OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [Décryptage] Les arguments des industriels contre Gasland http://owni.fr/2011/04/06/gaz-de-schiste-decryptage-arguments-industriels-gasland-josh-fox/ http://owni.fr/2011/04/06/gaz-de-schiste-decryptage-arguments-industriels-gasland-josh-fox/#comments Wed, 06 Apr 2011 17:21:20 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=55461 Le documentaire Gasland ne prend pas aux tripes que les spectateurs, il remue aussi de l’intérieur les gaziers et pétroliers. Certes, pas de la même manière : là où les simples citoyens sont effrayés par les flammes qui sortent de robinets dont l’eau est chargée de gaz et de produits chimiques, les grandes compagnies tremblent. Les citoyens pourraient exiger des lois qui les empêcheraient de creuser leurs mines d’or gris. Heureusement, les lobbies sont là.

Parmi eux, la commission de conservation Pétrole et Gaz de l’état du Colorado est parvenue à se faire une certaine réputation dans le petit milieu des gaziers américains. Comment ? Pas seulement grâce à son nom angélique qui maquille habilement une réunion des transporteurs, foreurs, opérateurs et exploitants de gaz de schiste de Garfield County et alentours, mais aussi par son argumentaire à succès contre le film de Josh Fox :

Le documentaire Gasland a largement attiré l’attention. Entre autres choses, il affirme que la fracturation hydraulique des puits de pétrole et de gaz a contaminé au méthane les sources d’eau alentour, dans certains États parmi lesquels le Colorado. Parce que la tenue d’un débat public sur la fracturation hydraulique dépend d’informations exactes, la Commission de la protection du gaz et du pétrole du Colorado souhaite corriger plusieurs erreurs présentes dans la description faite par le film des incidents.

Le document que nous publions ici a presque fait le tour des États-Unis : transmis au département des ressources naturelles du Colorado, il a servi de base argumentaire à de nombreux exploitants d’autres « bassins » (Marcellus Shale, Texas, etc.). Notamment par l’introduction d’un génial argument-massue : le gaz qui s’échappe des robinets n’est pas celui que vous croyez !

Les habitants du Colorado n’ont vraiment pas de bol

Laborieuse et technique au possible, l’introduction de ce petit document remplit parfaitement son office : brouiller les pistes ! Vous croyiez qu’il y avait un seul type de gaz naturel ? Erreur fatal, il y en a deux, le méthane biogénique et le méthane thermogénique. En gros, le premier est issue de la décomposition naturelle de micro-organismes, le second de la décomposition de ces mêmes micro-organismes mais sous l’effet de pressions et de température précises. En gros car, sous la plume de la « COGCC », l’explication devient bien plus obscure :

Le méthane est un hydrocarbure naturel inflammable et explosif dans certaines concentrations. Il est produit soit par des bactéries soit par des processus géologiques impliquant la chaleur et la pression. Le méthane biogénique résulte de la décomposition de matière organique par fermentation, comme c’est le cas en zone humide ou lors de la réduction chimique du dioxyde de carbone. On le trouve dans des formations géologiques aquifères peu profondes, qui servent à alimenter les sources d’eau.

Le méthane thermogénique résulte de la décomposition thermale de matière organique ensevelie. On le trouve dans des gisements plus profonds et il est extrait grâce au forage d’un puits de pétrole et de gaz et la fracturation hydraulique de la roche contenant le gaz. Dans le Colorado, le méthane thermogénique est généralement associé à l’exploitation pétrolière et gazière. Pas le méthane biogénique.

Voilà la faute de débutant dont les industriels accusent Josh Fox : croire que leur gaz naturel sort des tuyaux serait le même que celui que les industriels extraient des couches de schiste. Sur les trois personnes qui ont croisé la caméra de Josh Fox, le lobby décrypte le cas de deux d’entre elles. La troisième, Mlle Ellsworth, est laissée dans l’ombre, étant « parvenue à un accord avec l’opérateur ». Façon élégante de dire qu’un gazier a convenu d’une compensation financière face aux préjudices causés par l’exploitation d’hydrocarbures.

Dans ces deux cas, les robinets enflammés seraient alimentés, non pas par des fuites des puits de gaz de schiste qui émaillent le paysage du Colorado… mais pas les couches de charbon !

Le rapport concernant la source d’eau de Mr. Markham montre qu’elle traverse au moins quatre couches de charbon. La présence de méthane dans le charbon de la formation Laramie a été bien documentée dans de nombreuses publications par l’Enquête Géologique du Colorado, l’Enquête Géologique des Etats-Unis, et l’Association des Géologues de Rocky Mountain, qui date de plus de trente ans.

[...]

Les analyses de laboratoire ont confirmé que les poches d’eau de Markham et McClure contenaient du méthane biogénique, typique du gaz trouvé naturellement dans les charbons de l’Aquifère de Laramie-Fox Hills. Cela a été établi grâce à l’analyse d’un isotope stable qui a permis le « traçage » et l’identification de ce gaz comme gaz biogénique, ainsi qu’à l’analyse de la composition du gaz, qui a indiqué que les hydrocarbures les plus lourds associés au gaz thermogénique étaient absents.

Autrement dit, les familles Markham et McClure n’ont vraiment pas de bol : avant d’arriver à leur robinet, les sources qui les alimentent traversent des couches de charbon d’où elles ressortent chargées en gaz, le fameux « gaz de houille », plus connu sous le nom de « grisou ».

Un argumentaire un brin falacieux : sur toute la longueur du film des dizaines de robinets flambent, dans un effet de répétition qui confine presque au comique… Or, dans cet argumentaire, les gaziers isolent deux cas (sur trois) dans un État (sur les onze qu’explore le réalisateur) et un seul phénomène : les robinets qui flambent. Or, pas un mot des liquides de fracturation qui rend imbuvable l’eau de ces familles avant même qu’elle ne prenne feu.

Sur ces gaz biogéniques eux-mêmes, le doute est permis, selon Violaine Sauter, géologue au Muséum d’histoire naturelle :

Dans certaines zones, l’eau se charge également en gaz : les eaux naturellement gazeuses captent du C02 dans les couches qu’elles traversent. Or, il n’y a pas que dans le Colorado que les eaux traversent des nappes de charbon.

