OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Concurrences graphiques http://owni.fr/2010/12/27/concurrences-graphiques/ http://owni.fr/2010/12/27/concurrences-graphiques/#comments Mon, 27 Dec 2010 08:52:27 +0000 Sylvain Maresca http://owni.fr/?p=39544

"Direct, le magazine des communications", décembre 1993

Pour une image de biscuits, on a demandé récemment à ce photographe de photographier séparément le panier, les gâteaux et le pot de lait. Lui se proposait de photographier le tout en respectant à la lettre le calque du directeur artistique de l’agence, auteur du visuel publicitaire.

Mais ça ne les intéressait pas parce qu’ils envisageaient de faire deux usages des mêmes images pour deux emballages différents. « Ils me demandaient de faire trois photos alors que, normalement, on n’en fait qu’une. Avant, on n’en faisait qu’une. Bon, moi j’ai fait comme ils voulaient. Pour les Créa [créatifs d'agences publicitaires], c’était une approche différente. Je sais pourquoi : c’est qu’ils vendaient 10 heures de retouche derrière, qu’ils n’auraient pas eu à faire autrement. » Aujourd’hui, les agences de pub sont très bien équipées pour ça. Certaines ont même monté un studio de photo.

Cet exemple m’a fait entrevoir que le passage au numérique avait intensifié, sinon déclenché, des phénomènes de concurrence directe entre les différents acteurs de la “chaîne graphique” qui, au bénéfice des facilités techniques offertes par le numérique, tentent de récupérer à leur profit les activités et marchés des autres. En voici quelques exemples :

Photographes versus Photograveurs

Certains professionnels ont décidé de se ré-équiper entièrement en numérique – en dépit du coût important de cet investissement – avec l’espoir de facturer désormais, en plus du prix de leurs images, le coût de leur post-production. En clair, ils ambitionnaient de reprendre à leur compte le travail des photograveurs et les bénéfices qu’il générait. Malheureusement pour eux, leurs clients directs et/ou les agences de publicité par qui ceux-ci passaient ne l’ont pas entendu de cette oreille : les uns et les autres ont surtout vu là une chance inespérée de réduire leurs coûts en supprimant le recours à un intermédiaire de la chaîne. Ils ne l’ont pas laissée passer.

Commanditaires versus Agences de publicité

Dans le même souci d’économie, certaines entreprises grosses consommatrices de photographies pour leur communication – dans la grande distribution principalement – ont vu leur intérêt à se passer, du moins en partie, des agences de publicité. Certaines ont débauché directement des chefs de publicité, des créatifs au sein de ces agences pour les intégrer directement à leurs services. Désormais, en pareil cas, les campagnes de publicité sont conçues au sein des entreprises et mises en œuvre en embauchant sans intermédiaires les divers professionnels requis, depuis le photographe jusqu’à l’imprimeur.

Commanditaires versus Photographes

Pour produire des supports de communication souvent à destination interne (site internet, catalogues pour la force de vente, etc.), certaines entreprises ont intégré un studio photographique et produisent désormais leurs visuels elles-mêmes. Soit en rémunérant en tant que de besoin les services d’un photographe professionnel appelé à travailler sur place, soit, au grand dam des hommes de l’art, en confiant à un cadre de l’entreprise le soin de prendre lui-même les photos.

Infographistes versus Agences de publicité

Certains infographistes indépendants ne se contentent plus de composer les visuels publicitaires à partir des éléments qu’on leur fournit, ils en viennent parfois à réaliser eux-mêmes les photographies, ce qui les rend aptes à doubler les agences en devenant l’interlocuteur unique des commanditaires.  Quand ils ne s’approvisionnent pas directement dans les banques d’images à bas prix disponibles sur internet.

Agences de publicité versus Photographes

Certaines agences court-circuitent également les photographes en achetant des visuels sur ces mêmes banques d’images. Mais ce n’est pas réalisable dans tous les cas et leurs clients ne valident pas forcément le résultat final ni le prix…

Photographes versus Photographes

Certains pionniers sont passés très tôt au numérique pour tenter de récupérer des marchés qui étaient en train de leur échapper. Mais à leur tour, ceux qui ont suivi un peu plus tard sont venus les concurrencer avec des prix moindres parce que, entre-temps, ils avaient pu s’équiper en numérique pour moins cher. Par ailleurs, selon qu’ils avaient ou non les moyens matériels et humains pour numériser leur fonds photographique et l’indexer de manière efficace, ils ont pu tirer profit du marché élargi offert par internet ou au contraire voir s’effondrer leurs espoirs de valoriser leurs archives.

