OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 [App] Quand l’Internet se manifeste [V1] http://owni.fr/2011/03/11/app-quand-linternet-se-manifeste-v1/ http://owni.fr/2011/03/11/app-quand-linternet-se-manifeste-v1/#comments Fri, 11 Mar 2011 18:47:14 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=42712

Certains y verront une preuve supplémentaire de l’ampleur de l’impact de l’Internet : depuis que le réseau est apparu, avant même que le terme Internet n’entre dans les usages, de nombreux usagers ont éprouvé le besoin d’écrire des textes pour encadrer ce nouvel espace et indiquer dans quelle direction il fallait l’orienter, esquissant chacun une vision du Net. Curieusement, le Minitel ne semble pas avoir eu cet honneur.

Les petits cons d’OWNI, conscients qu’il y avait un Internet avant eux, ont voulu les rassembler. L’objectif n’était pas de sélectionner les textes fondateurs mais au contraire d’en accumuler un maximum et de les intégrer dans une timeline, indiquant leur(s) thème(s) principal(aux), les auteurs, le pays d’origine et une présentation synthétique s’appuyant, dans la mesure du possible sur un entretien avec leur(s) auteur(s). Sur la forme, nous avons le choix de ne retenir que les textes dont la réflexion s’articule autour de l’Internet ou y trouve un écho significatif.

In fine, l’ambition de ce projet, c’est bien de raconter l’histoire de l’Internet à travers ce panorama : dans quelle mesure chacun se fait l’écho du contexte d’alors ? Ces préoccupations sont-elles toujours d’actualité ?

« Internet est notre société,

notre société est Internet »

Libertés numériques. Depuis trente ans, les internautes répètent la nécessité de défendre un Internet libre, face aux tentatives de régulation, c’est même leur première raison, historiquement, de publier ce genre de texte. Triste constat, doublé d’un autre : de « Towards an electronic bill of rights » (1981, États-Unis) jusqu’au « Manifeste “en défense des droits fondamentaux sur Internet” » (Espagne, 2009) en passant par le « Manifeste du web indépendant » (France, 1997), les internautes chinois n’ont pas le monopole de la défense des libertés numériques.

Hacker. Communauté fondatrice de l’Internet, les hackers ont été parmi les premiers à prendre position pour défendre ce nouvel espace de liberté qu’est le réseau. Rassembler leur production sur le sujet, c’est s’aventurer dans une faune parfois borderline aux noms obscurs pour les profanes, cypherpunks et autres crypto-anarchistes.

Économie. Comme l’Internet se diffuse, il devient un terrain de business. On voit alors apparaître des textes soulignant la nécessité de s’adapter à ce nouveau terrain, voire d’y aller tout court, tant il a suscité des frilosités dans un premier temps. C’est par exemple le fameux « Cluetrain manifesto » ou « Manifeste des évidences » (États-Unis), qui demeure une référence bien qu’il ait été publié en 1999. Depuis plus de dix ans, les « évidences » qu’il déroule dans ses thèses ne le sont toujours pas pour certains, comme en témoigne la difficulté des marques à communiquer sur les réseaux sociaux.

Société. « Internet est notre société, notre société est Internet » affirme « Un Manifeste » (2010, Allemagne). Devenu mainstream, Internet modifie, voire bouleverse certains domaines. Une partie des textes s’attache ainsi à décrire ces changements sur un secteur en particulier. Le « Healthtrain manifesto » (États-Unis, 2006) évoquait ainsi les mutations de la santé, en faisant au passage un clin d’œil au « Cluetrain manifesto ».

Technique. Internet ne se nourrit pas uniquement de grands principes. Son architecture et ses infrastructures sont autant de paramètres à prendre en compte pour mettre en place lesdits principes. Le « Manifeste de l’Arche » ne décorelle pas son analyse économique des « NTIC » des aspects pragmatiques, appelant au développement des « autoroutes de l’information ».

Cette première version comprend une trentaine de textes. Le tropisme américain devrait se confirmer : Internet est né aux États-Unis et les libertés numériques sont vite devenues un cheval de bataille, en vertu du premier amendement. Ainsi, c’est en leur nom qu’est née en 1990 l’Electronic Frontier Foundation (EFF). En revanche, l’importance des écrits d’origine française doit être relativisée. Cela fait partie des axes de recherche de la V2 d’aller chercher des textes en espagnol, en russe, en arabe… L’essor de l’Internet est tel qu’on peut parier sans trop se mouiller que la littérature est abondante hors États-Unis et Europe.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que les auteurs soient aussi bien des grandes figures de l’Internet, à l’image d’un John Perry Barlow, fondateur de l’EFF et auteur de la déclaration d’indépendance du cyberespace, que des internautes anonymes, comme Didier Lebrun, cet habitant du Tarn-et-Garonne auteur du « Manifeste du Rural Area Network » (France, 1995). Un des apports majeurs de l’Internet, c’est d’avoir permis à tout un chacun de publier des textes et surtout de les rendre facilement accessibles, même quinze ans après leur parution.

Régulièrement, en fonction des retours et de nos découvertes, cette timeline sera mise à jour par paquets, et un ebook devrait voir le jour. Si vous voulez signaler un texte, écrivez à sabine@owni.fr :) Pour éviter de recevoir des textes déjà repérés mais pas encore synthétisés, nous les avons quand même inclus. N’oubliez pas que cette timeline n’intègre que des manifestes, déclarations, chartes, etc. Lorsqu’elle sera beaucoup plus complète, sa présentation sera encore plus éditorialisée, en la découpant par « tranche » historiquement significative. Si le code le permet /-)

Comme vous pourrez le constater, certains textes n’ont pas été traduits. Nous lançons du coup un appel à bonne volonté pour corriger ce point :)

Textes : Sabine Blanc, avec la relecture attentive de Jean-Marc “j’ai connu le Minitel” Manach, Claire Berthélémy, Pierre Alonso, Ophélia Noor et Andréa Fradin.

Développement : Julien Kirch

Design app Marion Boucharlat

Une : Elsa Secco pour OWNI

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De la presse politique à la presse d’information (et retour ?) http://owni.fr/2010/11/09/de-la-presse-politique-a-la-presse-d%e2%80%99information-et-retour/ http://owni.fr/2010/11/09/de-la-presse-politique-a-la-presse-d%e2%80%99information-et-retour/#comments Tue, 09 Nov 2010 07:30:01 +0000 Guillaume Henchoz http://owni.fr/?p=34836 Ce troisième volet de la série s’intéresse à l’évolution de la presse politique et de la presse d’information en prenant en exemple deux quotidiens helvétiques, la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève. Dans un ouvrage parut récemment, l’historien Alain Clavien se fait l’observateur de la disparition progressive d’une presse politique au détriment de la presse d’information.  Mais de nos jours c’est cette dernière qui connaît une remise en cause importante. Son cadre éthique, élaboré autour de notions telles que la neutralité et l’objectivité, semble dépassé. Et si la presse d’opinion faisait son grand retour  ?

L’étude des médias en Suisse romande passe plutôt par l’analyse des discours. Les recherches effectuées depuis la linguistique et la sociologie posent régulièrement un regard critique sur le discours médiatique et s’efforcent d’en décrire les mécanismes. Mais force est de constater qu’il existe peu de travaux fouillés, à caractère monographique, s’intéressant aux institutions de la presse romande depuis les sciences humaines et sociales. La prise de conscience de cet état de fait est en train de déboucher sur la création de deux chantiers différents. Du côté de l’Université de Lausanne, on s’intéresse de près à l’histoire de la Radio suisse romande (RSR), développant du même coup  une réflexion épistémologique fort intéressante concernant le statut et l’usage des archives sonores. A Fribourg, Alain Clavien, historien, vient de faire paraître une importante recherche concernant deux quotidiens romands aujourd’hui disparus : La Gazette de Lausanne et le Journal de Genève.

