OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [INFOGRAPHIE] Domiciliation: 1 lieu, 0 habitant, 95 nationalités http://owni.fr/2011/05/04/infographie-domiciliation-1-lieu-0-habitant-95-nationalites/ http://owni.fr/2011/05/04/infographie-domiciliation-1-lieu-0-habitant-95-nationalites/#comments Wed, 04 May 2011 08:10:28 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=60434 Quelques hypothèses d’analyse sur les données de la domiciliation présentées dans l’infographie ci-après :

Sexe. Les hommes sont majoritaires, avec 59%, ce qui est en phase avec les statistiques de l’Insee, selon lesquelles les SDF sont majoritairement des hommes en France. Quant à expliquer le pourquoi de cette différence de 20%, c’est un exercice à la madame Irma.

Ancienneté. Triste constat : la situation précaire des domiciliés dure. Un quart sont là depuis plus de quatre ans.

Situation administrative. En majorité, le CASP domicilie des personnes qui ne correspondent pas à la définition « traditionnelle » du SDF : un Français marginalisé. Une majorité viennent de l’étranger, pour des raisons économiques et/ou politiques.

Date de dernier passage. Les personnes sont assidues. Le règlement qui impose de venir deux fois par mois n’explique pas tout : au bout du courrier se trouve parfois la régularisation, la réinsertion.

Chiffres 2010.

Origine. En tête, on trouve un ensemble comprenant l’Europe sans les 27 de l’UE, soit 24 pays, parmi lequel la Géorgie est un “poids lourd” : 110 sur 574, soit le quatrième pays le plus représenté. La crise politique que connait le pays explique principalement ce chiffre, nous a expliqué M. Folleville. Ils sont envoyés là par la Cada (Centre d’accueil de demandeurs d’asile). De même, les Roumains sont le septième pays avec 89 personnes.

Pour contexte, la France réserve un traitement de défaveur à la Roumanie : bien qu’elle soit entrée dans l’UE en 2007, elle n’appartient pas à l’espace Schengen, et donc ses ressortissants ne bénéficient pas de la liberté de circulation dont tout citoyen européen jouit. Et comme c’est une immigration économique, ils sont des candidats-types à la domiciliation.

De façon attendue, l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne viennent ensuite. Ce sont traditionnellement des zones d’immigration économiques. L’Algérie est ainsi le premier pays représenté, largement en tête si l’on rapporte à la taille de sa population : 331 pour 36 millions d’habitants, 320 pour la Russie qui compte plus de 140 millions d’habitants. « Ce sont surtout des sans-papiers », détaille M. Folleville.

Des causes politiques se mêlent sans doute aussi : par exemple la Côte d’Ivoire, en crise depuis 2002, est le 10ème pays le plus pourvoyeur de domiciliés.

L’importance de la Russie n’est pas étonnante. Forumrefugiés indiquait ainsi qu’« Après l’Irak et la Somalie, la Fédération de Russie (20 500) constitue le troisième pays d’origine des demandeurs d’asile dans les pays industrialisés. A noter que la Pologne, l’Autriche et la France sont les trois principaux pays d’accueil de ces ressortissants. »

L’Amérique, qu’elle soit du Nord ou latine, est si minoritaire qu’elle n’apparait pas en tant que zone géographique à part.

Qu’est-ce que la domiciliation ?

Méconnue, la domiciliation est un service réservé aux personnes sans domicile stable qui ne peuvent pas déclarer d’adresse où récupérer leur courrier régulièrement. Elle a toujours existé, sans pour autant être encadrée par la loi. Les associations, les églises, ou toute autre personne pouvaient domicilier une personne sans domicile stable.

C’est une pratique qui est dès l’origine basée sur le volontariat nous raconte Patrick Folleville, directeur du pôle accueil et hébergement d’urgence au CASP (Centre d’Action Sociale Protestant). Notre service de domiciliation administrative a ouvert en 1980. C’est un service gratuit.

En 2007, la loi DALO (Droit au logement opposable) va encadrer les pratiques de domiciliation de droit commun. Les modalités en sont précisées par la circulaire du 25 février 2008 [pdf] :

Les situations personnelles sont très variées et peuvent se trouver à la limite de cette notion. C’est en fait à la personne de se demander si elle dispose d’une stabilité suffisante pour déclarer une adresse personnelle à une administration.