Selon un photographe de publicité qui s’en est plutôt bien sorti en agrandissant son studio avec le concours de plusieurs associés, du temps de la photographie argentique, « c’était très difficile de casser la chaîne graphique. Parce que l’agence de pub avait l’habitude de travailler avec tel imprimeur, tel photographe, tel graphiste, tel photograveur. La chaîne graphique qui existait était très stable. Ça a totalement explosé avec le numérique. »

Pour décrire cette évolution multiforme et très variable, il importe de bien spécifier les types de production et de marché. C’est une entreprise ardue car il y a énormément de cas de figure. A ce stade de notre enquête, nous commençons à peine à nous y retrouver. Nous sommes donc preneurs de tous les témoignages et éléments de description possibles, précis, datés et détaillés. Merci d’avance.

Billet initialement publié sur La vie sociale des images, un blog de Culture visuelle

>> Illustration FlickR CC : Βethan

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[itw] Dr photographe et Mister Réal http://owni.fr/2010/10/04/itwdr-photographe-et-mister-real-canon5d/ http://owni.fr/2010/10/04/itwdr-photographe-et-mister-real-canon5d/#comments Mon, 04 Oct 2010 11:36:27 +0000 Julien Goetz http://owni.fr/?p=30304 Philippe Brault est photographe professionnel depuis 17 ans mais il a commencé par être assistant caméra pendant 5 ans avant de passer derrière le déclencheur. L’arrivée de la vidéo sur les boîtiers numériques professionnels, qui plus est avec la qualité d’un capteur full frame, lui donne enfin le choix entre photographier ou filmer un même sujet. Tout est une question de feeling et de sujet. Explications à travers son expérience notamment de co-réalisation aux côtés de David Dufresne du webdocumentaire “Prison Valley“.

En quoi l’arrivée d’un appareil comme le Canon 5D MarkII, avec les possibilités vidéo qu’il offre, a-t-elle modifié votre travail de photographe ?

Moi ça fait des années et des années que je me dis qu’il faut que je m’achète une caméra. J’ai toujours envie de filmer, tout le temps. Je ne l’ai jamais fait car je n’avais jamais vraiment le temps de me lancer dedans, je n’ai jamais trouvé l’outil qu’il fallait. Là en l’occurrence c’est arrivé un peu comme un cadeau du ciel : l’appareil arrive, il y a un mode vidéo et c’est pile le moment où j’ai besoin d’acheter un appareil numérique parce qu’avant je travaillais en argentique uniquement. Le mode vidéo ne m’intéressait que parce que c’était un capteur 35mm, c’était l’équivalent de ce que je faisais avant avec une caméra pro. Après ça piétiné, ça a mis du temps. Il y a eu les questions des mise à jour, le fait de filmer en 30 images/secondes.

Mais tout à coup j’avais la possibilité, moi sur le terrain, de me dire pour la première fois de ma vie : “là je peux faire des photos, là je peux filmer”.

Pour être plus précis, lors de tout les reportages que j’ai fait depuis que je suis photographe, j’ai toujours eu des moments de frustration énormes. C’est-à-dire qu’il y a des moments où je me disais “ça c’est une photo mais là il me faudrait un film pour raconter ça.” Il y a des moments de frustration comme ça où quelque part on se dit : “on est qu’un photographe” donc on ne peut pas s’autoriser à filmer car premièrement on n’est pas équipé et puis on a pas la diffusion possible non plus. Il y a cinq ou six ans, sur une actualité, on faisait nos photos mais si on allait filmer, nous photographes, où est-ce que l’on aurait pu diffuser ça ?

Aujourd’hui avec l’évolution du web, on peut se dire, si on a un site bien fait, on peut diffuser et avec le même outil, l’appareil, on peut filmer. À moindre coût et à moindre encombrement.

Comment choisir entre filmer et photographier ?

