OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les nouveaux fonds de pension, la face cachée de la réforme des retraites http://owni.fr/2010/10/31/les-nouveaux-fonds-de-pension-la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-capitalisation-woerth-lobbies-senat-epargne/ http://owni.fr/2010/10/31/les-nouveaux-fonds-de-pension-la-face-cachee-de-la-reforme-des-retraites-capitalisation-woerth-lobbies-senat-epargne/#comments Sun, 31 Oct 2010 08:55:54 +0000 Sylvain Lapoix et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=34225 Ce billet a été publié originellement sur OWNIpolitics, écrit par Sylvain Lapoix et Ophelia Noor.


Vendredi 21 octobre, la réforme des retraites a été adoptée de nuit au Sénat. Poussée en urgence par le gouvernement, elle dissimule une poignée d’amendements qui n’auront été débattus que quelques minutes au Palais du Luxembourg et pas même évoqués à l’Assemblée nationale, où les débats n’ont jamais atteint l’article 32 sur lesquels ils portaient. Et pourtant, ces quatre amendements consacrent la nouvelle place de la retraite par capitalisation dans le système français d’assurance vieillesse. En un vote, la porte a été entrouverte aux banques, assurances et instituts de prévoyance pour se servir dans les 7,983 milliards d’euros de participation distribués en France, selon la Dares.

Ce merveilleux mécanisme a été inscrit à l’article 32 ter (l’avant dernier article de la loi) : il prévoit que, sauf opposition formelle du salarié, la part non utilisée de sa participation sera automatiquement versée sur un produit épargne retraite en entreprise (Perco ou Pere). Et si une société a doté certains salariés de retraites chapeaux (autrement dit, si vous êtes dans un grand groupe), le 32 quinquies l’oblige à faire signer des plans d’épargne retraite pour tout le monde ! Enfin, le 32 bis permet de puiser dans son compte épargne temps ou ses RTT non utilisés (à concurrence de 5 jours par an) pour abonder les produits d’épargne retraite.

Comme résumé par le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur en séance :

Ce que vous mettez en œuvre après le Perco, chers collègues de la majorité, c’est une épargne retraite obligatoire, avec des négociations obligatoires, des décisions obligatoires, au niveau tant de l’intéressé que de l’entreprise et de la branche. Il s’agit de créer un « tuyau » qui flèche, de manière évidente, la participation vers l’épargne retraite obligatoire.

Tout ça mais avec un peu de retard : les lobbies le demandaient déjà en 2003 quand François Fillon a posé les premiers jalons de ce glissement du système vers la capitalisation.

Perco, Perp et Pere, les trois cavaliers de la capitalisation

L’apparition des premières lois permettant la souscription de produits d’épargne retraite a en fait la même origine que le recul de l’âge de départ : le déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. En 1993, la réforme menée par Edoudard Balladur donnait la possibilité aux salariés de souscrire à de tels contrats, en même temps qu’elle modifiait le calcul des pensions (basculement des 10 au 25 meilleures années dans le privé, etc.).

Le débat sur la crise du système de retraite par répartition et le risque de diminution des pensions est déjà là. Mais c’est la « loi Fillon » du 21 août 2003 qui instaure officiellement des « plans d’épargne collectif », version française et euphémistique des « fonds de pensions » décriés de toutes parts. Le Pere (assurance vie collective) qui existait déjà, peut désormais être abondé par le salarié directement. Le Perp (plan d’épargne retraite individuel) fait son apparition. Mais c’est surtout le Perco qui marque un tournant: sur le modèle des produits à « versement défini » (type 401k américain), il expose les salariés au risque des marchés, protège l’employeur et le prestataire d’assurance. A mots couverts, les fonds de pension font une entrée fracassante dans le système français.

Aidé par des dispositions qui facilitent et encouragent l’usage du Perco, celui-ci connaît de belles années : malgré la crise financière de 2008, son encours grimpe de 63% en un an pour atteindre 3 milliards d’euros au 31 décembre 2009. Mais pour les assureurs, le résultat est insuffisant. Insuffisant comparé aux 230 milliards des régimes obligatoires et aux 1300 milliards de l’assurance vie. Les lobbies ne cachent pas leur mécontentement : au 1er juin 2009, la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) juge durement la réforme Fillon qui « n’a pas eu les résultats escomptés ». Le rendez-vous est clairement fixé à 2010 pour une « refonte totale » du système. Les arguments sont déjà tout prêts, collant aux éléments de langage du gouvernement : la capitalisation ne permet-elle pas de nous « éviter de reporter le financement du déficit sur les générations futures » ? Si, bien sûr : elle a même permis à certains sexagénaires britanniques de reprendre leur propre destin en main en se remettant au travail.