Sa recherche, érudite et complète, quoique principalement axée sur les deux titres, permet de saisir un large pan du panorama historique de la presse en Suisse romande. Alain Clavien s’efforce en effet de décrire les champs culturel, politique, économique dans lesquels évoluent la Gazette de Lausanne et le Journal de Genève. En déroulant le fil de ces deux publications, le chercheur parvient à éclairer quelques moments cruciaux de la fabrique de l’information en terre romande, comme il l’explique dans la partie introductive et méthodologique de sa recherche :

Saisir les fils de ces trois niveaux, idéologique, économique, et sociologique, les tresser dans le contexte plus général de l’évolution du champ médiatique suisse: c’est à partir de cet écheveau que ce livre propose une histoire de la presse politique de ses débuts triomphants à sa marginalisation relative dans un monde médiatique qui fait de l’information sa religion et où la télévision est devenue l’instrument privilégié des politiciens.

Grandeurs et misères de la presse politique , p. 14

Presse d’opinion et journaux politiques

Ces deux journaux apparaissent au début du 19e siècle. Tous deux sont d’obédience libérale-conservatrice. Ils vont cependant réussir à coexister plus d’un siècle en se faisant souvent concurrence, avant de fusionner. Rétrospectivement, on se demande comment des journaux véhiculant les mêmes idées ont pu coexister si longtemps sur un marché assez limité. Alain Clavien explique leur longévité par le fait qu’ils ont opté assez rapidement pour des stratégies  différentes. Si la Gazette est un journal d’abord vaudois qui tend à déborder un peu du Canton, Le Journal de Genève porte un accent plus international, particulièrement après l’installation de la Société des Nations au bout du Lac.
Au fil des années cependant, les deux journaux ne manquent pas de se copier, et de débaucher les employés de leur concurrent, mais également de se démarquer par des approches de l’actualité et par la recherche de tons différenciés. D’abord profondément liés aux partis libéraux vaudois et genevois, les deux titres vont progressivement marquer leur autonomie par rapport aux organisations politiques tout en restant profondément ancrés dans le terreau idéologique de la droite libérale. De fait les principaux rédacteurs ne sont pas forcément des journalistes au sens moderne où nous l’entendons, mais des hommes politiques qui portent la plume. La plupart exercent même des charges législatives ou exécutives à différents niveaux. Les deux journaux vont connaître leurs heures de gloire à travers un rayonnement qui dépasse les frontières de la Suisse, notamment lors des guerres mondiales où la presse de la Suisse neutre est particulièrement prisée de l’autre côté de la frontière.

Si la première partie du 20e siècle donne l’impression d’une grande continuité, des premiers éléments de rupture commencent à se faire sentir dès la fin des années 1950. De nouveaux journaux sont apparus qui s’adressent à des segments particuliers de la population. On assiste à l’essor de la presse féminine et sportive, par exemple. Mais c’est également à ce moment que la presse d’information, plus “neutre”, commence à prendre le pas sur la presse politique. Différents phénomènes permettent d’éclairer ce déclin. Alain Clavien mentionne notamment la modification des pratiques publicitaires qui ne profitent ni à la Gazette de Lausanne, ni au Journal de Genève. Plus encore, une série de mutations opérées dans le champ médiatique marginalise fortement ce type de presse :

Les habitudes de lecture sont en train de changer, notamment à cause de la radio et de la télévision qui accordent de plus en plus d’importance à l’information. La presse écrite n’est plus la seule source d’information, elle est en train de perdre son statut de vecteur privilégié du discours politique et de forum indispensable à la vie civique. (…). D’abord réticents, les hommes politiques découvrent rapidement l’intérêt et la puissance des médias audiovisuels. Les Journalistes font de même.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 259-260

newspaper reader

Les éléments de rupture

Encore jusqu’aux années 1960, rappelle Alain Clavien, il est tout à fait normal qu’un journaliste assume une opinion. La presse de qualité s’adressant à l’élite économique et intellectuelle est une presse d’opinion politique, “seule manière d’avoir une ouverture sur le monde”, note encore l’historien. Les journaux d’information sont considérés comme “populaires” et peu sérieux. Toutefois, dès la fin de cette décennie, la tendance s’inverse. La presse régionale, plus versée dans l’information, prend le pas sur les deux mastodontes romands. On trouve la rupture qui s’opère au niveau du traitement de l’information dans le nom de certains de ces titres. Le Nouvelliste et plus encore l’Impartial marquent la différence en affichant leur volonté de présenter une information plus neutre à travers un nom qui reflète leur marque de fabrique.

Un dernier mouvement de bascule important repéré par l’historien est marqué la parution d’un ouvrage de Jean Dumur, Salut Journaliste! :

Pour ce journaliste alors très connu (…), l’information libre, complète et indépendante est le devoir et l’honneur de la presse. La circulation de l’information est la seule façon de contrôler la démocratie. (…). Dumur, qui connaît bien les Etats-Unis, donne évidemment comme exemple l’enquête obstinée de deux journalistes du Washington Post qui conduisent au Watergate et à la chute de Nixon (…). Aux yeux de Dumur, l’idéal est clair: la presse doit être le quatrième pouvoir, contre-pouvoir qui cherche à “faire reculer les zones d’ombre que tend à projeter, pour se dérober à l’examen critique, toute activité humaine”.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 267

Dans cette perspective, le journaliste n’est plus un acteur politique au sens plein mais sa position d’observateur critique lui confère le rôle de garant du système démocratique. Un retournement complet par rapport à la pratique du journalisme telle quelle se concevait encore 70 ans plus tôt, note Alain Clavien :

En trois quart de siècle, le point de vue dominant interne à la profession s’est complètement retourné. Alors que vers 1900, le journal politique, relais des partis et partenaire actif du jeu politique démocratique concentrait sur lui la légitimité et dénigrait sans ménagement son concurrent “neutre”, les années 1960 et suivantes voient le triomphe de l’idéal d’une presse d’information “indépendante”, tandis que la presse d’opinion est marginalisée.

Grandeurs et misères de la presse politique, p. 268

Déclin et chute

Face à ces changements, les deux titres finissent immanquablement pas fusionner. Dans les faits, on constate surtout que c’est le Journal de Genève qui prend le contrôle de la Gazette de Lausanne. Le logo et le titre de la publication qui les réunit le confirment :

Journal de Genève du 10 avril 1997. La mention "Gazette de Lausanne" apparaît en-dessous dans un lettrage plus discret et léger.

Mais la réunion des deux titres ne va lui offrir qu’un bref répit puisque le Journal de Genève se retrouve en concurrence avec un nouvel élément perturbateur: le Nouveau Quotidien. Les deux journaux pourtant très différents se battent pour capter la même part du marché. Si le Journal de Genève a derrière lui une longue histoire et une réputation de média effectuant un travail sérieux et ordonné organisé dans des pages volontairement austères, Le Nouveau Quotidien se considère comme un journal apolitique, neutre, jeune culturel et impertinent, en phase avec son temps. Au final, personne ne va remporter la lutte. Les deux titres fusionneront également pour former le quotidien suisse Le Temps, (celui-là même qui s’est autoproclamé “média suisse de référence”). Si le Journal de Genève semble un peu déconsidéré par la nouvelle rédaction qui se met en place, il ne va pas tarder à être réutilisé dans la construction de la mythologie du Temps. Lorsqu’on n’a pas de passé, “le plus simple n’est-il pas de s’en approprier un autre ?”, s’interroge Alain Clavien en guise de conclusion.

Le retour de la presse d’opinion ?