Une photographie, elle reste. C’est une image fixe, on va pouvoir la regarder, s’arrêter devant. Donc il faut que le contenu soit fort, qu’il y ait quelque chose de fort dans l’image saisie. En film, je ne dis pas qu’il ne faut pas quelque chose de fort mais on peut raconter du quotidien, on peut raconter des choses qui en photo ne seraient pas réellement intéressantes. En fonction de la situation, l’image filmée peut être un moyen plus fort de raconter.

Par exemple sur Prison Valley, on a assisté au repas des prisonniers dans la prison. C’est le moment le plus fort pour eux dans la journée puisque c’est le seul moment de “distraction”. Ils sont dans leurs cellules fermées par des portes électroniques, tout s’ouvre en même temps et les mecs sortent comme des zombies.

Pour raconter ça, je peux faire une photo. À mon avis la photo la plus juste c’est de faire “avant”, c’est-à-dire eux derrière leur vitre. Ça, c’est une photo forte. Après faire la photo quand ils sortent, en les voyant marcher, je ne sais pas si c’est fort mais je pense que ce qui est plus fort c’est de le filmer en plan séquence.

C’est dans ce genre de moments que j’ai pu ressentir des questionnements dans mon parcours de photographe, très souvent, en me disant : “là, si j’avais eu une caméra ça aurait été vraiment mieux”. C’est très subtil, ça dépend énormément de la culture de chacun, d’où l’on vient, quelles sont nos inspirations…

Photographe ou réalisateur votre regard est-il différent ?

En terme de regard, en terme de cadre, en terme de lumière, ça ne change pas. Par contre ce qui change fondamentalement c’est le positionnement par rapport au sujet. Quant on fait une photo, on essaie de trouver le plus vite possible le bon axe pour faire la bonne image.

Quand on filme, il faut penser au montage donc il faut penser à différents axes, à faire des entrées de champs, des sorties de champs, des contre-champs… En ça c’est une construction complètement différente, c’est une autre façon de réfléchir à son sujet.
La seconde chose c’est qu’on ne peut pas tout faire. Il existe une fonction sur le Canon qui pour moi est complètement absurde : c’est la possibilité de faire une photo quand on filme. Je n’y crois pas une seconde car je pense qu’on ne peut pas faire les deux en même temps.

Si je suis devant un sujet, il faut que j’ai choisi avant si je vais filmer ou faire des photos. Peut-être que certains peuvent le faire mais là on est dans l’histoire de l’homme-orchestre. Je pense qu’on est pas dans le même état d’esprit, on ne pense pas pareil quand on pense image fixe et quand on pense images en mouvement.

C’est vraiment deux choses que je sépare fondamentalement. C’est sûr que le fait de filmer demande plus de préparation, il faut anticiper par rapport au montage mais ça dépend de ce que l’on veut faire. Si la finalité de l’objet qu’on est en train de réaliser est quelque chose de très personnel, on peut tout à fait se passer des règles de base du cinéma. Sinon,effectivement, il y a des règles qu’il faut suivre pour que ça tienne dans un montage.

Sur l’exemple concret du webdocumentaire Prison Valley : comment avez-vous fait votre choix entre vidéo ou photos ?

En fait avec du recul le choix a été assez simple : lors du premier voyage en juin 2009, on a fait les interviews en vidéo et pour quasiment tout le reste on a fait que de la photo. Ce n’est qu’après la phase d’écriture qui s’est passée entre juillet et août 2009, avant le second voyage de septembre, que l’on s’est dit pour tel passage c’est mieux de faire de la vidéo et pour tel autre c’est mieux de faire de la photo.

Après ça a été vraiment du feeling. Arrivé dans certaines prisons pour raconter une certaine histoire, pour moi ce n’était que de la vidéo, à l’inverse dans une autre prison, pour raconter une autre histoire ce n’était que de la photo. Si je reprends la scène du repas du sheriff dans la prison : au mois de juin j’y suis allé et je n’ai fait que des photos. On y est retournés au mois de septembre et j’ai choisi de faire ce même sujet en vidéo parce que je savais, je sentais qu’en photo ça ne donnerait rien, il fallait qu’on le filme.

C’est là qu’est le gros avantage de ce type d’appareils : on peut passer simplement et rapidement de la photo à la vidéo en fonction de l’histoire que l’on veut raconter.