Quel que soit le statut de la personne, la première démarche qu’elle devra effectuer est celle de la domiciliation. Avoir une adresse est le sésame qui donne accès à toutes les autres démarches administratives en France. C’est une question de survie, comme le soulignait le groupement des associations dont font partie le CASP et DOM’Asile lors des états généraux de la domiciliation organisés en décembre 2010 à Paris.

Il existe à Paris 62 associations avec un service de domiciliation. Chacune d’entre elles gère tout ou partie du flux des domiciliés, en fonction des agréments qu’elles ont obtenus. Ces derniers sont accordés aux organismes à but non lucratif exerçant depuis plus d’un an dans le domaine de la lutte contre les exclusions, l’accès au soins, l’accueil des réfugiés, etc.

  • Agrément de domiciliation au titre de la CMU (Couverture Maladie Universelle) et de l’AME (l’Aide Médicale d’État est réservée aux personnes sans papiers, depuis peu, leur photo est apposée sur la carte d’AME) : 50 associations
  • Agrément au titre du RMI : 36 associations
  • Agrément au titre de l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie) : 15 associations
  • Agrément au titre de la demande d’Asile : 9 associations.

Le CASP fait partie des trois seules associations à Paris qui détiennent les quatre agréments de domiciliation principaux. Sa « file active », c’est-à-dire le nombre de bénéficiaires maximal, était de 2.500 personnes au 31 décembre 2010. Ils gèrent aussi bien un toxicomane de longue durée qu’une famille de réfugiées ou un travailleur sans papiers.

Le suivi est assuré par l’équipe du service dès leur arrivée pour une première inscription. Les domiciliés se voient remettre un règlement intérieur à leur première inscription dont voici quelques règles de base :

  • Les personnes domiciliées doivent retirer leur courrier au moins deux fois par mois.
  • En cas de non-présentation de la personne au-delà de trois mois, le courrier est renvoyé en NPAI (N’habite pas à l’adresse indiquée) à La Poste.
  • La domiciliation est accordée pour une durée d’un an au bout de laquelle il faudra la renouveler avec l’accord du travailleur social chargé du suivi de la personne concernée.
  • Les personnes ne peuvent recevoir des revues, magazines et autres publicités.

Demandeurs d’asile : quand les préfectures refilent leur boulot aux associations

Sur le nombre total de personnes domiciliées par les associations, une partie sont des demandeurs d’asile, intégrés à la file active. Une fois qu’ils obtiennent leur attestation de domiciliation, ces primo-arrivants se rendent à la préfecture pour obtenir leur récépissé de séjour. Or, les préfectures ont un problème d’accueil, notamment en région parisienne, destination qui cumule tous les avantages : plus de chance de trouver un emploi ou un domicile, plus de structures d’accueil, etc.

Ainsi, la Préfecture de Police de Paris (PPP) accepte, par jour, seulement 20 à 30 personnes, alors que 120 personnes attendent devant la porte. Selon David Hedrich de DOM’ASILE,

cette limitation ne se justifie pas. L’attente est telle que les demandeurs d’asile doivent camper devant la préfecture. C’est une situation absurde.

Du coup, certaines préfectures, qui sont donc responsables du pilotage des demandes d’asile, se déchargent sur les associations en leur délégant des pouvoirs : « c’est notamment le cas de la préfecture du Val-de-Marne (94), poursuit David Hedrich, qui a demandé aux associations chargées de cette mission de gérer la délivrance des titres de séjours, en leur fournissant tous les papiers officiels nécessaires. »

Dom’Asile n’hésite pas à passer à l’action, avec d’autres associations du Groupe Asile de France : entre le 7 et le 18 mars dernier, ils ont mis en place des actions devant les sièges des préfectures de Créteil et Paris, le matin à l’ouverture des portes, afin de vérifier que ces dernières accueillaient bien toutes les personnes qui se présentaient.

Notre but, poursuit David Hedrich, est de regrouper suffisamment de condamnations par les tribunaux administratifs afin de faire changer les pratiques des préfectures.

Du côté du CASP, un partenariat a été mis en place avec la Préfecture de Police de Paris pour gérer au mieux le flux de demandeurs d’asile primo-arrivants. Patrick Folleville nous explique que ses services « envoient une liste de noms et la préfecture renvoie les jours et heures de rendez-vous. Nous avons négocié avec eux cette organisation et sur les informations contenues dans la liste. Cela évite justement aux gens de de camper devant la préfecture. »


Infographie réalisée par Karen Bastien cc-by-nc-sa
Image de Une par Ophelia /-)

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« Obtenir une domiciliation, c’est une délivrance » http://owni.fr/2011/05/04/obtenir-une-domiciliation-une-delivrance/ http://owni.fr/2011/05/04/obtenir-une-domiciliation-une-delivrance/#comments Wed, 04 May 2011 06:30:54 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=51377

Bon allez, I take you. So it’s a récipissé ? Asile ?
Yes, yes, asile…
Vous faites des démarches à la préfecture ? Oui, il y a bien un rendez-vous… Do you have CMU ?