La France elle-même est persillée d’anciennes mines de charbon et de filons à travers lesquelles les eaux profondes passent. Dans les Vosges, le « gaz de houille » est de nouveau objet de convoitise. Rares sont pourtant les histoires de robinets qui flambent en banlieue d’Épinal. Mais tout est dans cette image, la plus marquante du film. Et dans la manière habile et (prétendument) savante dont les gaziers la déchirent.

Quand la ministre de l’Écologie reprend les mots des lobbyistes

Mais l’efficacité apparente de l’argument a fait sa popularité : le même genre d’approximations se retrouvent désormais comme un condiment indispensable de tout discours pro-gaz de schiste, que ce soit du côté des industriels ou du côté des politiques. Et la popularité de ce petit texte ne s’est pas arrêté aux États-Unis !

29 mars 2011 : à la demande d’élus de gauche, un débat est organisé à l’Assemblée nationale française sur les conséquences environnementales de l’exploitation des gaz et huiles de schiste. A la tribune, se succèdent écologistes et élus locaux, de gauche comme de droite, pour la plupart très remontés contre l’attribution des permis : Anny Poursinoff du côté d’Europe écologie-Les Verts, Martine Billard pour le Parti de Gauche, Serge Grouard à l’UMP… Une avalanche de critiques auxquelles la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet a répliqué par une réponse étrangement familière :

Le documentaire Gasland, nominé aux Oscars, nous a tous impressionnés, notamment le passage où l’on voit une boule de feu sortir du robinet d’eau dans une maison américaine. Je suis surprise que vous n’ayez pas été plus nombreux à l’évoquer, mais je suis sûre que vous l’avez tous en mémoire.[...] Mais qu’en est-il exactement ? Le gaz qui, dans le film Gasland, se retrouve dans les nappes phréatiques venait-il de la fracturation hydraulique ou d’un forage conventionnel de mauvaise qualité ? S’agissait-il d’une production biogénique indépendante de tout forage ?

Là, le novice et le parlementaire non avertis sont décontenancés : et si ce documentaire à scandale, ce brûlot sensationnaliste était une mystification ? Troublante similitude entre les deux démonstrations. Mais pourquoi réinventer l’eau douce quand il s’agit, à l’instar de la Colorado Oil and Gas Conservation Commission de jeter le doute sur Gasland : on ne change pas un argumentaire qui marche.


Merci à Hélène David pour la traduction

Retrouvez l’ensemble de nos articles sur les gaz de schiste

Crédits photos CC FlickR par johnia, skytruth

Retrouvez tous les documents et enquêtes d’OWNI à propos des hydrocarbures de schiste sur OWNIschiste.

]]>
http://owni.fr/2011/04/06/gaz-de-schiste-decryptage-arguments-industriels-gasland-josh-fox/feed/ 14
Gaz de schiste : des fuites repérées dans les argumentaires des industriels http://owni.fr/2011/02/04/gaz-de-schiste-des-fuites-reperees-dans-les-argumentaires-des-industriels-energie-economie-total-nkm/ http://owni.fr/2011/02/04/gaz-de-schiste-des-fuites-reperees-dans-les-argumentaires-des-industriels-energie-economie-total-nkm/#comments Fri, 04 Feb 2011 17:19:01 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=37930 Entre le feu nourri des questions au gouvernement sur les gaz de schiste et la multiplication des pétitions s’inquiétant des ravages possibles de leur exploitation dans le Sud de la France et désormais en Seine-et-Marne et en Lorraine, le débat sur cette nouvelle ressource était en train d’avancer sans le gouvernement… Mercredi 2 février, Nathalie Kosciusko-Morizet a enfin sauté dans le train en promettant à l’Assemblée nationale une « mission » confiée aux conseillers généraux à l’industrie et à l’environnement chargés d’évaluer l’enjeu des gaz de schiste, « et d’abord les enjeux environnementaux ». Tant qu’il ne sera pas établi si leur exploitation est possible de manière « propre », aucun nouveau permis ne sera délivré ou même étudié. De quoi gagner un peu de temps avec les députés pendant que le Conseil européen, à Bruxelles, discute exactement du même sujet, mais pas dans les mêmes termes.

Depuis mercredi, le Sommet Energie réunit à Bruxelles les États membres qui présentent chacun leurs propositions pour de nouvelles sources d’énergie permettant de respecter les quotas de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Tandis que la France, alliée à la République Tchèque, a dégainé le potentiel de l’énergie nucléaire parmi les substituts « décarbonés » aux énergies fossiles, la Pologne elle, a soulevé l’importance des gaz de schiste en glissant un paragraphe dans le document de référence (communiqué par un eurodéputé à OWNIpolitics) contre lequel la France n’aurait pas fait valoir son véto :

In order to further enhance its security of supply, Europe’s potential for sustainable extraction and use of conventional and unconventional (shale gas and oil shale) fossil fuel resources should be assessed.

Afin de mieux sécuriser ses approvisionnements énergétiques, le potentiel de l’Europe pour une extraction et un usage durable des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels (gaz de schiste et huiles de schiste) devrait être affirmé.

Alors que Total entrevoit déjà un « haut potentiel » dans les 4327 km² qui lui sont occtroyés par son permis de Montélimar, les arguments se multiplient pour défendre cette nouvelle industrie. Or, ces arguments semblent, à l’instar du « moratoire » de Nathalie Kosciusko-Morizet, plus prompt à gagner du temps vis-à-vis des opposants que d’exposer la réalité des problématiques en jeu :

«  Pas question d’exploiter le gaz de schiste comme cela se fait dans certains pays et notamment aux USA (…) avec des techniques dangereuses pour l’environnement et destructrices » Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie.

Si la ministre pense réellement ce qu’elle dit, il lui faudra alors annuler les permis d’exploration accordés dans le Sud : ils ont tous été signés conjointement par des sociétés françaises et des opérateurs américains qui emploient les « techniques dangereuses pour l’environnement et destructrices » fustigées dans cette envolée de prudence. Dans le Languedoc et en Ardèche, c’est le texan Schuepbach qui partage avec GDF le droit de prospecter, tandis que Total s’est associé à Chesapeake, figure de proue de la dévastation de la banlieue Ouest de Dallas par les puits de gaz de schiste.

Carte : Marion Boucharlat pour OWNI.fr

Et quand bien même les sociétés françaises se débarasseraient de ces associés aux doigts patauds, ni Total, ni GDF ne connaissent les méthodes d’extractions, ils n’interviennent que dans les phrases d’exploration et de distribution. Comme pour tous les chantiers d’extractions, ils devront faire appel aux spécialistes du secteur : Halliburton (inventeur de la fracturation hydraulique), Schlumberger ou encore Baker Hughes, qui ramèneront entre le Rhône et la Garonne, leurs mélanges de produits chimiques protégés par le droit au secret industriel américain.