Non content d’offrir une assise historique à un journal qui ne remonte pas de l’époque héroïque, il me semble que le fait de rattacher le Journal de Genève au Temps pourrait permettre à ce dernier de s’émanciper progressivement de sont statut de journal d’information neutre et objectif, et de renouer avec une autre pratique journalistique  relevant plus de la presse d’opinion. Difficile de dire si on va vraiment dans ce sens. Certains observateurs voient dans le retour d’une presse d’opinion une planche de salut pour des médias en voie de disparition. Ainsi le sociologue Ueli Windisch se désespère du manque de presse politique affirmant des positions tranchées, seule manière selon lui de réinstaurer le débat au coeur de de notre société démocratique. Le développement de titres de presse ancrés de manière assumée à gauche ou à droite permettrait de passer par dessus la tentation de l’objectivation des faits de ne pas se prendre le chou sur l’impossibilité de l’existence d’une presse totalement neutre. Soit.
Le problème ne réside pas là à mon sens. La presse d’opinion existe toujours,mais elle se situe dans les marges. Plus active à gauche qu’à droite, elle réunit de nombreux titres en Suisse romande comme Gauchehebdo, Domaine Public, Le Courrier ou la Nation (Je vous laisse deviner lequel n’est pas à gauche…). Ces publications bénéficient d’un lectorat certes faible mais stable. Certains ont même décidé de se passer du papier, à l’instar de Domaine Public. Est-ce vraiment dans ce type de publications qu’il faut voir émerger le renouveau du journalisme ? Pas si sûr. Ce type de média s’adresse à la troupe des convaincus. Peu de personnes lisent la Nation sans pour autant adhérer aux idées de la Ligue vaudoise. De même, les conservateurs ne consultent pas régulièrement GaucheHebdo pour se convaincre du bien fondé d’un service public fort. A part quelques animaux politiques étudiant de près les arguments de la partie adverse, ces publications prêchent des convaincus. Elles ne contribuent pas directement à alimenter le débat sur la place publique mais servent de lucarnes et de références à leurs adhérents. Ce n’est pas un retour aux temps héroïques qui nous sortira de la panade.

A lire : Alain Clavien, Grandeurs et misères de la presse politique, Lausanne : Antipodes, 2010, 321 p.

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Article initialement publié sur Chacaille

>>premier volet de la série “Les nouveaux nouveaux chiens de garde”

>>deuxième volet : Honnêtement l’objectivité n’existe pas, que faire ?

A suivre…

Crédits photo Flickr the Commons : Nationaal Archief, George Eastman House

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Insulter les journalistes fait-il mieux exister ses idées? http://owni.fr/2010/10/20/insulter-les-journalistes-fait-il-mieux-exister-ses-idees/ http://owni.fr/2010/10/20/insulter-les-journalistes-fait-il-mieux-exister-ses-idees/#comments Wed, 20 Oct 2010 06:30:27 +0000 Olivier Cimelière http://owni.fr/?p=32144

Calomnier les journalistes est devenu une technique communicante actuellement très en vogue chez de nombreux acteurs de la vie politique. Le gourdin de l’injure est en soi loin d’être inédit et même une antienne usitée depuis des décennies à l’encontre des reporters jugés trop importuns ou critiques. Mais ces derniers temps, quelques figures notoires s’y adonnent avec une gourmandise énervée assez surprenante.

Pourquoi tant de virulence à répétition à l’égard d’une profession qui certes n’est pas exempte de reproches mais qui s’efforce malgré tout de faire son métier d’information ? Faut-il y voir une astuce manipulatrice pour susciter ce fameux buzz médiatique dont beaucoup sont friands pour exister sur la place publique ou bien une tendance lourde de la dégradation d’un métier malmené et vilipendé ? Quelques éléments de réponse dans le fatras des insultes !

« Il y a désormais un droit à l’insulte ouvert dans ce pays, ce qui laisse augurer d’une campagne présidentielle « très agréable » pour les journalistes ». Ce constat mi-amer, mi-ironique émane de Thierry Thuillier, le directeur de l’information du groupe France Télévisions suite aux insultes proférées quelques jours plus tôt par le sénateur et leader du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon à l’égard du présentateur du JT de 20 heures de France 2, David Pujadas.

Pourquoi tant de haine ?

L’élu n’avait en effet pas hésité à qualifier le journaliste de « salaud », « laquais » et « larbin du pouvoir » pour son interview jugée trop pugnace d’un syndicaliste CGT impliqué dans des actes de dégradation de biens suite à la fermeture programmée de l’usine Continental de Clairoix (Oise). Sommé de s’expliquer par la confrérie journalistique sur cet écart de langage, Jean-Luc Mélenchon a au contraire persisté en refusant de formuler la moindre excuse. Bravache à souhait, il a même renchéri sur son accusation initiale : « Oui, après tout, c’est vrai. C’est tout ce qu’il méritait ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ce qui pourrait apparaître comme une énième et superfétatoire passe d’armes pour initiés du microcosme politico-médiatique relève en fait d’un phénomène qui a tendance à nettement s’accentuer depuis quelques mois, tous camps politiques confondus. En s’attaquant de plus en plus frontalement aux journalistes, les politiques surfent allègrement dans l’air du temps et essayent de capitaliser à leur avantage l’étiolement certain dont souffrent les journalistes.

Paru en 2009, ce petit livre aborde les vraies questions du journalisme

L’étoile du « quatrième pouvoir » comme on surnomme souvent les journalistes s’est en effet singulièrement flétrie au gré du temps. Les racines de cette situation délétère sont profondes. Dans un livre pertinent publié en 1991, Yves Mamou diagnostiquait déjà la tumeur en citant deux sondages aux chiffres éloquents. Le premier réalisé trois ans plus tôt par le quotidien La Croix indiquait que 50% des Français estimaient la presse pas assez indépendante des partis politiques et des pouvoirs de l’argent. Le second mené par Le Nouvel Observateur établissait un classement préférentiel des métiers prestigieux aux yeux des Français. Lequel reléguait les journalistes en queue de peloton aux côtés des prostituées et des députés !

Le verdict aurait pu constituer un électrochoc salutaire. Il n’en fut rien et même pire. En 2007, un sondage LH2-Libération renvoyait un scanner encore plus implacable : 62% des Français jugent les médias dépendants des pouvoirs politiques. À l’orée de la nouvelle décennie, l’érosion de la confiance est encore montée d’un cran. Dans sa dernière livraison de janvier 2010, le désormais classique coup de sonde du journal La Croix montre que les compteurs se sont un peu plus encore enfoncés en zone rouge. 66% des personnes interrogées considèrent que les journalistes ne résistent pas aux pressions des partis politiques et du pouvoir et 60% prêts à succomber aux pressions de l’argent.

Cette défiance accusatoire à l’égard de la presse n’est pas un fait fondamentalement inédit. Par exemple, l’écrivain et journaliste Jules Vallès plantait déjà des banderilles acérées sur son dos en la soupçonnant de blâmables collusions dans les colonnes du journal Le Peuple : « Depuis 1852, la presse a toujours eu pour égéries certaines puissances financières ». En revanche, l’argument ressort à intervalles de plus en plus réguliers. Lors de la dernière élection présidentielle de 2007, François Bayrou n’a pas hésité à son tour à taper du poing sur la table en s’insurgeant contre la fracture médiatique sévissant entre d’un côté, les deux poids lourds Sarko et Ségo couvés et choyés par les médias et de l’autre, la piétaille des autres prétendants réduits à jouer les supplétifs de bas étage dans un duel bipolaire écrit d’avance.

Un contexte de récusation des élites

Pas de chance pour la presse ! Les reproches qu’on lui assène coïncident pile poil avec l’avènement d’un contexte sociétal de récusation généralisée des élites. Jamais les esprits n’ont été en effet aussi échauffés et au bord de la crise de nerfs à l’égard de ceux qui incarnent une autorité. Un cocktail détonnant de peur, de suspicion et de sectarisme semble s’être enkysté de manière récurrente dans les moindres recoins de la société. Plus aucun domaine n’est épargné par les admonestations énervées. Politique, économique, diplomatique, industriel, médical, scientifique, environnemental mais aussi social, militaire, sportif, religieux, générationnel, éducatif, tout le monde est logé à la même enseigne et la liste noire est loin d’être exhaustive !