Le globish, Gérard le pratique tous les jours. Est-il serveur dans un café touristique des Champs-Élysées ? Non, salarié au service domiciliation du CASP (Centre d’Action Sociale Protestant), “la dom’“, comme ils disent entre habitués. Il entame une procédure pour Rajesh, un réfugié bangladais.

Gérard enregistre Rajesh, un réfugié bangladais.

Au 20, rue de Santerre, dans le 12e arrondissement de Paris, une mini-ville d’environ 2 500 personnes siège virtuellement dans cet immeuble de six étages, large de six fenêtres. Les personnes sans domicile fixe, qu’elles vivent sur un bout de carton dans la rue ou dans une chambre d’hôtel, sont obligées d’avoir une domiciliation, à l’exception des mineurs.

Autant qu’une obligation, c’est un droit entériné par la loi DALO sur le logement opposable en 2007 (circulaire du 25/02/08, pdf) : sans elle, impossible de faire les démarches administratives et sociales, bref d’avoir une chance de s’insérer. Cette adresse postale est à distinguer du logement, endroit physique où une personne vit.

« Obtenir une domiciliation, c’est une délivrance », résume Nadia, qui travaille aussi dans ce service. Gérard renchérit :

Certains demandeurs d’asile arrivent directement à se faire domicilier de l’aéroport, ils se passent le mot entre eux, dès leur pays d’origine parfois.

Et pour cause : le chemin pour obtenir des papiers commence là. S’ils sont déboutés, ils en auront aussi besoin pour avoir droit à l’aide médicale d’État (AME), réservée aux personnes en situation irrégulière.

Rajesh est dans le troisième cas de figure : bénéficiant du statut de réfugié politique, il est en situation régulière et peut chercher du travail en France. Problème: il ne peut plus habiter chez les personnes qui l’hébergeaient jusqu’à présent, ni recevoir son courrier et il a rendez-vous à la préfecture début mai. Alors ça urge. Il a déjà fait plusieurs autres services de dom’, sans succès.

Trois associations agréées à Paris

Seules trois associations à Paris possèdent tous les agréments : c’est une tâche lourde qui, paradoxalement, ne bénéficie pas d’aide de l’État alors que c’est une obligation. Le jeune homme s’est pointé là, sans rendez-vous. Il a eu de la chance, Gérard est un gars sympa, pas le genre à mettre des bâtons dans les roues par principe administratif : « on a le temps, il n’y a pas de raison de le faire attendre ». Et le voici invité à prendre place dans un petit bureau, aux côtés d’un ordinateur.

« Bon, name, prénom, sexe, masculin, c’est ça ? », lance Gérard en riant. Car il a beau côtoyer la misère, il se refuse pour autant à faire dans le pathos: « Nous ne sommes pas là pour les plaindre, il ne faut pas leur faire ressentir leurs difficultés. » Entre nécessaire rigueur administrative et humanité tout aussi nécessaire, la petite équipe gère les affaires.

À l'accueil. On vient parfois en famille.

Français ou globish, Rajesh comprend a minima ce qu’on lui dit

Pays d’origine, ville de naissance, les personnes du service dom’ ont acquis de solides connaissances en géographie: « Je vais passer à Question pour un champion, non mieux, Qui veut gagner des millions! ». Gérard enchaine les blagues, son interlocuteur esquisse un rire timide mimétique, engoncé dans sa doudoune et son bonnet, en dépit de la chaleur printanière. Arrivé en 2007, Rajesh comprend a minima ce qu’on lui dit, français ou globish.

Après le fichier du CASP, il faut encore remplir le « cerfa », comme ils disent entre eux pour désigner le cerfa 13482*02. Mis en place dans le cadre de la loi DALO, ce sigle désigne l’attestation d’élection de domicile, véritable sésame donnant accès aux prestations sociales : RSA, CMU, Assedics… Douze tampons pour valider le tout, un exemplaire pour lui, « you keep it always, no photocopy », un pour la CMU, « to say you have changed your address », et un dernier pour le CASP, « ça c’est pour nous ».