Et, le 26 mai 2010, dossiers plastifiés sous le bras, Jean-François Lequoy, Patrice Bonin et Gilles Cossic, représentants de la FFSA s’avancent « comme trois Monsieur Sylvestre de la World Company », raconte Martine Billard, député du Parti de Gauche. Après un long exposé sur la « nécessité de simplifier » les produits déjà en place,

Le délégué général de la FFSA, Jean-François Lequoy, juge « intéressant que ceux qui ont d’abord souscrit une assurance vie aient la possibilité de la reflécher (sic !) au bout de huit ans vers un objectif de retraite. »

Un système que la FFSA propose d’encourager par des exonérations fiscales de 10 à 20% de la rente. A cette demande, Pierre Méhaignerie, président UMP de la Commission des affaires sociales qui les reçoit « saute de sa chaise » : « Je m’oppose catégoriquement à toute nouvelle dépense fiscale dans le contexte financier actuel », tonne-t-il suivi par le rapporteur, Denis Jacquat. Les assureurs continuent d’égrainer leurs propositions et repartent leurs dossiers plastifiés sous le bras.

L’article 32 ou l’attaque de nuit de la diligence des retraites

Mais les argumentaires n’ont en fait pas vraiment quitté la salle. En juillet, quand l’amendement de commission numéro 29 arrive au débat en commission, Martine Billard s’écrie : « c’est la proposition de la Fédération française des sociétés d’assurance, qui se trouve page 219 du rapport d’information de la commission ». Sous le texte du député Yanick Paternote, une proposition des assureurs pour « fluidifier » l’épargne : la possibilité de sortir son épargne retraite pour acheter ou réparer sa résidence principale, idée qui prive un peu plus ce produit de sa fonction de sécurité pour le transformer en produit bancaire comme un autre. Retoquée par le rapporteur, l’amendement fait l’objet d’un commentaire étonnant du ministre, qui souligne qu’il « mériterait d’être examiné dans le cadre du projet de loi de finances » et non dans la réforme des retraites. En clair, Eric Woerth reconnaît que cet amendement est un cavalier, un texte sans rapport glissé là pour être adopté en toute discrétion. Celui-là est retiré. D’autres non.

Laurent Hénart, rapporteur UMP du texte, propose ainsi les amendements répondant aux demandes des lobbies : possibilité de versement des RTT sur les produits épargne retraite, participation non utilisée « fléchée » vers le Perco, ouverture des droits au Perco pour les TPE-PME…

« C’était toutes les demandes de la FFSA », lance Roland Muzeau en Commission.

Sa colère se perd dans la précipitation : du fait de la procédure d’urgence, le débat en séance s’interrompt avant même d’arriver à l’article 32 qui les contient : les députés votent tout, d’un coup, et passent le texte au Sénat.

Là, d’autres élus prennent le relais, notamment Isabelle Debré qui dépose sept amendements qui visent à généraliser l’information sur les produits d’épargne retraite, autoriser le versement de la prime d’intéressement sur le Perco… Bref, à inciter entreprises et salariés à choisir ces solutions de « complément retraite ». Le tout défendu avec des arguments proches de ceux des lobbies des banques et assurances : « En outre, il est important de souligner la nature d’épargne de dispositifs qui peuvent permettre d’améliorer le montant futur des pensions de retraite. » « Peuvent permettre », une précaution utile : dans le doute que ces fonds de pension puissent ne pas être rentables, rendons-les obligatoires. Dans l’hémicycle, le débat arrive bien tard mais ne freine en rien l’adoption du texte : vendredi 21 octobre, le séance se ferme sur un vote unique demandé par le gouvernement.

De nouvelles niches fiscales où dorment des loups

Le coup avait été préparé de longue date. Malakoff Médéric, avec l’aide du CNP, a ainsi fondé la filiale Sevriena pour couvrir ce nouveau champ de prospective. Une initiative dont la Caisse des dépôts et consignation a étrangement décidé de se retirer avant l’été. Mais cette entreprise est loin d’être la seule à se frotter les mains : banques et assurances préparent déjà leurs stratégies pour capter ce nouveau marché. Au lendemain de l’adoption de la réforme par le Sénat, BNP Paribas lançait son site La retraite en clair.fr pour ses clients ayant des question « sur le système des retraites actuel et à venir » notamment « sur le montant de sa pension future » et « les moyens à mettre en œuvre pour compléter ses revenus » (sic !).

