagnie, qui travaillait directement avec les artistes, nous avons pu sentir ce qui commençait à se passer. Essayer de l’empêcher n’aurait mené à rien ; il fallait le comprendre et être en mesure de l’accompagner. C’était une véritable rupture psychologique pour nous. Il a fallu plusieurs années pour que le reste de la compagnie et les analystes finissent par se concentrer là-dessus. »

Pour Terry McBride, c’est toujours la pénurie qui crée de la valeur, mais Internet est un photocopieur géant, et « dès qu’une chanson est sortie, elle perd de sa rareté et n’a plus beaucoup de valeur marchande ». Au sein même de l’industrie musicale, il existe cependant de nombreuses autres formes de rareté ou de pénurie à même de créer de la valeur.

L’accès à l’artiste est unique. Et tout ce que vous pouvez organiser autour de cet accès peut créer de nouvelles formes de rareté. Lorsqu’une chanson est sur le point de sortir, elle ne conserve sa rareté que pendant cinq minutes. Mais nous en contrôlons le premier point d’entrée sur le marché, nous pouvons l’introduire de la manière que nous souhaitons, [...] créer une expérience unique à l’occasion de sa sortie, qui peut attirer 10 millions de personnes dans un endroit unique – et essayer de monétiser cette attention. (T. McBride)

Laisser les gens partager

Le patron de Nettwerk, dont le label fêtera ses 25 ans d’existence cette année, rejoint Seth Godin et sa théorie des tribus : « Nous appartenons tous à des tribus, écrit-il sur son blog. Et les membres de votre tribu sont ceux qui vous influencent le plus. Grâce à Internet et à la téléphonie mobile, ces tribus sont plus importantes que jamais et permettent de partager ses passions. Ma conviction est la suivante : laissez les gens partager. Créez un site où il peuvent échanger entre eux, mettez de la pub autour – et désormais, vous pouvez monétiser leur comportement, plutôt que la musique elle-même. Même si c’est sur Youtube. [...] Si je peux amener Avril Lavigne à faire quelque chose sur Youtube qui va la faire passer de 200 millions de connexions à 500 millions, c’est comme vendre un million de disques. »

Un de ses crédos, largement argumenté dans un livre blanc qu’il a co-écrit pour le club de réflexion anglais Musictank (Meet The Millenials ; Fans, Brands and Cultural Communities) est le suivant : « Alors que les infrastructures des labels se rétrécissent, un nouveau paradigme est en train d’émerger, dans lequel ce sont les fans qui constituent leurs nouvelles équipes de marketing, de promotion et de vente ».

Terrry Mc Bride n’en élude pas pour autant le problème posé par les échanges sauvages entre particuliers sur les réseaux peer-to-peer :

Ma conviction est qu’on ne peut pas légiférer pour aller à l’encontre de comportements sociaux, écrit-il dans un autre de ses billets. Le seul endroit où l’on puisse exercer une pression légale ou législative, c’est dans les relations business-to-business. Je pense que les câblo-opérateurs et les fournisseurs d’accès devraient payer une taxe pour rémunérer les contenus qui circulent dans leurs tuyaux. Je ne pense pas que l’on doive couper l’accès à Internet des jeunes, ils ne devraient pas être poursuivis parce qu’ils partagent leur passion pour la musique, même si je considère qu’ils devraient payer pour consommer le contenu produit par d’autres.

Payer sous quelle forme ? Celle d’un montant mensuel forfaitaire, estime-t-il, d’un abonnement aux plateformes des opérateurs ouvrant l’accès à un catalogue étendu. Un modèle auquel se rangent de plus en plus d’industriels de la musique, observe-t-il. « A l’heure où l’industrie se concentre sur 5 % du marché (la part légale du gâteau numérique), l’opportunité de monétiser les 95 % restant se présente. » Mais dans son esprit, fournir un accès étendu aux catalogues pour un montant forfaitaire n’est qu’un premier pas vers l’avenir du business de la musique.

Car une autre rupture technologique est à l’œuvre, qui deviendra selon lui réalité dans les 18 à 24 mois qui viennent. Dès demain, les AppStores d’Apple, de Nokia, de Blakberry, de Google, vont regorger d’agents musicaux intelligents conçus par des développeurs tiers, qui connaîtront les goûts musicaux de chacun et que l’on pourra installer sur les nouvelles générations de smartphones ou de baladeurs wi-fi. Nous pourrons utiliser leurs services d’accès personnalisé aux catalogues pour quelques euros par mois, et ils vont transformer en profondeur le comportement des consommateurs de musique.

Le contexte devient roi

« Il ne sera plus nécessaire de télécharger la musique, ce sera devenu une contrainte, explique Terry Mc Bride. Quantité d’applications vont vous permettre, pour quelques dollars par mois, d’accéder à toute la musique que vous voulez, comme vous voulez, quand vous voulez, à partir de n’importe quel périphérique. Dès lors, pourquoi voudriez-vous télécharger ? Pourquoi iriez-vous sur Internet pour chercher à télécharger cette musique gratuitement ? D’autant que ce que vous allez télécharger gratuitement ne fonctionnera pas nécessairement avec les applications que vous aurez sur votre smartphone. Quelques dollars, ce n’est pas cher payé pour un accès illimité. C’est dans cette direction que vont les choses. »

Pour que toutes ces applications puissent fonctionner correctement, il faudra qu’elles disposent de bonnes métadonnées, avertit le fondateur de Nettwerk Records, à la production desquelles il invite les industriels de la musique à se consacrer.