Internet permet de désengorger le service

Rajesh serait venu trois mois plus tôt, la procédure se serait arrêtée là. Mais il devra encore patienter quelques minutes, pour une très bonne raison : le CASP a mis en place un système destiné à désengorger le service. Une carte magnétique toute simple avec un numéro qui simplifie tant la vie des bénéficiaires du service que du personnel qui en la charge. Avant, il était nécessaire de se déplacer pour savoir si l’on avait du courrier, avec à la clé une longue attente pour parfois rentrer les mains vides. Maintenant, en se connectant sur un site Internet grâce au numéro inscrit sur leur carte, ils savent s’ils ont du courrier. Faute d’Internet, ils n’ont qu’à passer leur carte sur la borne à l’entrée du 20, rue Santerre.

Ce système est né cet hiver d’une mini-crise, provoquée par leurs obligations : le CASP domicilie 750 demandeurs d’asile qui alourdissent la charge de travail. En effet, ils restent domiciliés chez eux peu de temps, avant d’être envoyé en CADA aux quatre coins de la France. Et donc autant de réexpéditions à gérer. Quand il s’agit de faire suivre une convocation à la préfecture dont dépend le sort d’une personne, on comprend qu’ils aient « mis une alerte » cet automne. La réaction suivra quelques mois plus tard, au grand soulagement de tout le monde.

Du coup, l’augmentation de la demande est gérée avec sérénité. « À mon arrivée en 2001, la file active était de 1 600 », se souvient Gérard. Engorgés, France Terre d’asile et Dom’asile leur envoient davantage de monde qu’avant, ils récupèrent aussi beaucoup de déboutés.

« Vous n’avez pas grande enveloppe ? »

Mamoudou, le vigile présent à l’accueil est beaucoup plus tranquille : « de temps en temps, une personne s’énerve, mais cela reste rare ». De fait, c’est le calme total. Chacun leur tour, les gens se présentent au guichet lorsque leur numéro de passage a été tiré. Une femme à l’accent russe prononcé présente son pass Navigo : « Je sais pas utiliser, c’est pas moi qui a carte. » Son nom suffit à la retrouver dans la base de données. Bénéficiaire de l’AME, domiciliée depuis 2006, Nadia sait immédiatement qu’elle est sans-papier. Dans le casier à la lettre V, par chance trois lettres,  la femme n’est pas venue pour rien. Pourtant, c’est tout comme : « Vous n’avez pas grande enveloppe ? » La déception ferme son visage, elle part.

Un enfant sautille de la porte à l’aquarium, tapote la vitre devant laquelle ondulent des poissons rouges, il babille dans une langue que l’on devine de l’Est. Sa maman n’est pas d’humeur à jouer. Dans ses mains, une lettre de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (APHP) qu’elle a ouverte, en vain : arrivée d’Ukraine voilà six mois, elle ne comprend pas le français. Et puis une enveloppe de la Cour nationale du droit administratif (CNDA), de celle dont dépend votre destin : numéro de dossier, convocation, refus ? La jeune femme repart, l’enveloppe close à la main.

16 heures, les visiteurs se font plus rares, Nadia s’en va vaquer, une caisse de lettres à trier à bout de bras : il y en a trois cents à ranger tous les jours, six cents les jours de pointe, quand les impôts ou les allocations familiales arrivent. De l’administratif pour l’essentiel, même si cela n’empêche pas des missives personnelles d’arriver aussi.

Lazhar, prêt à user encore un peu plus ses mains en faisant n'importe quel boulot.

Un homme déboule, tapote nerveusement de ses doigts sur le comptoir en attendant son paquet, il se prend la tête dans les mains. C’est Lazhar, qui a plus d’énergie à revendre que son geste désespéré ne le laisse penser. « Demain, je vais en Angleterre, Inch’ Allah » s’exclame-t-il en riant.

Avec son accent à couper au couteau et sa grammaire à faire frémir les pontes de l’Académie française, on le dirait étranger. Et bien non, il nous tend une carte d’identité française, français, tendance breton rouquin tâches de rousseur d’un côté, algérien de l’autre. Pas de métier en particulier, il est prêt à faire n’importe lequel pour travailler. « Et tu loges où maintenant ? »

J’habite partout… partout !

Son cousin le rejoint, ses lettres pliées en deux sous le bras, Lazhar repart, comme il était arrivé, en trombe. Son dernier passage au 20 rue, Santerre, maison de paille d’un instant qui l’aura bien aidé.


Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor

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