De leur côté, les entreprises y trouvent aussi leur compte : défiscalisés, les versements sur les produits d’épargne retraite sont de bons deals. « Plutôt que de verser 100 en salaire qui lui coûte 140 et rapporte 60 au salarié, il est plus avantageux pour l’entreprise de verser 100, qui lui coûtent autant et rapportent la même chose au salarié », résume Henri Sterdyniak, chercheur à l’OFCE. Le problème, c’est que tout ça se fait aux dépends de la Sécurité sociale, les sociétés préfèrent cotiser pour leurs salariés que pour le système général : on bascule de la solidarité nationale et inter-générationnelle à la solidarité d’entreprise.

Du côté des syndicats, la posture est difficile à tenir : bien qu’opposés au principe de retraite par capitalisation, nombreux sont les délégués du personnel qui signent les accords Perco en échange de la promesse de la direction de verser de l’argent en complément de celui amené par les salariés, comme chez GSK, exemple présenté dans une enquête du site Miroir social, où le laboratoire proposait d’abonder à 300% les sommes apportées par les salariés. La confusion est entretenue par les termes employés : cette « épargne retraite », présentée comme un simple placement, fonctionne bel et bien selon le principe des « fonds de pension » et de ce fait, rogne sur le système par répartition.

Or, au delà des amendements retenus par la loi, les propositions avancées par les lobbies laissent entrevoir la prochaine étape : la proposition de la FFSA de verser l’assurance vie sur l’épargne retraite ou celui consistant à pouvoir retirer de l’argent de son Perco pour acheter ou rénover un logement transformeraient, à terme, ces outils de prévoyance en simples produits bancaires spéculatifs. L’hypothèse de la fusion entre assurance vie et assurance vieillesse complémentaire dans un produit d’épargne hybride hyperdisponible apparaît même comme « vraisemblable » à plusieurs chercheurs.

Bref, « la retraite supplémentaire par capitalisation n’est plus un sujet tabou, » comme le disait le député en charge du rapport sur l’information sur l’épargne retraite de 2003. Un certain Eric Woerth…


Pour compléter cet article, nous vous recommandons l’excellent dossier de notre consoeur Emmanuelle Heidsieck sur le site d’information Miroir social, qui a constitué le point de départ de notre enquête :

Photo FlickR CC : Maxi Walton ; Richard Ying ; Keene Public Library ; copie écran du site La retraite en clair.fr.

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Les retraites: un problème sans solution? http://owni.fr/2010/10/26/les-retraites-un-probleme-sans-solution/ http://owni.fr/2010/10/26/les-retraites-un-probleme-sans-solution/#comments Tue, 26 Oct 2010 08:56:19 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=33593 Autour d’une table. Sur celle-ci, les reliefs d’un dîner. En bruit de fond, on entend un air de musique interrompu parfois par des bruits de vaisselle en provenance de la cuisine voisine.

Belle-mère : Mon gendre, j’ai une question à vous poser.

Gendre (un peu inquiet) : Je vous écoute, madame. De quoi s’agit-il?

Belle-mère : Voilà. Il y a quelques jours, mon mari et moi recevions ici quelques amis et collègues. Vous connaissez mon mari; bien évidemment, ils ont passé la soirée à discuter politique. Je n’ai que peu de goût dans ce domaine, et en général n’en parle pas. Mais là, à un moment, est arrivée la question des retraites. Un sujet qui, vous le savez, va très bientôt nous concerner. Je dois vous avouer, à ma grande honte, que je ne me suis guère préoccupé de cette question; mais la conversation m’a inquiétée. Je n’ai rien compris, mais tous nos amis semblaient persuadés d’un problème; et tous avaient des propositions très différentes pour le résoudre, et se sont vivement opposés. Après cela, je me trouve dans la plus grande confusion. Alors je me suis dit que peut-être, vous pourriez m’éclairer. Qu’est-ce exactement que ce problème des retraites?