La valeur ajoutée d’un service de musique, celle que le consommateur sera disposé à payer, résidera dans sa capacité à délivrer un contenu en parfaite adéquation avec un contexte, qui pourra être une émotion ou une circonstance particulière.

Et plus les métadonnées qui accompagneront une chanson ou un morceau de musique seront riches et pertinentes, plus ils auront d’opportunités de ressortir dans un contexte particulier et d’être écoutés.

« A l’heure qu’il est, l’industrie de la musique n’est payée que pour 5 % de la consommation de musique dans l’environnement numérique. Il y a là une formidable opportunité d’augmenter ce pourcentage de manière significative, avance Terry Mc Bride. Ce n’est pas une opportunité d’augmenter le prix de la musique, mais d’augmenter sa valeur. » Un nouveau paradigme dans lequel ce n’est plus le contenu qui est roi, mais le contexte dans lequel il est délivré.

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Cet article a été initialement publié sur Musique Info.

Crédits photo CC flickr : Pieter Baert, virtualmusictv, mathias poujol rost, roberto

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Redéfinir les modèles économiques de la musique ? http://owni.fr/2010/11/04/redefinir-les-modeles-economiques-de-la-musique/ http://owni.fr/2010/11/04/redefinir-les-modeles-economiques-de-la-musique/#comments Thu, 04 Nov 2010 10:02:05 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=27668 Le journaliste Philippe Astor couvre l’actualité de l’industrie musicale plus vite que son ombre et nous le suivons de près. Il s’est spécialisé dans l’impact des nouvelles technologies sur l’économie de la musique et des médias. Se reposant sur les discours des visionnaires américains Seth Godin et Terry McBride, il nous livre ici un bilan de ce qui avait était prédit et nous éclaire sur les étapes à venir.

Quelle que soit l’efficacité de la loi Création et internet pour endiguer le téléchargement illégal, ou la légitimité du message adressé par les ayants droit aux internautes par l’intermédiaire de cette nouvelle législation – tout créateur doit pouvoir prétendre à une rémunération équitable dès lors que ses œuvres sont mises à la disposition du public ou exploitées, la question d’une redéfinition radicale des modèles économiques de l’industrie musicale à l’heure d’internet reste entière.

Les conséquences de la rupture technologique liée à la révolution numérique et au développement d’Internet, John Perry Barlow, fondateur de l’Electronic Frontier Foundation et ancien parolier des légendaires Grateful Dead, les résumait déjà en des termes on ne peut plus clairs en 2003 :

L’énigme à résoudre est la suivante : si nos biens peuvent être reproduits à l’infini et distribués instantanément dans le monde entier sans le moindre coût, sans que nous en ayons connaissance, et sans même que nous en soyons dépossédés, comment pouvons-nous les protéger ? Comment allons-nous être rémunérés pour le travail de notre esprit? Et si nous ne pouvons être rémunérés, qu’est-ce qui va permettre de poursuivre la création et la distribution de ces biens ?

Le dispositif de riposte graduée mis en place par la loi Création et Internet tente d’apporter une réponse à ce dilemme, en essayant de limiter la manière dont les œuvres peuvent être reproduites et distribuées à l’infini sur Internet, sans l’autorisation de leurs auteurs. Mais ce dispositif souffre déjà de nombreuses failles avant même d’avoir été activé, et tout le monde en est bien conscient, y compris ses défenseurs les plus ardus.

Aux générations successives de réseaux peer-to-peer (P2P), de Napster à BitTorrent, succèdent désormais des systèmes d’échange plus privatifs – d’amis à amis ou friend-to-friend (F2F) -, comme le logiciel open source OneSwarm, qui fait appel à la cryptographie et préserve l’anonymat de ses utilisateurs.. « OneSwarm est capable de résister au monitoring systématique qui est devenu chose courante aujourd’hui sur les réseaux P2P publics », confirment ses créateurs, dont les travaux de recherche sont officiellement supportés par la National Science Foundation et l’Université de Washington aux États-Unis.

Les limites de la riposte graduée

Les canaux empruntés par les échanges de biens numériques entre particuliers se sont en outre largement diversifiés au cours des dernières années : des newsgroups ou forums de discussion du réseau Usenet aux Direct-to-download links (liens de téléchargement directs) vers des plateformes d’hébergement comme Rapidshare, en passant par les logiciels de messagerie instantanée. La liste des protocoles de communication qu’il serait nécessaire de surveiller pour exercer un contrôle efficace sur la circulation des œuvres sur Internet s’allonge de jour en jour.

La surenchère de moyens de surveillance à mettre en œuvre, outre le fait qu’elle est susceptible de soulever de manière récurrente de nombreuses questions relatives à la protection de la vie privée et au respect des libertés publiques, risque d’engendrer des coûts bien plus rédhibitoires à terme que le manque à gagner des ayant droit lié au piratage en ligne. Le seul coût de mise en œuvre de la riposte graduée française, évalué entre 70 M€ et 100 M€, est déjà nettement supérieur à toutes les aides dont bénéficie la filière musicale, qui n’est certes pas la seule concernée.