Dans ce tir aux pigeons où la remise en cause des élites et des experts est devenue systématique, les journalistes en prennent évidement plein leur grade au même titre que la liste égrenée ci-dessus. Le sociologue Michel Maffesoli le constate sans détours : « Depuis deux décennies, un très grand fossé s’est creusé entre l’élite, ceux qui ont le pouvoir de dire, et le peuple, ceux qui n’ont pas le pouvoir de dire. C’est une crise globale de la représentation qui affecte le vieux contrat social républicain. Toute société a besoin de se dire et de se raconter. Même si le discours n’est que rituel, il sert de référence commune. Cette fonction de dire la société revient aux clercs. Or aujourd’hui le discours des clercs ne correspond plus du tout à la réalité. Cette rupture introduit un sentiment de mensonge global. On ne se sent plus représenté. Donc on suppute qu’on est trompé. »

Le journaliste, au même titre que l'expert, est tombé de son piédestal.

La déliquescence est donc installée. Le journaliste est désormais regardé comme au mieux un acteur brinqueballé et manipulé par des enjeux qui le dépassent ou au pire un collabo versé dans la collusion avec les puissants, voire un chasseur sans foi ni loi de scoops sensationnalistes et racoleurs. Il faut bien avouer que cette métastase de la défiance a été largement alimentée par de nombreux journalistes. Par des renoncements serviles, à cause d’ambitions cupides et/ou par laxisme déontologique, la profession s’est abîmée en endossant régulièrement les habits de l’apprenti faustien pactisant avec le pouvoir politique tout en croyant pouvoir s’en défaire lorsque nécessité se fait jour.

Dominique de Montvalon, ancien directeur de la rédaction du Parisien et rédacteur en chef du service politique de France Soir, témoigne de ce flip-flap radical que le public français a opéré à l’égard des journalistes. Lesquels sont aujourd’hui allègrement perçus comme des suppôts d’un ordre établi : « Ce n’était pas le cas quand j’ai débuté il y a trente ans et quelque. À l’époque, j’étais au Point. Les gens se disaient : « Oh la la ! Vous devez en connaître des choses et des gens ». Je caricature un peu mais il y avait une forme d’admiration, de déférence. Il fréquente les puissants et il sait les secrets du monde. Trente ans plus tard, c’est la situation inverse. Les journalistes font l’objet d’un rejet ou en tout cas d’une violence inouïe. On leur reproche d’être du même monde, d’avoir les mêmes analyses, les mêmes loisirs, les mêmes habitations, les mêmes types de réflexe et de servir chacun à sa façon, le même brouet qui devient assommant. C’est une espèce de pensée conformiste, politiquement correcte et d’autant plus insupportable que la majorité des journalistes adopte volontiers un ton arrogant. Ils ne disent jamais ne s’être trompés, ne pratiquent guère le doute et ne corrigent pas leurs écrits ou leurs paroles. »

Petit florilège 2010 de castagne anti-journaliste

Matraquer verbalement les journalistes est la marque de fabrique de Jean-Luc Mélenchon.

Dans ce contexte de désacralisation des journalistes, l’arsenal déployé par les politiques donne de moins en moins dans la fioriture. Le mot d’ordre peut même se résumer la plupart du temps dans les quelques mots d’une boutade sarcastique inventée par des conservateurs radicaux américains à l’adresse de certains journalistes peu avenants : « If you don’t like the message, shoot the messenger ». Autrement dit, puisque les journalistes souffrent d’une cote d’estime aussi basse auprès de l’opinion, pourquoi se priver de tirer dessus à boulets rouges pour redorer soi-même son blason ?

Dans ce matraquage verbal en règle, Jean-Luc Mélenchon a clairement pris une longueur d’avance parmi ses confrères et consœurs de la classe politique française. Au sein d’une mouvance de gauche anticapitaliste en pleine recomposition où le leadership reste à conquérir, ce diplômé en littérature a choisi de faire de la vitupération anti-journalistique, sa marque de fabrique. En mars 2010, un apprenti reporter voulant le faire réagir sur le sujet des maisons closes, s’est vu vertement rudoyé et qualifié de « petite cervelle » par Jean-Luc Mélenchon.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Sur son blog, il s’auto-congratule du vilain tour joué au jeune homme. Il jouit ouvertement du coup médiatique que sa saillie verbale a engendré : « Pour moi c’est un buzz inespéré dans une semaine où je ne suis pas là du fait de mes congés. Mais, plus sérieusement, l’incident m’intéresse. Je crois que nous pouvons en profiter si nous l’utilisons correctement. Que l’occasion fasse les larrons. C’est surtout un exercice de démonstration par la preuve de ce que j’avance à propos des dérives de ce métier. Car cette vidéo a immédiatement suscité, m’a-t-on dit, des centaines de témoignages qui me donnent raison et dire que cette profession est en train de sombrer. Il est très important, pour la lutte que nous menons, de faire en sorte que les gens se décomplexent à l’égard des médias et rétablissent un rapport critique à ceux-ci. »

Depuis ce coup d’éclat, Jean-Luc Mélenchon ne rate pas une occasion d’étriller la profession journalistique comme sa récente descente en flammes envers David Pujadas. Le politologue Stéphane Rozès décrypte parfaitement bien la tactique discursive du sénateur Mélenchon : « Il exploite l’idée répandue que les médias sont au service du pouvoir économique et financier et il parle au peuple comme le peuple. » Résultat payant s’il en est puisque jamais Jean-Luc Mélenchon n’a été autant présent dans l’espace médiatique au point d’avoir décroché un ticket d’accès pour s’asseoir début novembre 2010 sur le si prisé canapé dominical de Michel Drucker dans son émission « Vivement Dimanche ».

Médias = complot

Benjamin Lancar (UMP) voit des complots trotskystes partout dans la presse.

Dans un registre plus complotiste mais tout aussi lance-flammes, deux médias ont récemment dû affronter des flèches particulièrement venimeuses et enduites d’une glose totalitaire qu’on aurait pu croire révolue tellement la ficelle est grosse. Pourtant, Mediapart comme TF1 ont tour à tour reçu une volée de bois vert au motif qu’ils étaient au service exclusif d’une cause politique indigne aux yeux de leurs contempteurs de service.

Dans le cas de Mediapart, ce sont les ténors de l’UMP qui sont montés au créneau pour s’offusquer du traitement médiatique effectué par le site d’information sur l’affaire Woerth-Bettencourt. Dans un article paru en septembre dernier, le journaliste Jean-Claude Guillebaud s’est livré avec ironie à une exhaustive compilation des déclarations les plus cinglantes à l’égard du site fondé par Edwy Plenel. Pêle-mêle, on y retrouve par exemple les « méthodes fascistes » dénoncées par Xavier Bertrand, la fine analyse du président des Jeunes Populaires, Benjamin Lancar (« Du temps de Staline, il y avait les montages photo ; en 2010, il y a Mediapart mené par un trotskyste »), le « site de ragots et de déclarations anonymes » de Nadine Morano ou encore la puissante admonestation du porte-parole de l’UMP, Dominique Paillé (« Ce comportement est scandaleux tant il repose sur des montages farfelus, fabriqués de toutes pièces »).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Concernant TF1, la charge émane en revanche d’un seul homme, le député socialiste Arnaud Montebourg mais elle n’en demeure pas moins brutale que celle du pack UMP. Après s’être fait prendre en flagrant délit de dénigrement caractérisé de la première chaîne dans une vidéo sur Internet, Arnaud Montebourg a alors défouraillé plein pot en adressant un courrier acerbe au PDG, Nonce Paolini. Courrier qu’il publie dans la foulée sur son blog personnel. Là aussi, l’accusateur n’y va pas de main morte. Arguant son écharpe tricolore d’élu de la Nation, Arnaud Montebourg dézingue TF1 en la rendant coupable de collusion politique et d’appauvrissement culturel des téléspectateurs français. En cela, Arnaud Montebourg renoue avec le combat qui l’avait fait connaître du grand public en 2004 avec l’association « Les pieds dans le PAF » qui croisait déjà le fer avec… TF1 !