Gendre (visiblement soulagé) : Cela peut se comprendre facilement. Dans tous les pays, il y a des gens qui sont en âge de travailler, et des gens qui ne sont pas en âge de travailler, soit trop jeunes, soit trop âgés. Pour simplifier, on dit que les gens d’âge compris entre 15 et 64 ans sont en âge de travailler, et pas les autres. On appelle ratio de dépendance (désolé – je sais que vous n’aimez pas le jargon) le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et les autres. Or, sous l’effet de la baisse de la natalité dans nos pays, et surtout de la hausse de l’espérance de vie, ce ratio de dépendance est appelé à considérablement diminuer au cours des 40-50 prochaines années : les populations vont avoir tendance à diminuer, et à vieillir. Aujourd’hui, il est d’environ 5 dans ces pays, ce qui signifie qu’il y a 5 personnes en âge de travailler pour une personne inactive. Étant données les tendances actuelles, il pourrait passer à 2,5 vers 2050; ce qui signifie que chaque personne en âge de travailler aura en moyenne, à sa charge, deux fois plus de gens qu’aujourd’hui.

Belle-mère : Cela ne semble pas un si grand changement…

Gendre : Détrompez-vous. Il y a quelques années, l’ONU a calculé « l’équivalent immigration » du déficit démographique dans différents pays. Pour maintenir la population française constante entre 1995 et 2015, ont-ils calculé, il faudrait d’ici là accueillir 1,5 millions d’immigrants actifs. Cela ne fait pas beaucoup : environ 27 000 migrants par an, soit moins que l’immigration française actuelle. Mais maintenir la population ne prend en compte que l’effet de la natalité réduite; pour maintenir le ratio de dépendance, c’est-à-dire compenser le fait que les personnes vivent plus âgées, il faudrait accueillir d’ici 2050 94 millions d’immigrants, soit 1,7 millions de personnes par an. La population française passerait alors à 160 millions de personnes. A titre de comparaison, il y a environ 800 000 naissances par an en France. Vous voyez que de tels chiffres sont considérables : il n’est ni possible, ni souhaitable, que la population française augmente dans de telles proportions.

Belle-mère : mais alors, concrètement, qu’est-ce que cela signifie?

Gendre : cela signifie que les retraites vont coûter de plus en plus cher. Or elles sont prélevées sur les revenus des actifs sous forme de cotisations; ceux- ci vont donc faire l’objet d’un prélèvement qui va s’élever. Ou alors, ce sont les pensions de retraite qui baisseront. Il y a un effet qui vient mitiger cela, c’est celui de la croissance économique; si l’on reste sur le rythme du 20ème siècle, le revenu par habitant a augmenté d’environ 2% par an. A ce rythme, les revenus sont pratiquement multipliés par trois en 50 ans. Mais utiliser cette croissance pour financer les retraites risque de poser quelques problèmes.

Belle-mère : lesquels, exactement?

Gendre : déjà, il n’est pas certain que cela suffise. Les coûts du vieillissement de la population ne se limitent pas au coût des retraites; il faut aussi compter le coût accru du système de santé, car les personnes âgées consomment plus de soins, et les soins médicaux coûtent de plus en plus cher. Par ailleurs, nous ne savons pas du tout si la croissance future sera la même que celle du siècle dernier. Il n’est pas impossible que le vieillissement de la population réduise cette croissance, pour diverses raisons. D’abord, parce que les personnes en âge de travailler seront moins incitées à le faire si elles constatent qu’une part croissante de leur salaire est absorbée par les prélèvements de retraite. Mais aussi parce que la croissance implique un rythme relativement rapide de changements techniques. Regardez vos parents, comme ils ont du mal à se faire à l’usage de l’ordinateur. Si une grande partie de la population connaît des difficultés pour s’adapter aux nouvelles techniques, cela peut ralentir la croissance.

Belle-mère : excusez-moi, mais pourquoi ne devrait-on ponctionner que les salaires des personnes qui travaillent? J’entends à la radio le petit jeune, vous savez, le facteur…

Gendre : Olivier Besancenot?

Belle-mère : oui, c’est cela. Donc hier, je l’ai entendu à la radio, et il disait qu’il faudrait financer les retraites en taxant les profits, qu’il dit très élevés, des entreprises. N’est-ce pas une bonne idée?