Pourtant, elle n’en attend pas un renversement miraculeux de la tendance qui a vu ses retours sur investissement se réduire comme peau de chagrin au cours de la décennie passée. « Ce serait irréaliste de penser que cette loi va nous permettre de réaliser + 20 % l’an prochain », nous confiait il y a quelques mois Vincent Frérebeau, président de l’Upfi (Union des producteurs français indépendants) et p-dg du label tôt Ou tard. Tout comme il serait illusoire d’imaginer qu’un retour au statu quo ante, à la situation qui prévalait à la fin des années 90, lorsque l’industrie du disque était florissante, soit encore possible. Car le ressort de cet âge d’or est définitivement cassé.

« Le business du disque était parfait. C’était une industrie parfaite », explique le gourou du marketing en ligne américain Seth Godin dans la transcription, publiée sur le web, d’une conférence donné à l’occasion de la parution de son dernier essai, Tribes, sur les nouvelles tribus du Web. Et d’énoncer tous les ingrédients qui contribuaient à cette perfection : entre autres, un nombre limité de médias, dont toute une partie du spectre était consacrée à la promotion de ce que l’industrie du disque produisait ; quelques puissantes compagnies en situation d’oligopole, incontournables pour produire et distribuer un disque au niveau national comme international ; des chaînes de détaillants qu’elles ne possédaient pas entièrement dévouées à la vente et à la promotion de leurs produits…

Sans parler du florilège de magazines spécialisés dédiés à leur prescription ; d’un système de mise en avant du classement des meilleures ventes favorisant essentiellement le haut de la pyramide ; ou d’un support physique qui ne pouvait pas être copié et avait tous les attributs d’un bien rival, que l’on ne pouvait pas échanger sans en être dépossédé.

Les nouveaux rouages du marketing tribal

Mais la technologie du CD, dont le coût de reproduction était relativement marginal, portait en elle-même ce qui allait précipiter son déclin : le ver du numérique était dans son fruit. “Désormais, si je donne un enregistrement, je le détiens toujours, poursuit Seth Godin. Et ça change tout. Je ne dis pas que c’est mieux, je ne dis pas que c’est pire. Je ne dis pas que c’est moral ou immoral. Je dis seulement que ça change tout et que nous devons l’accepter.”

Pour Seth Godin:

la musique n’est pas en crise. De plus en plus de gens écoutent de plus en plus de musique, comme cela n’a jamais été le cas auparavant dans l’histoire de l’humanité. Probablement cinq fois plus que vingt ans en arrière. [...] Mais l’industrie de la musique est en difficulté. Parce qu’elle se trouve face à un nouveau paradigme.

Les nouveaux médias, comme les détaillants en ligne, prolifèrent sans aucune limite. Le marketing de masse cède le pas à un mode de communication de pair à pair beaucoup plus social. L’accent est mis de plus en plus sur les marchés de niche et de moins en moins sur les hits. Les frontières entre ceux qui produisent la musique et ceux qui la consomment sont de plus en plus perméables. Le cycle de vie des produits de cette industrie est beaucoup plus court. Ses lignes de produits elles-mêmes éclatent et ne sont plus limitées par des contraintes de fabrication mais par l’imagination. Et l’essentiel des investissements porte aujourd’hui sur l’innovation, plutôt que sur la promotion.

« Il n’y aucun moyen de passer de l’ancienne économie de la musique à la nouvelle avec un retour sur investissement garanti et des assurances écrites, ça n’existe pas », explique l’essayiste américain, qui invite les industriels à s’investir dans l’animation de « tribus » de fans, un mode d’organisation sociale hérité d’un lointain passé qui retrouve des lettres de noblesse sur Internet.

« J’ai tous les disques de Rickie Lee Jones, confie-t-il, y compris les bootlegs qu’elle vend. Je les ai presque tous achetés sur son site. Rickie Lee Jones devrait savoir qui je suis ! Ses agents, son équipe, devraient me connaître ! J’attends désespérément qu’elle m’envoie un message pour me dire qu’elle se produit en ville. Je veux qu’elle me demande : ‘Dois-je faire un album de duos avec Willie Nelson ou avec Bruce Springsteen ?’ Je veux avoir cette interaction avec elle. Et je veux qu’elle me dise : ‘J’envisage de sortir un autre bootleg, mais pas avant que 10 000 personnes l’aient acheté’. Parce que je signerais. J’en achèterais même cinq s’il le fallait. Mais elle ne sait pas qui je suis. Elle ne me parle jamais. Et quand son label essaie de me crier quelque chose, je n’écoute pas, parce qu’il pousse son cri dans un lieu [sur MTV, sur les radios du top 40, ndr] auquel je ne prête plus guère d’attention. »

Rupture psychologique

Pour Seth Godin, l’essentiel n’est plus de vendre un disque à un consommateur – « Il peut l’acheter pour 10 balles sur Amazon ou se le procurer gratuitement » -, mais de le connecter à l’artiste et à sa tribu de fans : « Il y a un très grand nombre de gens qui veulent se connecter à cette tribu, et de là où vous vous trouvez, vous avez la possibilité de faire en sorte que cette connexion ait lieu. [...] C’est très important pour les gens de sentir qu’ils appartiennent à une tribu, d’en ressentir l’adrénaline. Nous sommes prêts à payer, à franchir de nombreux obstacles, à être piétinés par la foule, si nécessaire, pour nous retrouver à l’endroit où nous avons le sentiment que les choses se passent. [...] Le prochain modèle, c’est de gagner votre vie en gérant une tribu… des tribus… des silos entiers de tribus ».