« Nous n’allons pas nous comporter comme des cowboys et creuser des trous partout », Charles Lamiraux, direction générale de l’énergie et du climat.

Il n’y a pourtant pas beaucoup d’autres manières de récupérer les gaz de schiste que de semer les champs de puits. Selon le géologue Aurèle Parriaux, spécialiste de l’ingénierie de forage à Polytechnique Lausanne, pour espérer tirer profit de la galaxie de micropoches enfermées dans les couches de schiste, il faut creuser tous les 250 à 500 mètres ! Contrairement aux poches de gaz naturel où il suffit de planter un tuyau comme une paille pour aspirer, les gaz de schiste persillent la roche sur des surfaces considérables… Or, si Total veut atteindre les 40% de taux d’exploitation qu’il évoque pour le permis de Montélimar, cinq ou six puits perdus dans l’arrière-pays nimois n’y suffiront pas…

« Nous utiliserons des aquifères (nappes phréatiques) non potables ! », Charles Lamiraux, direction générale de l’énergie et du climat.

A raison de 7 à plus de 15 millions de litres d’eau pour chaque fracturation hydraulique, le risque de drainage des ressources en eau potable des cultures et de la consommation vers l’exploitation des gaz de schiste trouverait une solution dans de curieuses « nappes phréatiques non potables », trouvées à grande profondeur. Au laboratoire Hydrosciences de Montpellier, Séverin Pistre semble plus sceptique : « il existe des aquifères salins chauds très profonds mais ils sont difficiles à exploiter, très chargés en minéraux lourds et leur débit n’est en rien garanti, précise l’hydrogéologue. De plus, il y a le risque que le prélèvement massif dans ces ressources modifie l’équilibre et fasse baisser le niveau des nappes phréatiques potables. »

Au pied des collines, le laboratoire d’hydrogéologie avait tenté d’utiliser les mêmes sources d’eaux profondes pour économiser sur la note de chauffage de la piscine de la faculté Montpellier 2 par la mise en place d’un circuit de géothermie : « l’eau sulfatée emprisonnée dans le calcaire remontait à 29°C mais elle était hyperminéralisée : en quelques mois, le dépôt dans les canalisations ont rendu le système totalement inutilisable », raconte le chercheur. Les industriels auront-ils réellement la patience de filtrer par millions de litres ces eaux profondes pour éviter que les puits de gaz de schiste ne s’encrassent alors que l’eau potable leur tendra les bras ?

« Les fuites de gaz sont « normales » dans les puits », l’Association pétrolière et gazière du Québec

Avant même de vérifier d’où provenaient les accusations, les gaziers canadiens se sont écriés en coeur « il y a toujours des fuites quand le coffrage de béton vient d’être coulé »… sauf que les fuites révélées par la commission d’enquête du ministère des Ressources naturelles avaient été repérées dans des puits vieux de plus de 4 ans !

Entre la vaporisation à l’air libre de liquides de fracturation et le rapport accablant du Bureau d’audience publiques sur l’environnement qui relevait des anomalies dans 19 des 31 puits inspectées au Québec, les industriels ne savent plus quoi inventer pour gérer le « bad buzz » sur leurs explorations. Dernière initiative en date pour calmer le jeu : le PDG de Questerre a promis 20.000 $ canadiens pour rénover une église située dans une zone où il souhaite exploiter les gaz de schiste ! A ce niveau là, il ne reste effectivement plus que la foi…

« Une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits. C’est factuellement prouvé. » Nathalie Normandeau, ministre québécois de l’environnement.

Face à la montée de la contestation de l’exploitation des gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, la ministre a accusé les opposants de « démagogie » dans la façon qu’ils avaient de présenter les nuisances liées aux puits de gaz de schiste… Malheureusement pour elle, deux agronomes du ministère des Ressources naturelles et de la Faune chargés d’enquêter sur les nuisances provoqués par les puits de gaz de schiste ont formellement démentis les chiffres annoncés, comme le rapportait Nature Québec :

À partir de l’analyse de trois puits, sur les trente et un qui ont été inspectés et pour lesquels les données sont assez complètes pour faire l’exercice, les agronomes, Jeanne Camirand et Jérémie Vallée, ont évalué que les fuites observées dans ces trois puits équivalent aux «émanations» de méthane de 107 vaches.

« Les gaz de schiste sont un investissement d’avenir avec la montée des prix du pétrole. »

Les gaz de schiste représentent moins une opportunité vis-à-vis de la baisse des prix du pétrole que par rapport… au développement des gaz de schiste ! En révélant des réserves non conventionnelles représentant presque quatre fois les réservoirs classiques, ce nouvel horizon des hydrocarbures a fait s’effondrer les prix du gaz, modifiant jusqu’au calcul du prix : demandé par le gouvernement, la nouvelle formule mise en place par GDF Suez prend désormais également compte des ventes en gros de gaz naturel liquéfié, rendant le cours des hydrocarbures gazeux un peu plus indépendant de celui du pétrole. Et, par conséquent, plus prompt à plonger.

Une perspective réjouissante pour les compagnies exploitantes d’hydrocarbures mais qui éloigne un peu plus l’avènement de filière viable en matière d’énergies renouvelables. Premier consommateur d’éolienne il y a quelques mois, les Etats-Unis, criblés de puits de gaz de schiste fumant, ont délaissé les promesses du vent au profit de la Chine.

« Il n’y a aucune preuve de la dangerosité de l’exploitation. »

C’est en parti vrai du fait de la mauvaise volonté des industriels : difficile de prouver le lien entre la pollution des nappes phréatiques et les puits de gaz de schiste quand les industriels refusent de communiquer la liste des produits chimiques qui y sont injectés.

Quant aux nuisances pour la qualité de l’air, elles ont été clairement démontrées par un rapport sur la ville de Fort Worth, à l’Ouest de Dallas, où l’exploitation des gaz de schiste a davantage pollué l’atmosphère de la ville que l’intégralité de la circulation automobile.

Du côté de l’Angleterre, un rapport du groupe indépendant Tyndal Council avait mené cet organisme composé de scientifiques, d’économistes et d’ingénieurs à demander un moratoire au gouvernement britannique sur l’exploitation de gaz de schiste dans la région du Lancashire, dans le Nord du Pays. Lequel a été royalement ignoré par les autorités londoniennes.