Crédit Photo CC FlickR par Zach Inglis

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Une image soluble dans le pétrole http://owni.fr/2010/07/09/une-image-soluble-dans-le-petrole/ http://owni.fr/2010/07/09/une-image-soluble-dans-le-petrole/#comments Fri, 09 Jul 2010 10:23:49 +0000 Béat Brüsch http://owni.fr/?p=21590 Certains observateurs, au nombre desquels je me compte, ont noté que les photographies sont de plus en plus utilisées en tant qu’illustrations par la presse. Ce distinguo ouvre le champ de la photographie de presse à des pratiques habituellement réservées à d’autres disciplines photographiques. Cela ne va pas sans grincements, car les règles du jeu ne sont pas toujours connues et il arrive même qu’elles varient en cours de partie. Chaque nouvelle « affaire » nous arrache un soupir accablé qui se prolonge à la lecture des commentaires de certains blogs. L’incident de retouche qui défraie la chronique de ces derniers jours dans le monde anglophone ne dément pas cette impression de déjà vu. Nous avons, d’un côté, une presse qui prend certaines libertés avec la « sacro-sainte » vérité des photographies et de l’autre, des lecteurs qui, tels des vierges effarouchées, s’étranglent de dépit en se répandant en considérations naïves sur les trahisons des journalistes.

Il serait temps de clarifier le statut des images de presse à l’aune des pratiques récentes. On a dit et redit que les images ne représentent, au mieux, que ce que le contexte autorise. Le contexte n’est pas seulement constitué des éléments entourant la prise de vue, ses effets se poursuivent dans les conditions éditoriales. Il me semble que le public contemporain devrait être apte à comprendre qu’une photo illustrant une couverture de magazine est souvent à prendre comme une image servant en premier lieu à vendre ledit magazine. La profession journalistique est ici fautive de ne pas communiquer sur la différence entre images à caractère publicitaire et images au caractère documentaire incontestable. C’est le noeud du problème. La profession à trop longtemps – et jusqu’à l’usure – proclamé son objectivité. Forte de cette aura, elle ne peut plus maintenant nuancer cette affirmation. Elle y retrouverait pourtant une certaine crédibilité… si cela se peut encore.

Le scandale de l’image retouchée d’Obama

L’affaire, donc… L’édition du 19 juin du magazine britannique The Economist présente, en couverture, une photo du Président Obama pensif, seul, sur une plage de Louisiane ensoleillée avec, à l’horizon, une plateforme pétrolière.

Le journaliste du New York Times (NYT) Jeremy W. Peters a découvert la photo originale de Larry Downing (pour Reuters ) et en fait part sur son blog le 5 juillet. Sur cette image, on voit que le Président Obama n’était pas seul. Il était accompagné de Mme Charlotte Randolf, responsable d’une paroisse locale et de l’amiral Thad W. Allen des Coast Guard. Tous les deux ont été « éliminés » en postproduction, l’un par recadrage et l’autre par effacement.

Rapidement, le blog du NYT fait une mise à jour en publiant un e-mail reçu de l’éditrice Emma Duncan, responsable de la parution de cette image au The Economist. Elle y affirme, en substance, que « Mme Charlotte Randolf a été effacée de l’image pour ne pas dérouter le spectateur par la présence d’une personne inconnue et que ce n’est pas la première fois que The Economist modifie des photos de couverture. Nous ne voulons pas tromper le lecteur. Nous voulions centrer le sujet sur M. Obama, mais pas dans le but de le montrer isolé. Le sujet de l’histoire n’est pas le dommage causé à M. Obama, mais au business des USA. » ]

Assumer les choix éditoriaux

Petite nouveauté, cette fois : la rédaction fautive ne cherche pas à nier en s’enfonçant dans le ridicule comme l’avait fait Paris Match avec les bourrelets présidentiels. Mais il faut dire aussi que la rédaction du The Economist s’est fait prier : sollicitée quelques jours avant la parution du billet sur le blog du NYT, elle n’a pas cru bon de réagir et ne s’est expliquée qu’une fois le billet paru. Les explications de Mme Emma Duncan sont maladroites et surtout incomplètes. À quand un exposé clair des considérations qui président à ces choix éditoriaux ? Pourquoi ne pas affirmer clairement qu’une image de couverture de magazine peut être fabriquée pour mieux porter une idée ? Le désir d’une image épurée est certes une très bonne raison pour opérer une retouche, mais dire que cela contribue aussi à mieux vendre – car une image simple, plus facile à décoder, est aussi plus vendeuse ! – serait un complément utile.