Ce changement de paradigme, Terry McBride, le charismatique patron de Nettwerk Records, label indépendant canadien (The Barenaked Ladies, The Weepies, The Old Crow Medicine show, The Submarines…), qui réalise 80 % de son chiffre d’affaires dans le numérique et dans la synchro, avec une croissance annuelle de ses revenus de 25 % dans le numérique, l’a anticipé dès 2002.

« Ce fut quelque chose d’intuitif pour moi, explique-t-il dans une interview accordée au blog américain Rollo & Grady. De toute évidence, le numérique envahissait notre univers depuis trois ans et l’effet Napster se faisait sentir. Étant une petite compagnie, qui travaillait directement avec les artistes, nous avons pu sentir ce qui commençait à se passer. Essayer de l’empêcher n’aurait mené à rien ; il fallait le comprendre et être en mesure de l’accompagner. C’était une véritable rupture psychologique pour nous. Il a fallu plusieurs années pour que le reste de la compagnie et les analystes finissent par se concentrer là-dessus. »

Pour Terry McBride, c’est toujours la pénurie qui crée de la valeur, mais Internet est un photocopieur géant, et « dès qu’une chanson est sortie, elle perd de sa rareté et n’a plus beaucoup de valeur marchande ». Au sein même de l’industrie musicale, il existe cependant de nombreuses autres formes de rareté ou de pénurie à même de créer de la valeur.

L’accès à l’artiste est unique. Et tout ce que vous pouvez organiser autour de cet accès peut créer de nouvelles formes de rareté. Lorsqu’une chanson est sur le point de sortir, elle ne conserve sa rareté que pendant cinq minutes. Mais nous en contrôlons le premier point d’entrée sur le marché, nous pouvons l’introduire de la manière que nous souhaitons, [...] créer une expérience unique à l’occasion de sa sortie, qui peut attirer 10 millions de personnes dans un endroit unique – et essayer de monétiser cette attention. (T. McBride)

Laisser les gens partager

Le patron de Nettwerk, dont le label fêtera ses 25 ans d’existence cette année, rejoint Seth Godin et sa théorie des tribus : « Nous appartenons tous à des tribus, écrit-il sur son blog. Et les membres de votre tribu sont ceux qui vous influencent le plus. Grâce à Internet et à la téléphonie mobile, ces tribus sont plus importantes que jamais et permettent de partager ses passions. Ma conviction est la suivante : laissez les gens partager. Créez un site où il peuvent échanger entre eux, mettez de la pub autour – et désormais, vous pouvez monétiser leur comportement, plutôt que la musique elle-même. Même si c’est sur Youtube. [...] Si je peux amener Avril Lavigne à faire quelque chose sur Youtube qui va la faire passer de 200 millions de connexions à 500 millions, c’est comme vendre un million de disques. »

Un de ses crédos, largement argumenté dans un livre blanc qu’il a co-écrit pour le club de réflexion anglais Musictank (Meet The Millenials ; Fans, Brands and Cultural Communities) est le suivant : « Alors que les infrastructures des labels se rétrécissent, un nouveau paradigme est en train d’émerger, dans lequel ce sont les fans qui constituent leurs nouvelles équipes de marketing, de promotion et de vente ».

Terrry Mc Bride n’en élude pas pour autant le problème posé par les échanges sauvages entre particuliers sur les réseaux peer-to-peer :

Ma conviction est qu’on ne peut pas légiférer pour aller à l’encontre de comportements sociaux, écrit-il dans un autre de ses billets. Le seul endroit où l’on puisse exercer une pression légale ou législative, c’est dans les relations business-to-business. Je pense que les câblo-opérateurs et les fournisseurs d’accès devraient payer une taxe pour rémunérer les contenus qui circulent dans leurs tuyaux. Je ne pense pas que l’on doive couper l’accès à Internet des jeunes, ils ne devraient pas être poursuivis parce qu’ils partagent leur passion pour la musique, même si je considère qu’ils devraient payer pour consommer le contenu produit par d’autres.

Payer sous quelle forme ? Celle d’un montant mensuel forfaitaire, estime-t-il, d’un abonnement aux plateformes des opérateurs ouvrant l’accès à un catalogue étendu. Un modèle auquel se rangent de plus en plus d’industriels de la musique, observe-t-il. « A l’heure où l’industrie se concentre sur 5 % du marché (la part légale du gâteau numérique), l’opportunité de monétiser les 95 % restant se présente. » Mais dans son esprit, fournir un accès étendu aux catalogues pour un montant forfaitaire n’est qu’un premier pas vers l’avenir du business de la musique.