Reste à savoir le sort qui sera fait au rapport commandé par Nathalie Kosciusko-Morizet : si elle a insisté pour que soient étudiés « d’abord les enjeux environnementaux », les questions énergétiques sont désormais « d’abord du ressort du ministère de l’Industrie » Quant aux conseillers généraux auxquels elle a commandé un rapport, ce sont les mêmes qui ont d’abord autorisé les permis d’exploration délivrés dans le Sud de la France. Espérons au moins que le rapport réponde aux questions posées ici avec plus de précision que la ministre qui l’a commandé.

Photo : FlickR CC Victoria Reay ; soupboy ; Penny and Simon.

Retrouvez tous nos articles sur les gaz de schiste sur OWNI.fr et OWNIpolitics.com ainsi que nos brèves sur le sujet en suivant OWNIlive.com.

]]>
http://owni.fr/2011/02/04/gaz-de-schiste-des-fuites-reperees-dans-les-argumentaires-des-industriels-energie-economie-total-nkm/feed/ 23
[ITW] “C’est l’armée qui a chassé Ben Ali du pouvoir, pas la rue” http://owni.fr/2011/01/27/itw-cest-larmee-qui-a-chasse-ben-ali-du-pouvoir-pas-la-rue/ http://owni.fr/2011/01/27/itw-cest-larmee-qui-a-chasse-ben-ali-du-pouvoir-pas-la-rue/#comments Thu, 27 Jan 2011 16:01:33 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=44161 Alain Chouet est un ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE chargé de la lutte anti-terroriste, co-auteur de plusieurs ouvrages concernant l’islam et le terrorisme. Dans La Sagesse de l’Espion, paru aux éditions L’Oeil neuf en octobre 2010, il explique ainsi que “C’est ne rien comprendre que d’accuser les services secrets de faire « dans l’illégalité ». Bien sûr, qu’ils font « dans l’illégalité ». Ils ne font même que cela. C’est leur vocation et leur raison d’être“.

Autant dire que son point de vue sur la “révolution” tunisienne, et l’éventualité d’un processus de démocratisation du Maghreb, dénote quelque peu avec les visions romantiques que certains se font de ce qui se passe en Tunisie.

L’exemple de la Tunisie est-il en train de faire tâche d’huile en Égypte ?

Alors, d’abord sortez un peu de votre vision de journalistes bobos coincés au sein du périphérique parisien. C’est l’armée qui a chassé Ben Ali du pouvoir, pas la rue. Des troubles, en Tunisie, il y en a toujours eu, depuis des années. Là, le chef d’État-major des armées, le général Rachid Ammar, a dit au président : « C’est fini, on ne te protège plus ». Mais il n’a pas fait cela sans avoir de garanties. Le soutien n’est pas venu de ses voisins… alors d’où a-t-il eu ces garanties ?

Des Américains… pourquoi Washington a-t-il donné son feu vert ?

Le plan américain du grand Moyen-Orient, qui consiste à remodeler la région sur des bases démocratiques, n’a pas été abandonné par l’administration Obama. Ce qu’ils ont du mal à comprendre, c’est que le « one man, one vote » est un système de riches. Ou alors, on vit dans une société fondée sur l’esclavagisme, comme sous la Grèce antique. Je m’explique : ce système marche lorsque le privilège de se mettre à l’abri des aléas de la vie dépend de sa richesse. Si votre avenir dépend de la famille, du clan, de la tribu… alors vous allez voter comme la famille, le clan, la tribu. Dans les pays pauvres, c’est la règle.

Bien sûr, la Tunisie était le maillon faible du Maghreb. Mais aujourd’hui, nous sommes le 26 janvier. Le 30, il va falloir payer les fonctionnaires, avec une administration qui est en panne. Dans quelques jours, l’armée va donc sortir du bois pour remettre tout le monde au boulot. Il faudra un patron, venant de la structure existante du pouvoir, soit :

  • le RCD et ses restes qui a géré l’État
  • l’armée
  • et les islamistes, car tout le monde va jouer avec eux

La démocratisation, telle que nous la voyons, ne plaît pas aux voisins immédiats (Algérie, Libye), ni aux voisins lointains (les Saoudiens, vous allez leur parler de démocratisation ?). Il faudra des élections : que va-t-il en sortir ? Le candidat de l’armée ou celui des islamistes, en priant pour que ça ne soit pas le même. L’opposition tunisienne est démonétisée, d’abord parce qu’elle n’était pas là quand ça n’allait pas. Alors, on va donc faire des élections, comme on l’a fait en Afghanistan. Les dirigeants algériens et les Libyens ne vont pas pas laisser passer ça.

Les États-Unis vont-ils faire la même chose en Égypte ?

L’Égypte, ça va mal se terminer. Le régime Moubarak est en bout de course, complètement exsangue. La société est pénétrée par l’idéologie des Frères Musulmans, qui ont infiltré tout le système social. Le tout est soutenu par les Saoudiens. Enfin, la population connaît une misère noire : le Caire est en train de devenir Calcutta. Quand vous avez 3 à 5 millions de personnes dans la rue (et cela s’est déjà produit dans ce pays), ce n’est pas maîtrisable. Les Américains ne pourront rien faire.

Il faut laisser tomber l’Égypte ?

Ils vont se retrouver comme la poule qui a trouvé le couteau, avec un truc ingérable. Soit il faudra assumer la prise du pouvoir par les Islamistes, soit il faudra trouver un dictateur à poigne, comme l’actuel patron des services de renseignement, le général Omar Souleïman, un bon mais très dur. A la place du pouvoir « civil » qui préserve les apparences, il va falloir mettre les militaires.

Quid de l’Algérie, devenue la place forte de plusieurs bases militaires américaines (à Tamanrasset notamment) ?

Du moment que l’on contrôle les tuyaux pétroliers… Le nord du Niger, ce n’est pas que de l’uranium (encore que cela a son importance) c’est aussi un immense dôme de gaz. Comme pour le gaz en Algérie, le problème va être de faire sortir ce gaz. La voie passant par le golfe de Guinée est de plus en plus complexe, l’autre voie passe par le Nord, par l’Algérie. Ce qui importe aux Américains, c’est que l’ordre règne pour le passage des tuyaux.