Gendre : hélas, madame, cela ne change pas la situation. Les entreprises font leurs calculs sur la base de leur profit après impôts. Pour maintenir ceux-ci avec des impôts accrus, elles seraient amenées à réduire les salaires de leurs employés : ceux-ci se retrouveraient donc dans la même situation qu’avec des impôts accrus. Peut-être que les taux de profits des entreprises pourraient, toutefois, baisser; mais cela aurait des effets sur la croissance, en réduisant les revenus issus de l’activité entrepreneuriale, et donc en dissuadant celle-ci. Quoi que l’on fasse, on en revient au même problème : ceux qui travaillent devront supporter une charge accrue.

Belle-mère : mais… il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas, beaucoup de chômeurs. Si tous ces gens trouvaient du travail, cela arrangerait les choses, non?

Gendre : évidemment. Mais n’oubliez pas que le problème est avant tout un problème de répartition de la population entre ceux qui sont en âge de travailler et les autres; même si tous ceux qui sont en âge de travailler le font, le problème subsiste.

Belle-mère : si je comprends bien, vous êtes en train d’expliquer que les retraites sont compromises; pensez-vous que mon mari et moi devrions mettre plus d’argent de côté? Et de façon générale, que tout le monde devrait en faire autant?

Gendre : vous touchez là l’une des questions les plus récurrentes sur les retraites. Il existe deux façons de payer pour les retraites, que l’on appelle répartition et capitalisation. La répartition, c’est le système qui existe actuellement en France : on prélève des cotisations sur ceux qui travaillent pour verser des pensions aux retraités. La capitalisation, de son côté, consiste à faire en sorte que les gens constituent un capital au long de leur vie active, et consomment celui-ci lorsqu’ils sont en retraite. Pour cela, on voit apparaître différents mécanismes, facultatifs ou obligatoires, et faisant parfois l’objet d’incitations fiscales. Vous avez peut-être entendu parler des fonds de pension?

Belle-mère : eh bien, certes… je connais le mot. L’autre soir, l’un des amis de mon mari semblait dire que c’était une catastrophe que cela n’existe pas en France. Mais à part cela…

Gendre : les fonds de pension sont des organismes qui gèrent l’épargne-retraite des gens, dans les pays ou les retraites sont fondées sur la capitalisation. De ce fait, ils disposent de masses de capitaux importantes, qu’ils vont ensuite placer sur les marchés financiers. Et effectivement, certains recommandent, puisque les retraites par répartition sont soumises à des difficultés, d’adopter en complément un système de retraites par capitalisation, voire de remplacer l’actuel système par un système de fonds de pension. Mais il y a plusieurs raisons d’être sceptique. Premièrement, la transition d’un système par répartition à un système par capitalisation est difficile : il faut que pendant la transition, les actifs paient à la fois les pensions de l’ancien système et se constituent un capital : on retrouve le même problème qu’avant, les actifs doivent payer. Deuxièmement, la différence entre capitalisation et répartition n’est pas si importante qu’on le pense. Pour que la capitalisation fonctionne, il faut qu’au moment ou les retraités dépensent le patrimoine qu’ils ont accumulé, il y ait des actifs qui souhaitent le leur acheter… Au total, C’est donc toujours à un prélèvement sur le revenu des actifs que l’on revient.

Belle-mère : oui, mais mettre de l’argent de côté pendant plusieurs années rapporte, ce que ne fait pas un argent qui va directement aux retraités. N’y a- t-il pas là une différence?

Gendre : Oui, les revenus épargnés rapportent des intérêts. Mais dans un système par répartition aussi, vous touchez plus que vous n’avez cotisé, du fait de la croissance économique. Vous recevez votre pension au moment ou les salaires des actifs ont augmenté, du fait de celle-ci. Ce qui donne d’ailleurs lieu à un résultat central de l’économie des retraites : si les taux d’intérêt sont égaux au taux de croissance, capitalisation et répartition sont exactement équivalents. Si les taux d’intérêt sont supérieurs au taux de croissance, c’est la capitalisation qui a l’avantage; si la croissance est supérieure aux taux d’intérêt, c’est la répartition qui a l’avantage.

Belle-mère (semble un peu distraite) : Oui, heu… Et donc maintenant, qu’est- ce qui est le mieux?