Car une autre rupture technologique est à l’œuvre, qui deviendra selon lui réalité dans les 18 à 24 mois qui viennent. Dès demain, les AppStores d’Apple, de Nokia, de Blakberry, de Google, vont regorger d’agents musicaux intelligents conçus par des développeurs tiers, qui connaîtront les goûts musicaux de chacun et que l’on pourra installer sur les nouvelles générations de smartphones ou de baladeurs wi-fi. Nous pourrons utiliser leurs services d’accès personnalisé aux catalogues pour quelques euros par mois, et ils vont transformer en profondeur le comportement des consommateurs de musique.

Le contexte devient roi

« Il ne sera plus nécessaire de télécharger la musique, ce sera devenu une contrainte, explique Terry Mc Bride. Quantité d’applications vont vous permettre, pour quelques dollars par mois, d’accéder à toute la musique que vous voulez, comme vous voulez, quand vous voulez, à partir de n’importe quel périphérique. Dès lors, pourquoi voudriez-vous télécharger ? Pourquoi iriez-vous sur Internet pour chercher à télécharger cette musique gratuitement ? D’autant que ce que vous allez télécharger gratuitement ne fonctionnera pas nécessairement avec les applications que vous aurez sur votre smartphone. Quelques dollars, ce n’est pas cher payé pour un accès illimité. C’est dans cette direction que vont les choses. »

Pour que toutes ces applications puissent fonctionner correctement, il faudra qu’elles disposent de bonnes métadonnées, avertit le fondateur de Nettwerk Records, à la production desquelles il invite les industriels de la musique à se consacrer.

La valeur ajoutée d’un service de musique, celle que le consommateur sera disposé à payer, résidera dans sa capacité à délivrer un contenu en parfaite adéquation avec un contexte, qui pourra être une émotion ou une circonstance particulière.

Et plus les métadonnées qui accompagneront une chanson ou un morceau de musique seront riches et pertinentes, plus ils auront d’opportunités de ressortir dans un contexte particulier et d’être écoutés.

« A l’heure qu’il est, l’industrie de la musique n’est payée que pour 5 % de la consommation de musique dans l’environnement numérique. Il y a là une formidable opportunité d’augmenter ce pourcentage de manière significative, avance Terry Mc Bride. Ce n’est pas une opportunité d’augmenter le prix de la musique, mais d’augmenter sa valeur. » Un nouveau paradigme dans lequel ce n’est plus le contenu qui est roi, mais le contexte dans lequel il est délivré.

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Cet article a été initialement publié sur Musique Info.

Crédits photo CC flickr : Pieter Baert, virtualmusictv, mathias poujol rost, roberto

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Spotify: le ver(t) dans la Pomme? http://owni.fr/2010/10/26/pourquoi-apple-a-raison-davoir-peur-de-spotify/ http://owni.fr/2010/10/26/pourquoi-apple-a-raison-davoir-peur-de-spotify/#comments Tue, 26 Oct 2010 12:50:25 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=27383 Philippe Astor, journaliste spécialiste de l’industrie de la musique, a co-fondé le site Electron Libre et est blogueur sur digitaljukebox.fr.

Les performances de Spotify en Europe ont de quoi inquiéter Apple, alors que se profile son lancement aux États-Unis. Le service de streaming suédois dispose en effet de nombreux atouts susceptibles de remettre en cause le leadership d’Apple à domicile. Au point que la firme américaine envisage sérieusement de lancer son propre service de streaming sur abonnement, histoire de prévenir une hémorragie de ses 100 millions de clients américains.

Apple serait en train de se convertir au modèle de l’abonnement. Selon des sources citées par le New York Post, Eddy Cue, le patron d’iTunes, multiplie depuis quelques semaines les contacts avec les exécutifs de l’industrie musicale aux États-Unis, pour parvenir à une entente avec eux. Le projet de la firme de Cupertino serait bien de lancer un service de streaming sur abonnement donnant accès, avec son logiciel iTunes et pour le prix d’un forfait mensuel, à un catalogue étendu de plusieurs millions de titres.

Steve Jobs, le PDG d’Apple, a toujours décrié ce modèle, mais deux contingences pourraient justifier une subite conversion de la Pomme : le tassement des ventes de musique en téléchargement aux États-Unis, principal marché d’iTunes, au premier semestre 2010 ; et la perspective de voir débarquer sur le marché américain, d’ici la fin de l’année, un concurrent redoutable en la personne du suédois Spotify.

La montée en puissance de Spotify est pour le moins phénoménale. Au mois de janvier dernier, le service de streaming freemium revendiquait 250 000 abonnés en Europe, essentiellement répartis entre Suède et Royaume-Uni. A l’époque, le ratio entre nombre d’abonnés et nombre d’utilisateurs de son service gratuit financé par la publicité n’était que de quelques pour cent, c’est-à-dire encore ridiculement bas aux yeux des maisons de disques américaines ; très en-deçà, en tout cas, des 10 % de taux de conversion en utilisateurs payants qu’elles exigeaient. Neuf mois plus tard, Spotify a passé la barre des 600 000 abonnés, avec un taux de conversion qui est désormais de 15 %, selon des statistiques internes auxquelles nous avons eu indirectement accès.