« Je t’emmerde » ou la combine à Nanard

Avec Bernard Tapie, le canardage des médias est quasiment une seconde nature. Bien qu’il leur doive une grande partie de sa notoriété, l’homme d’affaires n’a jamais accepté qu’un journaliste lui oppose une quelconque résistance. Mais à la différence des exemples évoqués plus haut dans ce billet, le désormais remplumé citoyen Tapie ne s’embarrasse pas d’une dialectique élaborée pour jeter l’opprobre sur des médias qui l’agacent ou qui lui déplaisent.

Bernard Tapie : on cogne d'abord et on discute après (éventuellement !)

Ainsi, lors du sulfureux match entre l’Olympique de Marseille et l’US Valenciennes Anzin en mai 1993, le journaliste Pierre-Louis Basse fut le premier à émettre des doutes sur la régularité de la rencontre. Le dirigeant marseillais lui nourrira dès lors un ostracisme implacable et ouvertement assumé à chaque fois que leurs routes se croiseront. Un autre journaliste a également fait les frais des fureurs de Bernard Tapie mais cette fois physiquement. Journaliste à Antenne 2, Alain Vernon consacre plusieurs sujets sur le dopage dans le cyclisme et le football. Assez pour déplaire à l’homme d’affaires très actif dans ces deux sports qui lui assènera un violent coup de poing à la figure en 1991 lors d’un match européen.

Une réaction qu’on aurait pu mettre sur le compte de la jeunesse si près de 17 ans plus tard, le journaliste de RTL, Jean-Michel Aphatie n’avait pas à son tour subi le courroux débridé de Bernard Tapie. Après une interview radiophonique mouvementée sur l’affaire du Crédit Lyonnais, Bernard Tapie sortit de ses gonds, insulta copieusement le journaliste tout en étant à deux doigts de la bagarre à la sortie du studio.

Au fil des années, l’homme n’a pas varié d’un iota. Aussi n’hésite-t-il pas à ressortir du placard la bonne vieille pétoire à gros sel lors de son entretien mouvementé le 11 octobre dernier avec le journaliste de France Inter, Patrice Cohen. Au lieu de s’évertuer à avancer des arguments pour convaincre de son bon droit, Bernard Tapie fonce bille en tête en insinuant que les journalistes sont des jaloux du magot qu’il vient de récupérer par voie de justice. À coups de formules populistes musclées qui ont fait son succès, il provoque le journaliste : « “Ça fait quinze ans que j’ai raison et ça fait quinze ans que ça vous emmerde, parce que depuis le départ vous avez estimé que je devais avoir tort (…), il faudra vous y faire, j’ai gagné 45 millions et même un peu plus encore ! Et plus ça vous emmerde, plus ça me fait plaisir. (…) Je le sais que ça vous fait chier ». Et quand Patrice Cohen lui demande s’il aime Mélenchon parce qu’il tape sur les journalistes, l’impétrant réplique sans barguigner : « Voilà ! Parce qu’il pense comme moi ».

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Conclusion – Peut-on critiquer les journalistes ?

Exemple à suivre ? La question est ouverte (Extrait du Canard Enchaîné - Mars 2009)

On a encore tous en mémoire l’inénarrable propension de Georges Marchais, ancien premier secrétaire du Parti Communiste, à assommer verbalement les journalistes qui le gênaient dans ses propos. Le « Taisez-vous Elkabbach » figure et figurera encore pour longtemps au frontispice des répliques les plus cinglantes (bien que la source de cette phrase soit semble-t-il de l’humoriste Pierre Douglas et non du sus-nommé lui-même – NDLR : merci à Guy Birenbaum pour cette utile précision). De surcroît, il est sain dans une démocratie que les journalistes ne s’érigent pas en procureur zélé du haut de leur tribune médiatique. Cette inclination encore trop répandue a très probablement encouragé d’aucuns à répliquer aussi durement que les admonestations dont ils étaient les cibles médiatiques.

Pour autant, la tendance croissante à imputer aux journalistes toutes les erreurs du monde devient fâcheuse. Autant il est nécessaire que les journalistes puissent être critiqués (et force est d’admettre que la marge de progrès reste importante dans ce domaine), autant les dirigeants politiques devraient s’abstenir de recourir aux diatribes comminatoires et méprisantes dont ils usent et abusent pour couvrir leurs propres incohérences ou refuser d’assumer des évidences. Ce n’est pas en tuant le messager qu’on empêche le message de passer. En revanche, en le tuant, on risque fort de laisser le message se déformer au profit de minorités hurlantes qui ont fait de l’hallali anti-journaliste leur fonds de commerce fallacieux. Messieurs Mélenchon et consorts feraient bien de méditer cet axiome au lieu de s’inspirer de cette citation révélée par le Canard Enchaîné en 2009 (voir ci-contre).

Pour en savoir plus

- Visiter le site du chercheur Thomas Bouchet sur l’insulte en politique (Université de Bourgogne)
- Article de Thomas Legrand – « De l’insulte en politique » – Slate.fr – 5 avril 2010
- Lire le dossier enquête du Monde (en accès payant) – « TF1 est-elle une chaîne délinquante ? » – 12 octobre 2010
- Lire l’article mordant de Claude Soula – « Mélenchon, Tapie, Pujadas et Cie – Petites natures va ! » – Le Nouvel Observateur – 15 octobre 2010
- Lire l’interview décapante d’Arlette Chabot – « Journaliste, pas mieux considéré que flic ou pute » – Rue89 – 16 octobre 2010 (Merci à François Guillot pour cette info qu’il m’a transmise)

Billet initialement publié sur Le blog du communicant 2.0

Images CC Flickr jacob earl (une), erikgstewart (statut), Parti socialiste (Jean-Luc Mélenchon), smallislander (Trotsky), KayVee.INC (gants de boxe)

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http://owni.fr/2010/10/20/insulter-les-journalistes-fait-il-mieux-exister-ses-idees/feed/ 9
Information: nous n’avons rien inventé http://owni.fr/2010/07/02/information-nous-navons-rien-invente/ http://owni.fr/2010/07/02/information-nous-navons-rien-invente/#comments Fri, 02 Jul 2010 09:59:27 +0000 Charlie Beckett http://owni.fr/?p=20557 Je travaille dans une tour de bureaux moderne dans une allée où une sorte d’Internet a été inventée au 15e siècle. Laissez-moi vous expliquer.

Aux environs de 1422, Henry V a commencé à écrire ses lettres en anglais et non plus en latin. C’était les documents qui l’autorisaient à exercer le pouvoir : les mails de travail de l’époque. Elles servaient à concevoir et exécuter les lois du pays. Mais elles étaient également souvent rendues public pour que tout le monde soit mis en courant de ce qui se passait. Elles racontaient tout au peuple anglais, des batailles aux taxes. C’était donc le journalisme de l’époque.

À travers un système complexe d’écoles de droits officielles (les Inns of Court) le régime de Henry V a mis en place tout un système bureaucratique en utilisant des lettres – écrites en anglais - pour créer à la fois un système administratif et à travers leur publication, une sphère publique médiévale.

14th Century Geek

Geek du 15e siècle

Mon bureau est construit sur les vestiges d’une de ces écoles, appelée St Clements et donnant sur le chef d’œuvre gothique du 19e siècle, la Cour suprême. Ce qu’Henry V a fait à la communication est étrangement similaire à ce qui se passe avec l’Internet, la politique et les gouvernement actuellement.