Comme on a déjà pu le remarquer, j’ai une conception assez libérale des pratiques de retouche. Celle dont nous parlons ici ne me choque pas plus que d’autres. Je pense que cette image de couverture est plutôt bonne et illustre bien l’idée d’un président fort préoccupé par le problème causé par cette gigantesque fuite de pétrole. Que la photo originale ait été différente ne me choque pas plus que cela. Ce qui me choque, c’est qu’on ne joue pas cartes sur table en ne nous disant pas tout sur le statut de cette image.

Communiquer sur sa politique d’image

Pourtant, The Economist n’en est pas à sa première couverture mettant en scène le Président Obama de façon illustrative, on en trouve plusieurs de ce type sur internet. Ces couvertures sont plutôt bien perçues, car en général, les éléments contenus dans l’image ne laissent aucun doute sur son aspect conceptuel. Souvent le président est replacé sur un fond non photographique. Avec le Golfe du Mexique, le fond était « trop beau » et l’ensemble correspondait parfaitement au concept voulu. On aurait pu le produire plus artificiellement, de manière à dénoter l’aspect fabriqué, mais cela aurait été moins efficace (tant du point de vue d’une « image-idée » que d’un point de vue « vendeur »).

Ne pas communiquer sur sa politique d’image et en particulier pour celles qui peuvent prêter à discussion, c’est infantiliser le lecteur. Il serait pourtant simple de mentionner – cela se fait dans certains magazines – une signature du genre « image réalisée avec trucage ». Plus généralement, on devrait pouvoir trouver dans l’impressum de chaque organe de presse une déclaration claire et complète de sa charte des images. Les organes de presse doivent cesser de se cacher derrière l’intangibilité d’une vérité photographique à laquelle plus personne ne croit. Il faut exposer aux lecteurs les contextes de parution des images. Ce double langage qui, d’un côté, prône tout un fatras de fausses vérités liées aux images, et de l’autre, est régulièrement pris en défaut dans la pratique est contreproductif. En entretenant ces déclarations de vérité, la presse rend tous ses dérapages encore bien plus insupportables.

Les commentaires sur le blog du NYT sont, à ce titre, exemplaires. Majoritairement contre cette retouche, beaucoup dénotent une forte déception, une vraie trahison de la part des journalistes. (Le fait que The Economist soit d’origine britannique, tout comme la société BP, ajoute une dimension au débat.) Comme souvent dans ce genre d’affaires on tombe sur quelques commentaires faisant le parallèle avec les trucages de photos staliniennes. C’est une sorte de point Godwin du domaine de la retouche photo ;-) Je rappelle à ces rescapés d’un autre âge que 1) les personnages supprimés des photos staliniennes l’étaient en général aussi physiquement, ce qui donne un certain vertige à ces retouches-là, et 2) que des ressources spécialisées disposent d’un arsenal bien plus élaboré d’exemples et de propos sur la retouche.

Détail piquant : sur le blog du NYT, aucun commentateur, sauf un, ne s’est étonné de l’effet de téléobjectif faisant apparaitre une plateforme pétrolière comme très proche du rivage alors qu’en réalité elles en sont fort éloignées. Un commentateur relève qu’il s’est rendu des centaines de fois sur les côtes de Louisiane et n’y a jamais vu de plateformes pétrolières. Soit les gens connaissent bien cet effet optique et l’acceptent, soit ils pensent que les plateformes sont réellement tout près du rivage. Mais dans les deux cas, il faut reconnaitre qu’il s’agit d’une sérieuse déformation de la réalité. Et que de montrer le président Obama si proche d’une plateforme est peut-être tout aussi mensonger que de le montrer seul sur cette plage… À moins que les artifices dûment enregistrés par les appareils photo ne soient moins condamnables que ceux réalisés en postproduction ?

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Billet originellement publié sur Mots d’Images.

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