500 000 nouveaux abonnés en l’espace d’un an

Spotify est bien parti pour atteindre son objectif de 770 000 abonnés en Europe à fin 2010, et pour avoir plus que triplé leur nombre en un an. A titre de comparaison, le pic d’abonnés à des services de streaming aux Etats-Unis, depuis quatre ou cinq ans, n’a jamais dépassé le million et demi. Un record que Spotify pourrait avoir battu à lui tout seul en Europe d’ici la fin 2011. Le lancement de la version mobile de Spotify, en septembre 2009, a été un premier facteur déclencheur. Puis, la progression du taux de conversion s’est accélérée avec l’intégration de fonctions de partage de playlists via Facebook et Twitter, en avril dernier. Mais aussi avec le lancement du player permettant d’écouter sa bibliothèque de fichiers MP3 personnelle avec le logiciel de la start-up, qui s’est ainsi transformé en véritable jukebox universel digne de rivaliser avec celui d’Apple.

La marge de progression de Spotify reste en outre très importante, notamment sur les cinq marchés européens où sa pénétration reste encore faible et est promise à une forte progression (France, Espagne, Finlande, Norvège et bientôt Pays-Bas). D’autant que plus les internautes utilisent le service gratuit depuis longtemps, plus leur taux de conversion en abonnés est élevé. Au mois de juillet dernier, il était supérieur à 17 % pour les utilisateurs ayant rejoint le service en février 2009, de 12 % pour ceux l’ayant rejoint en avril 2009, de 8 % pour ceux l’ayant rejoint entre juillet et octobre 2009, et inférieur à 5 % pour ceux qui ne l’avaient adopté qu’en janvier 2010. L’objectif de Spotify est de doubler son taux moyen de conversion des « free users » en abonnés dans les 12 mois qui viennent, pour atteindre les 30 %.

Afin de s’assurer d’atteindre cet objectif, Spotify permet depuis le mois de mai dernier d’ouvrir un compte gratuit directement, et non plus uniquement sur invitation. Une offre limitée à 20 heures d’écoute par mois, qui vise à répondre à une demande en très forte progression, tout en contrôlant la croissance des usagers. Le pari est le suivant : les non-abonnés investissent beaucoup de temps dans la construction d’une librairie musicale personnelle sur Spotify (elle est en moyenne de 100 titres au bout de trois mois d’utilisation du service, et de 500 titres au bout de 17 mois) ; ce qui augmente leur fidélité et leur propension à s’abonner. D’autant que la tranche d’âge la mois assidue (les 45-54 ans) écoute en moyenne 300 titres par mois. La limite des 20 heures d’écoute est donc très vite franchie par la plupart des utilisateurs.

63 % des abonnés premium ont moins de 33 ans

Le lancement concomitant d’une offre Spotify illimitée sur le PC à 4,99 € par mois (sans accès au service sur les mobiles ni possibilité d’écoute hors connexion) a contribué à augmenter le taux de conversion en abonnés sans affecter la progression du nombre d’abonnés au service premium complet. En l’espace de quatre mois, Spotify avait recruté 56 000 abonnés à cette nouvelle offre de base et, dans le même temps, le nombre d’abonnés premium était passé de 404 000 à 516 000. La start-up envisage par ailleurs de multiplier les accords de bundle avec les opérateurs de télécommunications, tel celui passé avec Telia en Suède et en Finlande, qui a eu un effet direct sur la hausse du nombre d’abonnés.

Une fois qu’il est abonné, le nombre de titres écoutés par chaque utilisateur tous les mois augmente considérablement. Il franchit la barre des 500 titres par mois pour les 45-54 ans, et passe de 500 à 600 titres par mois à plus de 800 pour les tranches d’âge les plus assidues (les 9-14 ans et les 15-17 ans). Spotify a par ailleurs pour vertu de séduire dans des proportions remarquables les jeunes générations, qui sont les moins enclines à payer pour accéder à la musique sur Internet. Ainsi 28 % des utilisateurs premium ont-ils moins de 24 ans. Et les 18-33 ans représentent 63 % des abonnés premium.

Enfin, une autre vertu de Spotify est de favoriser la vente de musique en téléchargement. Aucune statistique n’est disponible sur les ventes générées sur We7 depuis la mise en place d’un partenariat avec la plateforme britannique, mais c’est un aspect que le service de streaming compte nettement améliorer dans les mois qui viennent, en proposant notamment des bundles. L’ambition de Spotify est clairement de devenir à la fois une plateforme de découverte, à travers son offre de streaming, et une plateforme de téléchargement.

Un redoutable concurrent pour la Pomme

Dans ce domaine, le cercle vertueux que parviennent à créer les services de streaming, dont on craignait qu’ils ne cannibalisent les ventes en téléchargement, ne fait plus aucun doute, à l’image des performances de Deezer, premier affilié d’iTunes en France et troisième en Europe. Tous ces éléments tendent à valider la pertinence du modèle freemium que Spotify cherche à exporter aux Etats-Unis, face auquel les majors américaines ont jusque-là fait de la résistance ; ce qui explique le retard pris par le lancement du service outre-Atlantique.


Quel que soit le partenaire que se choisira Spotify pour se lancer aux Etats-Unis – Google ? Microsoft ? Amazon ? – Apple a du souci à se faire. D’abord, et avant tout, parce que c’est le seul concurrent sérieux d’iTunes à disposer d’un jukebox logiciel digne de ce nom. De nombreuses améliorations devront encore lui être apportées, dans la gestion des playlists, notamment, s’il souhaite faire totalement de l’ombre au logiciel d’Apple. Mais contrairement à iTunes, qui reste une véritable usine à gaz dans l’environnent PC, le logiciel de Spotify est redoutablement optimisé.