C’est ce qu’explique le médiéviste Gerald Harris dans son merveilleux livre Shaping The Nation :

L’écriture de lettres, courante dans les affaires personnelles et pour le travail, a aussi développé une dimension politique. Les rois envoyaient des notes d’information décrivant leurs campagnes en Irlande et en France, les Londoniens rendaient compte d’événements particuliers d’intérêt national à l’attention du public provincial (une loi, une bataille, un rituel politique ou un coup d’État), les lettres étaient publiées comme des manifestes publics par des nobles mécontents ou lors de fêtes plébéiennes…. Des lettres bien argumentées ont consolidé les croyances de Lollard contre la persécution ecclésiastique.”

Mais ce qui est intéressant, c’est la façon dont cette littérature fonctionnelle à destination de l’élite s’est transformée en multimédia de masse :

De telles lettres publiques et semi-publiques circulaient, elles étaient lues à haute voix, clouées sur les portes, conservées dans des collections privées ou copiées dans des journaux privés ou des registres officiels. L’alphabétisation générale a fait rentrer la sphère politique dans une toile d’information, de rumeurs, de mises en garde et de conseils. L’intimité de la classe dirigeante, sa taille limitée, son interconnection et son ouverture ont rendu la circulation de l’information en son sein facile – nourrissant un état d’esprit politique.

Je crois que l’expression-clé est “alphabétisation générale”. L’Internet rend cela possible, aussi. Le simple fait de rendre les données accessibles change leurs significations politiques.

Mettre simplement l’information dans un langage que les gens comprennent et auquel ils ont donc accès, change doublement sa signification politique. C’est ce que l’on appelle la data visualisation.

Et c’est là le point important pour un journaliste. Les lettres mettaient sous une forme narrative cette information, écrite dans un langage largement compréhensible. Ou plutôt une série complète de narrations plurielles. C’est crucial. Comme Harriss l’explique, le 15e siècle était un environnement médiatique multi-plate-forme, multi-source : ‘circulaient, étaient lues à haute voix, clouées sur les portes, conservées dans des collections privées, ou copiées dans des journaux privés ou des registres officiels.‘ Ces clercs créaient et faisaient de la curation d’information, un prédécesseur des journalistes en réseau.

Au lieu d’un iPad, ils avaient des plumes et du velin. Puis le papier est arrivé, ce fut un peu comme de passer au très haut-débit.

Ils n’ont pas eu besoin d’une loi sur l’économie digitale. Bien qu’ils aient eu besoin d’un cadre légal et qu’ils aient investi dans un système d’alphabétisation médiatique qui soutenait ce flot de production de données officielles – les auberges de la Cour, les clercs du Palais de Westminster, etc. C’est aussi à ce moment là que Whitehall s’est mis en place, je le crains [NdT : Whitehall est le nom d'une rue qui désigne par métonymie le pouvoir britannique].

Quoi qu’il en soit, faites-en ce que vous voulez. Mais je suis content que la sphère publique précède les coffee shops du XVIIème siècle évoqués par Habermas. Cela montre comment ce type de discours politique peut être audacieux au premier abord, révolutionnaire dans ses effets, mais très sujet à l’inertie du centre de gravité du pouvoir. C’est à nous, en tant que journalistes, de résister à cela, bien sûr. “Once more unto the breach” Une fois de plus sur la brèche ! /-)

Billet initialement publié sur le blog de Charlie Beckett, directeur de Polis ; image CC Flickr FeatheredTar.

Traduction: Sabine Blanc.

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http://owni.fr/2010/07/02/information-nous-navons-rien-invente/feed/ 2
Journalisme: Collectif Vs Personal Branding http://owni.fr/2010/05/01/become-the-media-oui-mais-pas-tout-seul/ http://owni.fr/2010/05/01/become-the-media-oui-mais-pas-tout-seul/#comments Sat, 01 May 2010 18:50:59 +0000 JCFeraud http://owni.fr/?p=14244

“Ne hais pas les médias, deviens les médias !”…On doit ce slogan coup de poing à Jello Biaffra, chanteur du défunt groupe punk californien Dead Kennedy’s et aujourd’hui imprécateur activiste de son état. C’est aussi la devise-manifeste du site Indymedia, qui entend contourner les médias et les journalistes “officiels” pour offrir une couverture “indépendante et non marchande” de l’actualité… avec un fort tropisme anti-capitaliste et anti-système en général qui donne systématiquement à sa relation des faits le ton d’un tract zapatiste. Une démarche pour moi totalement hors sujet car l’information n’est pas propagande, même quand il s’agit de contrer une supposée propagande médiatique dominante.

S’il est nul et non avenu dans son acceptation gauchiste, démagogique et foncièrement anti-”caste” journalistique, ce “Don’t hate the media, become (ou be) the media” reprend une force insoupçonnée à la lumière de la révolution numérique. Révolution qui, pour le coup, en est une et pas seulement sur le plan technologique ! Car en permettant à l’individu de devenir un média à lui tout seul et de toucher directement un public avec les blogs, Twitter, et les autres outils de partage “social” de l’information, Internet offre surtout une occasion historique aux journalistes de reprendre en main leur destin. De se réapproprier le journalisme. En évitant au possible l’écueil individualiste et narcissique du “personnal branding”. Car si la profession rime souvent avec ego, en matière de presse tout naît et tout renaît paradoxalement du collectif.

La machine à normaliser

Depuis le tournant des années 2000, le métier a singulièrement échappé à ses acteurs, à ses auteurs. À tous ceux, du stagiaire au rédacteur en chef, qui font  l’information en transformant la matière brute de l’actualité, de l’histoire en train de se faire, en sujets écrits, sonores, audiovisuels, multimédias. En moins de dix ans, la logique comptable, productiviste et purement utilitaire l’a emporté à tous les étages sur la logique journalistique et éditoriale. Les gestionnaires et les hommes du marketing ont pris les commandes et éjecté les hommes de presse de la tour de contrôle au prétexte qu’ils ne savaient pas gérer leur journaux. Ce qui était vrai. Petit problème : eux ils savaient faire des journaux. Et la presse qui était fondamentalement un métier de l’offre est devenu un métier de la demande, collant aux attentes supposées des lecteurs et à leur “temps de cerveau disponible”. Désormais, il fallait écrire court, simple, efficace, sans parti pris, pour “son” lecteur (mais qui est le lecteur sinon une image fantasmatique matérialisé par les sondages quanti et les études quali).
Résultat, la presse française qui avait une longue tradition flamboyante de presse d’opinion, de ton, de nerfs et de tripes s’est rendue à l’objectivisme de la presse anglo-saxonne (les faits rien que les faits quoique)… sans en avoir les moyens humains et financiers. Et elle a perdu une partie de son âme, ce qui était inscrit dans son code génétique et était au centre de son vrai contact avec le lecteur : le café du commerce, le pamphlet, le journalisme de récit et de grand reportage longtemps sanctuarisé par Albert Londres, Joseph Kessel et leurs disciples plus contemporains. Comme les Grecs anciens et modernes,  les Français sont fondamentalement des Méditerranéens avides de débat politique dans la cité. Et pour débattre, se lancer dans des joutes rhétoriques hier au bistrot ou autour du gigot dominical, aujourd’hui sur les sites Internet des journaux et les réseaux sociaux, il faut s’informer à gauche, à droite, au centre, avec bonne et mauvaise foi. Il faut un journalisme de faits mais aussi d’humeur. Mais la machine à normaliser l’info s’est mise en route comme un rouleau compresseur dans les grands médias. Et la presse a perdu une bonne part de sa saveur et de son pouvoir d’attraction sur le lecteur.