A propos de la zone sahélienne, que pensez-vous du changement de doctrine revendiquée par l’Élysée depuis la dernière prise d’otages au Niger qui s’est terminée par un bain de sang ?

Je pense qu’on va être obligé d’en rabattre, parce qu’on voit bien que cela ne marche pas. Pour que la politique française marche, il faut tenir des mois, avec le risque d’avoir des dégâts collatéraux comme on dit. Encore un coup comme la mort des deux jeunes au Niger et la coupe est pleine. D’un autre côté, à 1 ou 2 millions d’euros l’otage, cela va devenir une rente. Il faut donc une adhésion populaire sans failles -à l’israélienne- pour cette politique de fermeté marche.

L’Elysée a pris le parti de réagir (ce qui pour moi est pas mal), mais est-ce tenable à long terme ? Je ne sais pas.

Propos recueillis par Jean-Marc Manach et David Servenay. Illustration CC magharebia.

]]>
http://owni.fr/2011/01/27/itw-cest-larmee-qui-a-chasse-ben-ali-du-pouvoir-pas-la-rue/feed/ 21
Les Etats-Unis, nouvel exportateur de gaz, bouleversent l’échiquier mondial de l’énergie http://owni.fr/2010/12/07/les-etats-unis-nouvel-exportateur-de-gaz-bouleversent-lechiquier-russe-de-lenergie-monde-energie/ http://owni.fr/2010/12/07/les-etats-unis-nouvel-exportateur-de-gaz-bouleversent-lechiquier-russe-de-lenergie-monde-energie/#comments Tue, 07 Dec 2010 18:48:59 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=38515 Dans le ventre du lourd tanker Maersk Meridian, les barils de gaz naturel liquéfié (GNL) portent une étiquette peu banale : made in USA ! Ce 19 novembre le port d’hydrocarbure tout neuf de l’île de Grain, construit à l’Est de Londres sur les fonds de GDF, BP ou encore E.ON, reçoit le premier chargement de gaz naturel américain depuis des dizaines d’années.

Marcher sur les pipelines de Gazprom

Grâce aux gaz de schiste extraits de couches de roches profondes, les Etats-Unis ont reconquis leur indépendance énergétique et exportent désormais leur production : cette nouvelle ressource représente 15% de leur production total de gaz. En produisant 620 milliards de mètres cubes en 2009, le pays a même dépassé le leader mondial : la Russie.

En prenant pied en Europe, les producteurs américains marchent littéralement sur les pipelines de Gazprom, ici comme en son royaume de gaz, au côté du Qatar, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite. Mais la reconquête a avant tout été technique : présents dans quasi tous les pays du monde, les gaz de schiste ne peuvent être aujourd’hui extraits que grâce à une seule technologie, d’origine américaine, la fracturation hydraulique.

La propriété industrielle de ces techniques est détenue par des sociétés spécialisées dans l’exploitation pétrolière comme Halliburton, Schlumberger, etc. Partout où du gaz de schiste est exploité, leurs ingénieurs sont envoyés, explique-t-on chez un des géants américains du gaz non conventionnel, Devon. Nous avons une décennie d’expérience, nos premiers puits ont été forés en 2002. Désormais, les grandes sociétés pétrolières étrangères se tournent vers des sociétés comme Chesapeake, en espérant un transfert de compétence par des partenariats.

Au delà de la seule situation des Etats-Unis, la libération de ces réserves entraîne des conséquences inattendues sur les marchés : en plein hiver, le gaz reste en 2010 sous les prix du pétrole, stabilisé par la nouvelle manne des schistes. Une aventure dans laquelle les Européens se lancent à peine.

Mais là encore, le primat technologique américain force les locaux au partage : dans le Sud de la France ouvert depuis peu à la prospection, Total pourrait remplacer son partenaire Devon (ayant préféré se recentrer sur l’Amérique du Nord) par Chesapeake, et GDF s’est mis sous l’aile du Texan Schuepbach, qui prospecte à travers le monde ces nouveaux gisements avec l’aide de la puissante multinationale Dale. Des concessions qui servent autant des ambitions économiques que politiques :

Un des enjeux du marché européen est de limiter sa dépendance vis à vis de la Russie, de l’Algérie ou encore du Moyen-Orient, explique Guy Maisonnier, de l’Institut Français du Pétrole. La notion clef est le renforcement de l’indépendance énergétique. Pour l’instant, nous en sommes à un stade préliminaire. La suite des opérations va dépendre du taux de récupération et des coûts de forage déterminés par les contraintes techniques.

Le géant russe du gaz obligé de pactiser avec Shell

Dans le reste de l’Europe, l’exploration se généralise : Allemagne, Royaume-Uni, Italie du Nord, Espagne, pays scandinaves… Quelques permis autorisant pour l’instant la prospection seulement, en attendant l’évaluation du potentiel des gisements découverts. Des ambitions communes ayant même donné naissance à un programme de recherche intitulé GASH. Avec une nette avance, la Pologne a signé 70 permis et réalisé la première fracturation hydraulique d’un puits de gaz de schiste en Europe… grâce à Halliburton. Une impatience qui s’explique par le fort potentiel gazier du sous sol polonais qui pourrait placer cet état juste derrière la Norvège et la Russie au rang des fournisseurs de l’Union européenne. Un coup économique mais aussi diplomatique puisqu’il l’affranchirait des désideratas du géant Gazprom, qui, profitant de l’hiver, fait la loi en Europe de l’Est en imposant ses tarifs.

Autant de raisons d’irriter Moscou : visant l’élargissement à l’Est de son emprise sur le marché du gaz, ses investissements dans le gazoduc ESPO et l’usine de gaz naturel liquéfié de Sakhaline pourraient être vains si la Chine, l’Australie et les autres pays de l’arc Pacifique venaient à développer leur propre industrie gazière. Poussé dans ses derniers retranchements, le tsar des hydrocarbures a ainsi envisagé d’investir lui-même dans les compagnies gazières américaines avant de signer un accord de coopération avec Shell pour compenser la chute de demande de gaz en Europe, d’où certains barils sont revenus pleins depuis le développement des gaz de schiste d’Amérique du Nord.

Mais la révolution ne s’arrêtera pas aux portes de l’Europe : “pour l’instant, le gaz n’a pas encore connu de véritable flambée et les gaz de schiste restent, à 6$ le gjoule, trop couteux à extraire par rapport au prix du marché, détaille Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schiste”. Mais, plus le prix montera, plus les gisements lourds, comme les sables bitumineux, deviendront rentables : à 7$, le gaz liquéfié venu du Qatar pour rentrer en compétition avc le gaz russe et le gaz américain.” De quoi préparer d’autres révolutions explosives.