Ce dernier est en outre présent sur toutes les plateformes mobiles, d’Android à iOS (iPhone), en passant par Symbian ou Windows Mobile 6 et bientôt 7. Un formidable atout face à la plateforme d’Apple, qui se cantonne à l’iPhone. Or, le mobile est aujourd’hui le principal levier de croissance du marché du téléchargement, au point qu’iTunes réalise désormais un tiers de ses ventes sur iPhone en Europe,- et de celui de l’abonnement. Si elle veut prévenir une hémorragie de ses 100 millions de clients américains en direction de Spotify, la firme de Cupertino n’a d’autre choix que de leur proposer à son tour une offre de streaming. A défaut, Spotify, qu’un buzz de dix-huit mois a déjà précédé aux Etats-Unis, pourrait très bien venir croquer goulûment les parts de la Pomme sur le marché américain de la musique…

Article initialement publié par Philippe Astor sur Electron Libre

Crédits photos CC flickr: Jon Aslund; Marcin Michary; Mysza

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Méta-données de la musique: c’est le foutoir http://owni.fr/2010/06/17/meta-donnees-de-la-musique-cest-le-foutoir/ http://owni.fr/2010/06/17/meta-donnees-de-la-musique-cest-le-foutoir/#comments Thu, 17 Jun 2010 17:17:09 +0000 Philippe Astor http://owni.fr/?p=19060 Le business de la musique en ligne est un panier percé. Un gruyère avec bien plus de trous que de fromage. C’est tellement le foutoir qu’une part conséquente des revenus qu’il génère n’est même pas répartie, faute de pouvoir identifier les bons ayant droit en bout de chaîne. En cause : la pauvreté des méta-données.

Le site américain Digital Music News révélait il y a peu que l’organisme de gestion collective américain SoundExchange, en charge de la perception et de la répartition des revenus du streaming non-interactif aux États-Unis (webradios et services de radio personnalisée de type Yahoo ou Pandora), était assis fin 2009 sur un trésor de guerre de 200 millions de dollars. Des royautés non répartissables, faute de pouvoir en identifier précisément les ayant droit légitimes, et qui dorment sur des comptes en banque.

Le montant de ces « irrépartissables » était de 96,7 millions de dollars fin 2006, de 192,7 millions fin 2007, et de 260 millions mi-2008, indique Digital Music News. En parallèle, le montant des royautés réparties par SoundExchange fut de 36,2 millions de dollars en 2007, de 100 millions en 2008 et de 155,5 millions en 2009. SoundExchange ne répartirait donc même pas la moitié des revenus perçus auprès des radios en ligne américaines, revenus plus de six fois supérieurs en 2007 au montant des royautés reversé à ses membres (1). Comme dirait l’autre, « Y a un blème ».

SoundExchange est revenu sur ces chiffres, après les avoir pourtant confirmés dans un premier temps. Malgré les campagnes de recrutement lancées sur le Web, invitant les artistes à s’inscrire pour réclamer leurs droits en instance, 39 millions de dollars dormiraient encore à la banque que l’organisme ne peut en effet répartir, leurs ayant droit ne figurant pas dans ses bases de données . A quoi s’ajouteraient, toujours selon les « corrections » de SoundExchange, 40 millions de dollars en souffrance en raison de méta-données incomplètes ne permettant pas d’identifier précisément des bénéficiaires pourtant inscrits dans ses bases.

En comptant les répartitions encore en instance du fait d’arbitrages que les tribunaux doivent rendre sur certains taux, et les sommes qui n’ont pas encore été reversées à SoundExchange par des sociétés de gestion étrangères, on parvient à un total de 100 millions de dollars, de royautés perçues auprès des diffuseurs sur Internet mais non réparties à fin 2009, soit 40 % des revenus de la radio en ligne qui n’atteignent pas leurs destinataires.

Des coûts de gestion exorbitants

Les standards de performance de la gestion collective sont en général bien plus élevés en Europe, pour ce qui est de la gestion des droits généraux et traditionnels, que ceux de SoundExchange dans la radio en ligne américaine. Avec des « irrépartissables » ne représentant que quelques pour cent des sommes réparties. Mais les résultats obtenus dans la gestion des droits en provenance du numérique, en revanche, ne sont pas loin d’être aussi désastreux.

Les coûts de gestion de ces droits explosent, avec des millions de lignes de reporting à traiter sur lesquelles peuvent survenir, à tout moment, des défauts d’identification liés à des méta-données de mauvaise qualité, qui vont exiger des agents chargés de la répartition de faire des recherches plus approfondies dans leur base de données d’œuvres et d’établir manuellement un lien entre une déclaration de diffusion ou de téléchargement et une œuvre déposée avec tous ses ayant droit, de l’auteur à l’arrangeur. L’opération devra être reconduite des milliers de fois, pour ne répartir que des centimes d’euros à chaque fois.