La “grande catastrophe”

Responsable de cette “grande catastrophe” professionnelle et citoyenne, un imparable effet ciseaux paradoxal provoqué précisément par l’accélération des échanges liée à l’avènement de l’ère digitale : d’un côté marchandisation de plus en plus intensive de l’information dans un monde de plus en plus financiarisé, de l’autre effondrement du modèle économique historique de la presse basé sur la vente au numéro et les recettes publicitaires. Autrefois, l’information n’était pas un “produit comme les autres”, les journaux n’étaient pas encore des entreprises, informer le citoyen relevait pratiquement d’une mission de service public au même titre que l’éducation. Tout le système construit dans le généreux élan de l’après-guerre – distribution coopérative des journaux permettant au plus petits d’accéder aux kiosques grâce à la quote-part des plus gros, aides publiques à la presse représentant bon an mal an plus d’1 milliard d’euros – l’avait été dans cet esprit. Mais ce bel édifice s’est lézardé, puis littéralement décomposé sous nos yeux (Presstalis, les ex-NMPP, sont en quasi-dépôt de bilan tout comme le fleuron de la presse quotidienne qu’est “Le Monde“) quand l’économie réelle, qui est la seule loi qui vaille dans un monde marchand – c’est ainsi – a repris ses droits sur le bien public.

Le Roi est nu

Il a longtemps été de bon ton de tout mettre sur le dos du tout puissant syndicat du Livre CGT, qui a enchaîné les grèves pour défendre coûte que coûte ses emplois et les avantages (salaires supérieurs à ceux des journalistes, horaires bien inférieurs, monopole d’embauche, etc.) liés à son statut. Un autisme corporatiste qui a contribué à scier la branche imprimée sur lequel les ouvriers du Livre était assis. Mais aujourd’hui que le roi est nu, que la civilisation du papier est balayée par le Tsunami numérique, que des centaines de titres et des dizaines de milliers d’emplois disparaissent à mesure que le lecteur “digital native” bascule sur les écrans, la presse dans son ensemble doit s’interroger sur sa part de responsabilité. Et les journalistes, qui, il faut l’avouer, se sont laissés vivre pendant des années (il était confortable et parfois souhaitable sur le plan déontologique de ne pas s’intéresser à la manière dont les journaux vivaient et assuraient nos salaires), devraient être en première ligne de cette réflexion auto-critique sur l’évolution de leur métier et de leurs missions vis-à-vis des lecteurs. Précisément pour réinventer le journalisme de l’ère numérique et ne pas tous finir comme des “Newsosaures”. Las ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. Difficile de se lancer dans une vaste introspection professionnelle, de réfléchir, d’innover, d’entreprendre, quand on court la pige ou que l’on travaille à flux tendu comme des OS multi-tâches dans des fabriques de l’info (je force un peu le trait car on est toujours mieux en col blanc qu’en col bleu).

Dans les marges

Alors comme je vous le serine dans la plupart de mes récents billets, le journalisme est peut-être en train de se réinventer dans les marges digitales. Sur les blogs, chez OWNI et ailleurs, le plus souvent en dehors des grands médias, on expérimente de nouvelles formes de traitement de l’information et de narration adaptées aux écrans et à l’interactivité : journalisme de récit hypermédia permettant au lecteur de faire son chemin à sa guise dans l’histoire, un peu le reportage dont vous êtes le héros (voir à ce propos cet excellent billet de Nicolas Maronnier) ; journalisme de données ou data-journalism permettant de présenter l’information de manière visuelle et dynamique qui ne se suffit en aucun cas à lui seul (voir mon avis un peu rugueux dans ce post) mais qui donne une nouvelle dimension au traitement de l’actualité ; web-documentaire qui permet à l’internaute d’accéder à une mine d’infos complémentaires (données statistiques, cartes, photos, diaporamas…), un genre mis en lumière par le succès de “Prison Valley” sur Arte, etc.

Mais les journalistes se réapproprient aussi leur métier en reprenant la parole sur les blogs et sur Twitter jusqu’à devenir totalement addict à ces nouveaux médias qui, en deux clics et beaucoup de travail quand même, les transforment eux-mêmes en média. “To be or not to be a tweet journalist” , devenir une “marque” d’information à soi tout seul, telle est la question que je me suis posé et que se posent de plus en plus de confrères.

Personnal branding or not ?

En fait le “journaliste-marque” (voir ce bon billet de David Réguer) est à mon sens un fantasme, peut-être plaisant pour certains sur le plan narcissique (finalement ce n’est pas autre chose que le chroniqueur, éditorialiste, billettiste vedette d’hier). Les journalistes auto-starifiés en oublient que sans leur média d’origine qui les a marqués de leur sceau originel ils ne seraient rien. Ils en oublient aussi que “le message est le médium”, comme disait ce bon vieux Mac Luhan… en aucun cas le messager. Mais ce fantasme du journaliste-marque est aussi dangereux sur le plan journalistique et philosophique. J’assume ma part de schizophrénie : je tiens ce blog et un fil Twitter qui font peu à peu de ma signature une petite marque… Lancé en septembre 2009, Mon écran radar, monté avec les moyens du bord, affiche 6000 visiteurs uniques au compteur. Et mon compte Twitter flirte avec les 1500 abonnés. C’est une expérience fascinante, épuisante et flippante à la fois. Mais que j’espère vivement transformer un jour en expérience collective dans le cadre du journal qui m’emploie, ou ailleurs quand les aléas ou les opportunités de la carrière en décideront ainsi.

Car j’appartiens à une génération qui a grandi dans le collectif des bouclages rock’n roll et un peu arrosé : un journal c’était et ce devrait encore être une équipe, une alchimie d’individus venus d’horizons divers, alliant curiosités multiples et variés, tropisme, points forts et talents très différents. C’est de ce mélange humain aléatoire et improbable que naît une vraie ligne éditoriale. Un ton. Une manière unique de traiter l’information qui font que Libé est Libé, Le Monde est Le Monde“et Les Échos sont Les Échos. Et que le lecteur s’y retrouve, adhère, devient et reste fidèle à son journal hier papier, demain sur tous les écrans. Cette alchimie unique est aujourd’hui en danger. Pour les raisons économiques et managériales évoquées ci-dessus, les journaux deviennent peu à peu des entreprises à produire de l’information et y perdent parfois leur identité en même temps que les journalistes ne savent plus où ils habitent, qui ils sont, pour qui ils écrivent à force de faire du flux plus ou moins markété. Dans des conditions où ils n’ont plus le temps de réfléchir à ce qu’ils font. Où l’enquête, le reportage et l’investigation deviennent l’exception au bénéfice d’une couverture exhaustive mais standardisée et fortement redondante de l’actualité… de plus en plus conformiste et de moins en moins différenciante pour le lecteur.

Les blogueurs à la rescousse

“Don’t hate the media, become the media”… Au contraire de certains activistes alter ou ultra des deux bords, je ne hais pas les médias. Je les aime, je les adore, je suis un camé de l’info. J’ai envie de voir renaître la presse écrite tel le Phoenix là où l’on prédit souvent sa mort. Mais cela ne se concevra que par le collectif journalistique et sans doute avec le renfort de blogueurs talentueux et expérimentés qui, sans être nécessairement encartés, apporteront leur vision du monde (et accessoirement leur audience Internet) à la brique informationnelle de base, à la colonne vertébrale éditoriale constituée par la rédaction. À condition d’être payés bien sûr. A cet égard le Huffington Post montre la voie : en cinq ans, le site fondé par la journaliste politique conservatrice Arianna Huffington s’est imposé dans le top 10 des sites d’information américains en misant notamment sur l’agrégation de blogs vedettes, des médias à eux tout seul. En mars, le HuffPost comptait 13 millions de visiteurs uniques (+ 94 % d’une année sur l’autre) selon Nielsen Online. Plus que le Washington Post et il menace désormais carrément la “vieille dame grise” qu’est le New York Times (16,6 millions) !