Photo FlickR CC Jeremy Brooks ; Paul Johnston ; Travis S.

Retrouvez tous nos articles sur les gaz de schiste sur OWNI.fr et OWNIpolitics.com ainsi que nos brèves sur le sujet en suivant OWNIlive.com.

]]>
http://owni.fr/2010/12/07/les-etats-unis-nouvel-exportateur-de-gaz-bouleversent-lechiquier-russe-de-lenergie-monde-energie/feed/ 8
Gaz de schiste : le trésor empoisonné du sous-sol français http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/ http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/#comments Tue, 07 Dec 2010 07:55:32 +0000 Sylvain Lapoix, Ophelia Noor et Pierre Ropert http://owni.fr/?p=37359 Dans le nord du Texas le gisement de Barnett Shale a éveillé une nouvelle ruée vers l’or gris. Chaque mois des milliards de m3 de gaz sont extraits des couches profondes de roches de schistes sous la ville de Fort Worth. Des torrents de gaz drainés par des milliers de camions. Une activité qui, ajoutée aux rejets des raffineries, pollue plus que le tout le trafic automobile de cette ville de 725 000 habitants selon un rapport réalisé par le professeur Al Armendariz en janvier 2009, nouvel administrateur de l’EPA (Agence de protection de l’environnement américaine). Ce précieux gaz, certains des habitants de Fort Worth l’ont retrouvé jusqu’à la sortie de leur robinet. Leur eau même contient des traces de produits chimiques injectés dans les puits de gaz, selon des analyses indépendantes menées par le documentariste américain Josh Fox. Nouvel arrivant dans cet Eldorado énergétique, Total a acquis début 2010, 25 % du plus gros exploitant de la Barnett Shale, Chesapeake, pour un montant de 600 millions d’euros et prévoit d’investir 1 milliard supplémentaire pour de nouveaux puits. Sans compter les engagements financiers que le groupe pétrolier prévoit en France.

Depuis le début du printemps le géant pétrolier français et le Texan Schuepbach sont libres d’explorer 9672 km² dans le Sud de la France, un terrain de prospection grand comme la Gironde. Signés par Jean-Louis Borloo, trois permis exclusifs de recherche (Permis de Montélimar ; Permis de Nant, Permis de Villeneuve de Berg)) dessinent un gigantesque V de Montelimar au Nord de Montpellier, remontant à l’Ouest le long du parc naturel des Cévennes. Pour obtenir deux des trois permis, l’Américain a cependant du rassurer les autorités françaises en s’alliant à GDF : “S’il y a un problème, ils sont juste là”, nous dit Charles Lamiraux, géologue à la direction générale de l’énergie et du climat (ministère de l’écologie) et en charge du dossier, en pointant la tour du gazier français depuis son bureau dans l’Arche de La Défense. Encore novices dans l’exploitation des gaz de schistes, les groupes français ne peuvent se passer de partenaires américains, les seuls à maîtriser la technique clef d’extraction de ces nouvelles ressources.

Avant, pour les gaziers, la vie était facile : un forage vertical de quelques centaines de mètres jusqu’à une poche, et le gaz remontait tout seul à la surface. Avec l’explosion de la demande, ces gaz dits conventionnels sont de plus en plus difficiles à trouver. Cette raréfaction a poussé les exploitants à creuser toujours plus loin et toujours plus profond… jusqu’à plus de 2000 mètres pour récupérer des micropoches de gaz emprisonnées dans un mille feuilles de roches de schiste. Or, ces nouveaux gisements représentent une manne considérable, présente dans le sous-sol d’un bout à l’autre de la planète selon le rapport du géant italien de l’énergie E.ON : des milliers de milliards de mètres cubes de gaz en Europe, sept fois plus en Amérique du Nord et plus encore en Asie et en Australie… De quoi flamber encore pendant quelques décennies sans besoin d’énergies renouvelables. Tout ça grâce à la technique révolutionnaire de fracturation hydraulique mise au point par le géant de l’armement texan, Halliburton. Un procédé efficace mais brutal.

A 2500 m de profondeur, c’est un petit tremblement de terre : pour réunir les micropoches en une unique poche de gaz, un explosif est détonné pour créer des brèches. Elles sont ensuite fracturées à l’aide d’un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques propulsé à très haute pression (600 bars) qui fait remonter le gaz à la surface avec une partie de ce “liquide de fracturation”. Chacun de ces “fracks” nécessite de 7 à 15 000 mètres cube d’eau (soit 7 à 15 millions de litres), un puits pouvant être fracturé jusqu’à 14 fois.

Selon la couche de schiste, un puits peut donner accès à des quantités de gaz très variables, précise Aurèle Parriaux, docteur en géologie de l’ingénieur à l’université polytechnique de Lausanne. Pour être sûr de rentabiliser un champ il faut une forte densité de forage.

Dans le Garfield County (Colorado), le désert s’est hérissé de puits de gaz de schiste tous les 200 mètres.

Chacun des points blanc sur la carte est un puits d'extraction de gaz de schiste

Pour chaque “frack”, deux cents allers retours de camions sont nécessaires au transport des matériaux de chantier, de l’eau, puis du gaz. De quoi transformer n’importe quelle nationale en autoroute. Sans compter les rejets de CO2 des raffineries, le bruit généré par le site et la transformation du paysage environnant.

Loin des ambitions affichées par le Grenelle de l’environnement, la fracturation hydraulique va à l’encontre de nombreux engagements pris par le ministre de l’écologie Jean Louis Borloo, qui a signé l’attribution des permis de recherche. Parmi les objectifs de ce Grenelle, améliorer la gestion des émissions de gaz à effet de serre grâce à la réduction de la circulation automobile, protéger les sources d’eau potables et les zones d’écosystèmes sensibles.