Gendre : jusqu’à la fin des années 70, c’était la répartition; depuis, le rendement de la capitalisation est devenu supérieur. Cela fait partie des arguments favorables à la capitalisation; beaucoup se disent que ce serait une meilleure affaire pour les retraités que le système actuel. Mais cela ne résout pas la question de la transition d’un système à l’autre. Et en pratique, ce n’est probablement pas la raison pour laquelle existe une telle pression favorable à la capitalisation. La vraie raison, c’est qu’un système de fonds de pension « à la française » constituerait une considérable aubaine pour l’industrie financière en France (banques et compagnies d’assurance). Cela leur offrirait d’importantes quantités de capitaux à gérer, et sans grande difficulté, puisque ces placements feraient l’objet d’avantages fiscaux. Après tout, si aujourd’hui quelqu’un veut épargner pour sa retraite, strictement rien ne l’empêche de le faire : il doit simplement payer des impôts. On peut trouver de très bonnes raisons pour réduire la fiscalité qui pèse sur l’épargne; mais il n’y a aucune raison de favoriser spécifiquement l’épargne gérée par de grandes institutions financières, par rapport à celle de l’individu qui décide d’acheter des titres en propre. Sauf bien entendu si l’on a une autre idée derrière la tête.

Belle-mère (semble totalement perdue) : Quelle idée?

Gendre : l’idée de verrouiller le capital des grandes entreprises françaises en faisant en sorte qu’elles soient au bout du compte contrôlées par des fonds de pension nationaux que l’on incite à investir dans ces entreprises. Ce qui permet d’éviter que des étrangers ne prennent le contrôle de ces entreprises, et que celles-ci restent les chasses gardées de nos classes dirigeantes. C’est un objectif bien éloigné de la sauvegarde des personnes âgées, vous conviendrez.

Belle-mère (bâille) : C’est très intéressant ce que vous dites… Mais alors, quelle est la solution au problème des retraites?

Gendre : il n’y en a pas.

Belle-mère : Vraiment pas?

Gendre : Non. Il n’y a pas de politique qui permettrait de résoudre le problème de façon magique. A terme, il faudra faire payer un peu plus les cotisants, réduire un peu les pensions de retraite, peut-être combiner cela avec une augmentation de l’âge de la retraite. Sous quelle forme? Nous ne pouvons pas le savoir aujourd’hui. Il faudra probablement s’adapter au cours du temps, avec des réformes mises en oeuvre au fur et à mesure, qui dépendront des équilibres politiques et des circonstances à venir. Pour l’instant on se contente de faire quelques économies en réduisant à terme les pensions des retraités, en augmentant un peu la durée de cotisation et en ramenant certains systèmes plus avantageux vers la moyenne générale; mais si cela va trop loin dans le sens d’une réduction des revenus des retraités, les gens s’adapteront en épargnant un peu plus, ou accepteront l’idée de vivre plus chichement lorsqu’ils cessent de travailler; ou, encore, les personnes âgées profiteront de leur nombre pour exiger des gouvernements des pensions plus confortables. Pour faire rapide, nous ne savons pas ce qui va se passer, et les diverses réformes gouvernementales n’y changeront pas grand-chose.

Belle-mère (semble penser à autre chose) : Bon, bien tout cela est très intéressant. Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris…

Gendre : Je peux vous réexpliquer certaines choses, si vous le souhaitez.

Belle-mère : Non merci! En tout cas je me sentirai moins désemparée la prochaine fois que mon mari et ses amis parleront de ce sujet. Vous savez, mon mari apprécie toujours vos explications. Mais…

Gendre : Oui?

Belle-mère : Quand même, ne pensez-vous pas que si la jeune génération d’aujourd’hui avait plus d’enfants, cela arrangerait les choses?

Gendre : Extrêmement peu. Je vous l’ai dit, c’est un problème d’allongement de la durée de vie beaucoup plus que de natalité, et la natalité théoriquement nécessaire pour maintenir la situation démographique est à la fois irréaliste et peu souhaitable.

Belle-mère : Quand même, je continue de penser que si les jeunes d’aujourd’hui avaient plus d’enfants… D’ailleurs, je me disais que vous…

Gendre (se lève brusquement) : Oh, mais nous discutons, et pendant ce temps, votre fille est seule à ranger la cuisine. Je vais aller l’aider un peu.

Le gendre quitte la pièce précipitamment. La belle mère reste seule perdue dans ses pensées. Puis elle se lève et à son tour se dirige vers la cuisine.

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Publié sur le blog d’éconoclaste, extrait du livre « Sexe, drogue… et économie », Alexandre Delaigue & Stéphane Ménia, Pearson, 2008

crédits photos Flick’r Vetustense et Spacelion

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