Et le lecteur dans tout cela ? Peut-il, doit-il lui aussi devenir un média sans porter une carte de presse ? On a beaucoup glosé sur l’avènement du journalisme participatif associant citoyens, blogueurs et “vrais” journalistes professionnels pour couvrir l’actualité à la manière du site d’origine coréenne OhmyNews (“every citizen is a reporter”), du site d’investigation Wikileaks qui permet à tout à chacun – journaliste ou non – de diffuser des informations sensibles, ou plus près de nous d’Agoravox, de Rue89 ou du Post . Chacun à sa façon – bordélique ou très carrée, réellement participative ou très encadrée – a choisi de permettre au lecteur de devenir un acteur de l’information. Démarche louable et intéressante en cela qu’elle remet aussi le public au centre de la problématique journalistique en forçant les encartés professionnels à se remettre en question.

Le journalisme est un métier

Mais sans corporatisme aucun, le journalisme est un métier qui s’apprend, un peu à l’école mais surtout sur le tas. Encore une fois, tout en ouvrant grand la porte aux lecteurs, blogueurs et citoyens, les journalistes doivent se réapproprier leur métier. En comprendre les ressorts économiques, en cherchant eux aussi de nouvelles formes d’écriture intégrant la technologie, et pourquoi pas eux aussi de nouveaux modèles économiques adaptés à la grande mutation digitale. Et pour moi, encore une fois, cela se fait collectivement en équipe, en bande, en clan, en gang (en “meute” diront certains contempteurs de la profession). Alors devenir un média à moi tout seul, oui peut-être…mais pas tout seul !

Billet initialement publié sur Mon écran radar ;
photo de une CC Flickr euthman

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http://owni.fr/2010/05/01/become-the-media-oui-mais-pas-tout-seul/feed/ 5
Aaron et Gabriel. La dispute. http://owni.fr/2009/06/12/aaron-et-gabriel-la-dispute/ http://owni.fr/2009/06/12/aaron-et-gabriel-la-dispute/#comments Fri, 12 Jun 2009 11:54:33 +0000 Nugues http://owni.fr/?p=1562 Pour écrire les articles sur l’humanisme, l’imprimerie et la réforme, je lis ou relis beaucoup de choses passionnantes.
Parmi elles, un livre sorti en 1979 aux éditions Robert Laffont : La Mémoire d’Abraham de Marek Halter. C’est un livre magnifique.

Un passage du livre en rapport avec notre sujet, retient l’attention, on pourrait le résumer ainsi  :  Le refus, presque le déni des technologies, est un des marqueurs d’une rupture  ontologique. (Pas de panique… je vais m’expliquer.)

Voyons de quoi parle La Mémoire d’Abraham

L’histoire est simple dans son principe. Elle commence en 70 ap J.C, lors de la destruction du Temple de Jérusalem par les légions romaines.
Abraham le scribe, Judith son épouse et leurs 2 enfants Elie et Gamliel quittent Jérusalem. Ils partent pour toujours.
De 70 jusqu’au départ du ghetto de Varsovie en 1943, 20 siècles de tribulations, de drames, de morts et de naissances.  C’est l’histoire de la lignée d’Abraham, le scribe, que raconte Mark Halter.

Marek Halter nous promène à Alexandrie, Hippone, Cordoue, Narbonne, Troyes, Strabourg, en Italie, en Allemagne, en Pologne. Il nous emmène au cœur d’évènements pas toujours connus.
Les massacres des juifs de Worms et de la vallée du Rhin par les premiers croisées à-demi fous. Le grand bûcher de Strasbourg, où, après le peste noire de 1346, périrent assassinés des centaines de Juifs.
Mais la Mémoire d’Abraham ça n’est pas que cela. C’est beaucoup de joies, de naissances et c’est surtout la vie et les noms conservés dans un rouleau de papyrus : Le rouleau d’Abraham. Lui, le scribe, fut le premier en quittant Jérusalem en 70 à écrire la chronique de sa lignée. Une chronique très simple. Après Abraham, il y eut toujours un scribe dans la famille pour enrichir et tenir à jour le rouleau, si bien que 12 ou 13 siècles plus tard ce rouleau de papyrus, cette Mémoire d’Abraham, est un véritable trésor familial et l’ histoire d’une partie du peuple juif.

Après bien des tribulations Gabriel a 20 ans
Nous sommes en 1438 dans le village rhénan de Benfeld, précisément dans l’atelier de Hans Gensfleisch, quelques jours avant la Noël. Hans Gensfleisch, deux de ses associés et Gabriel mettent au point un mélange de plomb, d’antimoine et d’étain.
Cet alliage est versé dans des formes. Il refroidit. Les moulages sont mis sous une presse, on les encre, on y presse du papier. Pour la première fois, après des centaines d’essais, les formes résistent à la pression.
Un texte imprimé apparaît sur le papier : scriptura manent, les écrits demeurent. Hans Gensfleisch est plus connu sous le nom de Gutenberg. Il venait de faire un grand pas vers l’invention de l’imprimerie.
Gabriel, qui travaillait avec Gutenberg ce jour-là, est le dernier rejeton de la lignée d’Abraham scribe de Jérusalem. Scribe lui-même, Gabriel est le fils d’Aaron.

Entre Aaron et Gabriel, ça coince.
Maintenant le plus intéressant du point de vue de notre sujet.
Aaron est scribe, héritiers de générations et de générations de ces personnes qui copient, recopient à la plume, sur des papyrus au début puis sur des parchemins, des textes bibliques ou talmudiques.
Voilà que son fils Gabriel lui apporte le premier texte imprimé sur du papier. Voici maintenant ce qu’Aaron dit à son fils (extraits du texte de Marek Halter) :

“L’écriture, c’est l’affaire de l’homme, de la main, de l’oeil. Il faut une attention soutenue, de la patience, du goût…Notre travail à nous (scribes), c’est la transcription des rouleaux de la Tora, c’est malekhet hakodesh, travail sacré. Nous prenons part nous-mêmes à la fabrication du parchemin, nous faisons nous-même notre encre…nous nous recueillons chaque fois que nous écrivons le Nom vénéré de Celui qui est.
Tout cela, mon fils, tu vois bien que tu ne peux l’obtenir avec tes lettres en plomb et ta presse en bois.”

Analogie

Je trouve ce texte extraordinaire à plus d’un titre, mais le principal est à mon avis qu’il marque la cassure ontologique qui se produit en un instant entre une tradition et une modernité.
Ce passage est exemplaire de notre immédiate réalité, tant nombre de “créateurs” au sens le plus large du terme, semblent entretenir un rapport sacralisé avec les modes de productions et de diffusions devenus traditionnels.
Leur refus, presque leur déni des technologies, risquent de leur faire rejoindre de glorieuses mais momifiées icônes comme les moines copistes ou les scribes.

En philosophie, l’ontologie (du grec ὄν, ὄντος, participe présent du verbe être) est l’étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire l’étude des propriétés générales de ce qui existe.
Par analogie, le terme est repris en informatique et en science de l’information, où une ontologie est l’ensemble structuré des termes et concepts représentant le sens d’un champ d’informations, que ce soit par les métadonnées d’un espace de noms, ou les éléments d’un domaine de connaissances. L’ontologie constitue en soi un modèle de données représentatif d’un ensemble de concepts dans un domaine, ainsi que les relations entre ces concepts. Elle est employée pour raisonner à propos des objets du domaine concerné.

Source Wikipedia.

Bien, ceci dit, pour cet été si vous êtes en panne de lecture, permettez-moi de vous conseiller “La Mémoire d’Abraham” de Marek Halter.
Un bon gros livre en papier qui vous baladera dans l’histoire européenne et remettra à leur place quelques clichés historiques.

Dominique Nugues édite : le Présent de Dieu

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