Si l’exploitation devait commencer dans les frontières définies par les permis, ce serait plus d’un paragraphe du Grenelle de l’environnement qui serait piétiné.  Pour ce qui est des quantités d’eau à mobiliser, le choix de la région, frappée de sécheresse endémique depuis plusieurs années (notamment en Drôme et en Ardèche), est loin de satisfaire au principe de préservation des ressources en eau énoncé à l’article 27 du Grenelle :

Le second objectif dans ce domaine est de garantir l’approvisionnement durable en eau de bonne qualité propre à satisfaire les besoins essentiels des citoyens. A ce titre, l’Etat promeut des actions visant à limiter les prélèvements et les consommations d’eau. Il participe, en s’appuyant sur les acteurs compétents, à la diffusion des connaissances scientifiques et des techniques visant à une meilleure maîtrise des prélèvements et des consommations finales d’eau pour l’ensemble des usages domestiques, agricoles, industriels et de production énergétique.

Le risque est clairement identifié comme on nous le confie au ministère de l’Ecologie : “le problème de l’approvisionnement en eau nécessaire à l’exploitation des gaz de schiste se posera à un moment ou à un autre.”

Dans le document de référence remis aux autorités, Total et Schuepbach assurent prendre toutes les précautions nécessaires pour minimiser l’impact des recherches de gaz de schiste sur l’environnement. Malgré la cimentation des puits, les bourbiers avec films plastiques et autres sécurités mises en place pour empêcher la contamination, la notice d’impact précise la nécessité de réaliser au préalable une étude hydrogéologique, le forage pouvant traverser des nappes phréatiques. Le risque, comme l’ont expérimenté les riverains de la Barnett Shale au Texas, c’est la contamination des eaux souterraines par les polluants inclus dans le liquide de fracturation. Séverin Pistre, chercheur en hydrogéologie au laboratoire hydrosciences de Montpellier, souligne la fragilité des sources dans la région :

il y a beaucoup de problèmes de protection des captages d’eau du fait des aquifères karstiques qui peuvent réagir de façon très violente aux polluants. Selon l’endroit où le fluide pénètre la nappe phréatique, sa vitesse de propagation peut aller de 1 à 1000. Dans certain cas, il peut ainsi parcourir des centaines de mètres par jour dans les sous-sols.

Mais Total a tout prévu : en cas de nuisances, la notice d’impact donne aux habitants “la possibilité d’introduire un dossier auprès du Mécénat Total pour des actions patrimoniales ou culturelles”. L’honneur est sauf !

La priorité reste néanmoins à l’investissement : pour obtenir les permis, Total s’est engagée à dépenser 37 800 000 euros sur cinq ans pour sa zone d’exploration. Schuepbach quant à elle, a promis d’investir sur trois ans 1 722 750 euros pour les 4414 km² du permis de Nant et 39 933 700 pour le permis de Villeneuve de Berg et ses 931 km², soit 14319€ par km² et par an.

L’investissement dépend du degré de certitude que les entreprises ont de trouver des gisements de gaz, précise Charles Lamiraux. En Ardèche, des forages anciens permettent d’affirmer qu’il y a des réserves profondes que nous ne pouvions pas exploiter jusqu’ici. Peut-être même du pétrole.

Une éventualité qui pourrait expliquer certains investissements de dernière minute : Total E&P, abandonnée sur le permis de Montélimar par Devon Energy, n’a pas hésité à racheter la filiale française du groupe (non sans avoir obtenu l’aval du ministère de l’Ecologie). La rumeur veut que Chesapeake, basée à Oklahoma City, devienne le nouveau partenaire technique du pétrolier français. La même entreprise dans laquelle Total a pris en janvier dernier une participation de 25%.

Même si aucun  des acteurs n’avoue encore d’ambition d’exploitation réelle, les investissements mis en place laissent entrevoir une stratégie à long terme.

Pour l’instant nous en sommes à une phase d’analyse de données par nos géologues, explique-t-on chez Total. Si les résultats de la phase de prospection de cinq ans sont positifs, il faut en général quatre ans de plus pour mettre en place l’extraction d’hydrocarbures. Cependant, pour les gaz de schiste, le forage des puits peut être très rapide et extensif.

Le PDG de Total lui-même Christophe de Margerie n’a pas caché que lorsqu’il prenait pied sur les gisements texans cela “permettra à Total de développer son expertise dans les hydrocarbures non conventionnels pour poursuivre d’autres opportunités au niveau mondial.”

Si des géants comme Exxon Mobil n’hésitent pas à acheter pour 41 milliards de dollars un exploitant régional de la Marcellus Shale, le marché reste aujourd’hui dans une phase spéculative.

La situation dans les gaz de schiste aujourd’hui est assez comparable à celle de la bulle internet : actuellement, le gaz naturel se vend autour de 4$ le Gjoule mais coûte à peu près 6$ le Gjoule à produire, explique Normand Mousseau, titulaire de la chaire de recherche du Canada en physique numérique de matériaux complexes et auteur du livre “La révolution des gaz de schistes”.

Des petites compagnies texanes ou albertaines se positionnent pour se faire racheter par des acteurs majeurs du secteur : le pétrole est de plus en plus difficile à trouver et le gaz pèse de plus en plus lourd dans les comptes d’exploitation.Bien plus que les bilans financiers d’une poignée de magnats du pétrole, c’est peut-être l’indépendance énergétique de nombreux pays qui se joue ici. Ces gisements non conventionnels remettent en cause la suprématie gazière de la Russie et des pays du Golfe et pourraient redessiner la carte du monde des hydrocarbures. Quitte à faire courir des risques environnementaux aux habitants, dépassant de loin les bénéfices énergétiques de l’exploitation des gaz de schiste.

Carte réalisée par Marion Boucharlat pour Owni

Photos FlickR CC Travis S. ; Rich Anderson ; Jeromy.

Pour comprendre comment fonctionne la fracturation hydraulique nécessaire à l’extraction du gaz de schiste, faites-un tour sur notre application :

Retrouvez tous nos articles sur les gaz de schiste sur OWNI.fr et OWNIpolitics.com ainsi que nos brèves sur le sujet en suivant OWNIlive.com

]]>
http://owni.fr/2010/12/07/gaz-de-schistes-le-tresor-empoisonne-du-sous-sol-francais/feed/ 182
Pétrole et gaz : l’empire russe des hydrocarbures à la conquête de la Chine http://owni.fr/2010/11/17/petrole-et-gaz-lempire-russe-des-hydrocarbures-a-la-conquete-de-la-chine/ http://owni.fr/2010/11/17/petrole-et-gaz-lempire-russe-des-hydrocarbures-a-la-conquete-de-la-chine/#comments Wed, 17 Nov 2010 14:38:30 +0000 Philippe Condé (Nouvelle Europe) http://owni.fr/?p=37186 Billet publié à l’origine sur Nouvelle Europe sous le titre L’énergie russe à la conquête de l’Est.