C’est un véritable plaie pour les sociétés de gestion collective, une bombe à retardement en terme d’évolution de leurs coûts de répartition, qui ne concerne heureusement pour l’instant que la part congrue de leurs perceptions, mais mobilise déjà l’essentiel de leurs investissements informatiques, pour automatiser le plus possible des traitements dont le coût est aujourd’hui supérieur aux sommes qu’ils permettent de répartir…

La mauvaise qualité des méta-données de la musique en ligne grippe le moteur. C’est elle qui est principalement en cause. Le business y perd beaucoup en efficience, et surtout en opportunités d’affaires, en hypothéquant toute l’innovation dans les services et les modèles économiques qui pourrait s’appuyer sur un accès ouvert des développeurs de services Web, via des bibliothèques d’API, à un réservoir de méta-données propres et exhaustives.

L’adoption, par une société d’auteur comme la Sacem en France, d’outils de publication open source et d’une politique d’ouverture Web 2.0, qui permettra à une multitude d’acteurs extérieurs d’interagir avec sa base de données d’œuvres, va dans le bon sens. Mais quelque soit la bonne volonté de la Sacem, elle ne résout pas le fond du problème, qui est de parvenir à consolider quelque part, afin d’alimenter tout le système de reporting de la musique en ligne en méta-données fiables, sa base de données d’œuvres avec les bases de données de phonogrammes des producteurs, comme celles de la SPPF et de la SCPP en France.

Les efforts de normalisation du consortium DDEX (sur les messages XML à échanger, avec toutes les données d’identification des enregistrements, des œuvres et de leurs ayant droit, entre acteurs de la chaîne de valeur) font partie de la solution, mais les labels indépendants et les artistes autoproduits en sont pour l’instant exclus, sauf à passer par un agrégateur. L’américain The Orchard est le seul, à ce jour, à avoir rejoint le consortium.

Un indispensable toilettage

DDEX va par exemple normaliser des messages comme la notification, par les maisons de disques, de nouveautés aux plateformes de musique en ligne, avec à la fois un code ISRC identifiant l’enregistrement (derrière lequel on va trouver le producteur et l’artiste-interprète à la SCPP ou la SPPF) et un code ISWC identifiant l’œuvre (derrière lequel on va trouver l’auteur, le compositeur et l’éditeur, voire des co-éditeurs et un ou plusieurs arrangeurs à la Sacem), avec même un identifiant du produit en lui-même (single, album, bundle, etc.).

Mais ce processus de normalisation prendra du temps. Pour l’instant, tout le reporting repose sur les méta-données livrées aux plateformes par les maisons de disques avec leurs titres, qui sont en général plutôt pauvres, non consolidées et encore fournies, parfois, dans des formats propriétaires. Quant aux bases de données dont elles sont extraites, elles ne sont pas ouvertes.

Les auteurs, compositeurs et éditeurs, en bout de chaîne, ont le plus à souffrir de cette situation. Parce qu’ils sont bien plus mal référencés, dans ces méta-données fournies par les maisons de disques, que les producteurs ou les artistes-interprètes. Au demeurant, chacun est payé séparément par les plateformes, les maisons de disques d’un côté, les sociétés d’auteurs et d’éditeurs de l’autre, et les premières n’ont aucune raison objective de prendre à leur charge le renseignement, sur Internet, de toutes les méta-données de la filière musicale.

Tout le business de la musique en ligne gagnerait pourtant à ce que les méta-données de la musique soient non seulement toilettées mais enrichies, jusqu’à permettre d’identifier, par exemple, les musiciens de session ou les choristes qui figurent sur un enregistrement. La start-up anglaise Decibel a décidé de prendre les choses à bras le corps et de constituer une base de données avec plus de 150 champs d’information par enregistrement, incluant le genre, l’ingénieur du son ou les assistants de production. Une vraie mine d’informations, qui va permettre d’alimenter des moteurs de recommandation extrêmement sophistiqués.

D’autres bases de données en ligne se constituent, comme celle de MusicBrainz (qui établit notamment des liens entre artistes ayant collaboré entre eux) ou de Music-Story (chroniques d’albums, biographies d’artistes et discographies), sans omettre celles des moteurs de recommandation (de type Echo Nest ou Music Genome), des réseaux sociaux (de type Last.fm), de certains ayant droit (la base de données des paroles de chansons françaises de la Chambre syndicale des éditeurs, par exemple), ou encore les bases de données de concerts et de playlists qui fleurissent un peu partout sur le Web.

Leur interface avec de multiples services Web se fera, progressivement, et va ajouter beaucoup de valeur à la musique en ligne. Encore faudrait-il pouvoir s’appuyer sur un fond de méta-données propre, universel et consolidé, à même de huiler tout le système. Nous en sommes encore très loin.

Note:

(1) C’est dire toute l’ironie de l’épisode Pandora l’an dernier. Confrontée à un augmentation substantielle et unilatérale des taux de royautés à reverser par SoundExchange, le service de radio personnalisée, qui représenterait à lui seul la moitié des droits générés par la radio en ligne aux États-Unis, a bien failli mettre la clé sous la porte. Pour tous les ayant droit de la musique, cela revenait à se tirer une balle dans le pied.

> Article initialement publié sur ZDnet

> Crédits  Photos CC FlickR : pfala, EricGjerde

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