Depuis le début du XXIe siècle, la Russie, actuellement premier producteur de pétrole mondial (10,16 millions de barils par jour) et deuxième exportateur (derrière l’Arabie Saoudite), tente de diversifier ses exportations énergétiques, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Union européenne, en ouvrant une route asiatique vers les marchés chinois, coréen et japonais.

En février 2009, les entreprises publiques Rosneft et Transneft ont obtenu un crédit de 25 milliards de dollars, financé par Pékin, en échange d’un contrat de livraison pétrolière sur 25 ans – 15 millions de tonnes annuellement entre 2011 et 2030 – à la Chine. Durant ce même mois de février, la Russie lançait le projet « Sakhaline-2 » en installant sa première usine de gaz naturel liquéfié (LNG) à Sakhaline (Mer d’Okhotsk, Extrême-orient russe). Ces projets font partie de l’effort russe pour conquérir les marchés asiatiques à forte croissance. Moscou prévoit d’augmenter sa part dans la région, de 4% actuellement à 20-30% à l’horizon 2030. La Chine devrait constituer le principal marché pour le pétrole russe dans le futur grâce à la mise en exploitation des gisements en Sibérie orientale.

Siège de Gazprom à Moscou

Le 29 août 2010, le Premier ministre Vladimir Poutine a ouvert la section russe de l’oléoduc Chine-Russie dans la région du fleuve Amour (geste assez symbolique, car les îles du fleuve Amour avaient été l’objet de tensions frontalières sino-soviétiques en 1969) en Extrême-Orient, tandis que la section chinoise partant de Daqing dans le nord de la province de Heilongjiang devrait être terminée d’ici à la fin 2010. Si ce délai est respecté, le pétrole pourrait commencer à couler vers la Chine à partir de janvier 2011.

Un projet vital pour Moscou

Le Premier ministre russe a souligné l’importance vitale de ce projet pour Moscou, qui devrait aider son pays à diversifier géographiquement ses exportations. En effet, jusqu’à ce jour, la Russie exporte 75% de son pétrole et 80% de son gaz à destination de l’Union européenne.

Une fois opérationnel, ce nouvel oléoduc pourra transporter jusqu’à 30 millions de tonnes de pétrole vers la Chine et la région Asie-Pacifique. Toutefois, selon Transneft (société publique russe qui gère le réseau d’oléoducs du pays), la Russie ne peut répondre pour le moment à une telle demande, car les gisements de Sibérie orientale n’entreront que progressivement en activité. Il y a effectivement un important problème d’investissement dans l’industrie énergétique russe.

Le tube russo-chinois est complètement intégré à l’oléoduc Sibérie orientale-Asie Pacifique (ESPO), qui a été lancé en décembre 2009, et qui s’étend de Taïchet dans la région sibérienne d’Irkoutsk jusqu’à la baie de Kozmino située sur le Territoire de la Province maritime (océan Pacifique). Lorsqu’il sera totalement achevé en 2014, l’ESPO pourra transporter 80 millions de tonnes de pétrole vers les marchés d’Asie-Pacifique par an.

De plus, si à partir de 2015, comme convenu lors de la visite du Président russe Dmitri Medvedev à Pékin, fin septembre 2010, la Russie est capable d’entrer sur le marché chinois du gaz, elle pourra relâcher la contrainte européenne et accroître sa marge de manœuvre vis-à-vis de ces deux grands marchés. En effet, l’accord signé entre le géant russe Gazprom et son homologue chinois CNPC prévoit la fourniture de 30 milliards de mètres cubes de gaz par an pendant 30 ans à la Chine.

Derrick en Sibérie orientale.

Le cauchemar de Bruxelles

À partir de cette date, les fortes positions acquises en Europe et en Asie permettront à Moscou de fixer les volumes et les prix en fonction de sa volonté politique, sur les deux continents.

De ce fait, la diversification des livraisons russes risque de se transformer en un véritable cauchemar pour Bruxelles aussitôt que le Kremlin pourra jouer l’Europe contre l’Asie. Cette situation deviendra d’autant plus critique que Moscou continuera de contrôler les flux gaziers en Asie centrale et en Azerbaïdjan. Par conséquent, l’Union européenne se trouvera fort démunie face à la puissance énergétique russe puisque Bruxelles n’a toujours pas réussi à adopter une politique énergétique commune.

Carte réalisée par Marion Boucharlat

À l’Est, la qualité de brut ESPO pourrait remplacer, à moyen terme, la qualité Dubaï comme la nouvelle référence pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique. Pour le moment, le pétrole ESPO est vendu avec une décote comprise entre 0,3 et 1,6 dollars le baril par rapport à son concurrent établi du Moyen-Orient.

Un futur empire énergétique

Cependant, l’ESPO possède au moins deux avantages. Sa qualité est meilleure et surtout ses délais de livraison sont beaucoup plus faibles : deux semaines contre deux à trois mois pour le pétrole en provenance des pays du Golfe persique, à cause de l‘éloignement géographique plus important.

Ainsi, la Russie possède tous les atouts pour devenir un important fournisseur d’énergie dans la région la plus dynamique du monde qu’est l’Asie-Pacifique, grâce à son réseau de pipelines ou à sa flotte de cargos LNG en cours de constitution.

Finalement, à la manière d’une araignée, la Russie tisse patiemment sa toile qui couvre déjà le continent eurasiatique. Et dans les cinq prochaines années, lorsque les livraisons en gaz naturel liquéfié commenceront à se développer vers l’Amérique du Nord, elle couvrira les trois grands marchés mondiaux. Cette stratégie de diversification transformera la Russie en une véritable superpuissance énergétique globale, ce qui accroîtera de manière significative son influence politique en Chine et au-delà sur la scène internationale.

Toutefois, cette stratégie ne réussira que si les investissements et les technologies nécessaires sont mis en place. Pour Moscou, le défi à relever est donc à la hauteur des espoirs de puissance.

Photo FlickR CC Pierre-Julien Grizel ; Albert Alien ; Smocked ice.

Pour visualiser la carte réalisée par Marion Boucharlat en grand format, cliquez ici.


]]>
http://owni.fr/2010/11/17/petrole-et-gaz-lempire-russe-des-hydrocarbures-a-la-conquete-de-la-chine/feed/ 1