OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Lescure, du droit d’auteur au devoir d’hébergeur http://owni.fr/2012/12/06/lescure-du-droit-dauteur-au-devoir-dhebergeur/ http://owni.fr/2012/12/06/lescure-du-droit-dauteur-au-devoir-dhebergeur/#comments Thu, 06 Dec 2012 15:11:04 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=127024

“Maintenir les principes [du droit d'auteur] en les adaptant”. C’est la philosophie de la mission confiée par le gouvernement à Pierre Lescure, qui a fait en fin de matinée un très chic rapport d’étape [PDF] dans les salons du ministère de la Culture, en présence de sa locataire, Aurélie Filippetti.

Lescure, Pellerin et Filippetti dans un sac de noeuds

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L'Internet français entre Monty Python et Plus Belle la Vie. Bug Facebook, pigeons, Lescure, guerres de ...

Le point presse, révélé dans ses grandes largeurs quelques heures plus tôt sur le site du Monde, était surtout destiné à occuper le terrain dans un agenda gouvernemental chargé sur les questions numériques : les conclusions sur le rapprochement du CSA et de l’Arcep devrait arriver “dans les prochains jours” a indiqué la ministre, suivies de près par celles du rapport dit “Colin et Collin” sur la fiscalité numérique.

Avec son cœur d’hébergeur

L’occasion pour la ministre et son chargé de mission de rappeler, badges officiels vissés sur le cœur, leurs priorités pour un “Acte 2 de l’exception culturelle”. Mais aussi de commencer à ruer dans les brancards. Seule annonce véritable de la matinée, Pierre Lescure a en effet fait part de son intention de “revenir sur certains statuts, dont celui des hébergeurs”.

Et par hébergeurs, il fallait en fait entendre Google : la mission Lescure s’inscrit pleinement dans la guerre que mène le gouvernement français à l’encontre du géant du web, dans un objectif de reconquête de sa “souveraineté numérique”. Une souveraineté qui doit également être “culturelle” a signalé le fondateur de Canal +, déclarant :

Quand l’hébergeur a un service comme YouTube et qu’il recommande des choses à l’utilisateur, il est plus qu’un hébergeur.

Mission Lescure impossible

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La guerre serait-elle déjà déclenchée ? A peine installée, la mission Lescure, qui planche sur l'avenir de la culture ...

Interrogé sur une éventuelle incompatibilité avec le droit européen, qui fait autorité en la matière, Pierre Lescure a indiqué que “l’Europe n’a pas toujours raison” et qu’elle “peut évoluer”. Sans en dire davantage sur les modalités concrètes de cette évolution du régime de responsabilité des hébergeurs, véritable serpent de mer du secteur. Ce qui est sûr, c’est que la mission souhaite “responsabiliser” davantage ces acteurs, qui ne peuvent être considérés comme des “tuyaux neutres”. Pour pourquoi pas, aussi, mieux les taxer, même si l’ancien boss de Canal s’est défendu de vouloir mettre en place “le meilleur système “ permettant d’y parvenir.

Contacté par Owni, Google n’a pour le moment pas répondu à nos sollicitations.

Auditions et contradictions

Sur les autres orientations de la mission, mise en place d’une offre légale et lutte contre la contrefaçon, le temps a surtout été à la répétition.

Pierre Lescure a plaidé une nouvelle fois pour une offre légale made in France, en particulier dans le cinéma, où les tarifs, la diversité des catalogues et la chronologie des médias actuelle laissent encore à désirer.

Évidemment, pas un mot ou presque sur Hadopi, avec laquelle Pierre Lescure assure néanmoins travailler en bonne intelligence. En matière de défense de la propriété intellectuelle en ligne, outre la responsabilisation des hébergeurs, il indique vouloir agir de manière plus globale, en “luttant contre les sites illégaux en amont” et en “tarissant leurs sources de financement”.

La mission a par ailleurs confirmé son intention de ne pas aller vers une légalisation des échanges non marchands, “via une ‘licence globale’ ou une ‘contribution créative’”, soulignant que cette mesure “fait l’objet d’un rejet assez général”. Le collectif de la Quadrature du Net et l’UFC Que Choisir, favorables à ce mécanisme, déclaraient fin septembre leur intention de boycotter la mission.

Nous, les autistes du web

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Les professionnels du cinéma, dans leur majorité, n'aiment pas beaucoup Internet, au mieux utile aux opérations marketing ...

La mission poursuivra ses auditions jusqu’à fin décembre. Ce sera alors l’heure de la réflexion et de l’émission de propositions concrètes. “Entre nous” a précise Pierre Lescure, qui dit néanmoins veiller à l’écoute des différentes voix de la culture et du numérique. Un remue-méninges qui devrait durer “deux à deux mois et demi” avant la confrontation publique.

Pour le moment, le bilan semble bon : la presse (Le Monde ou Libération ce jour) salue par exemple l’effort de consultation, face aux “simulacres” de discussions des “missions Olivennes ou Zelnik lancées sous l’ère Sarkozy, qui ont surtout masqué des décisions prises d’avance (Hadopi en tête)”. Mais au-delà de l’intention, restent à voir les arbitrages concrets et la manière dont le gouvernement tranchera (ou pas) les “contradictions” observées par Pierre Lescure dans un bouillon de culture toujours aussi agité.

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Relents tunisiens d’ACTA http://owni.fr/2012/11/15/relents-tunisiens-d-acta/ http://owni.fr/2012/11/15/relents-tunisiens-d-acta/#comments Thu, 15 Nov 2012 15:55:08 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=125573

Inscrire la propriété intellectuelle dans la Constitution tunisienne, en voilà une idée saugrenue et inquiétante qui mobilise le Parti Pirate local, T’Harrek et Fi9, deux groupes autonomes œuvrant pour renouveler la démocratie, et HackerScop, la coopérative de travailleurs montée par le hackerspace de Tunis. Ce samedi, ils organisaient une table ronde de sensibilisation avec des cinéastes et des vendeurs de DVD. Elle fait partie de leur contre-opération, baptisée “el fikr mouch milk”, “l’idée n’est pas une propriété”.

Actuellement, le pays est en transition. Suite au départ du dictateur Ben Ali en janvier 2011, une assemblée a été désignée pour rédiger une nouvelle Constitution, avec le 23 octobre dernier comme date butoir. Si l’objectif n’est pas complètement atteint, une partie a déjà été dévoilée. L’article 26 est clair :

La propriété intellectuelle et littéraire est garantie.

“On sentait que ça venait de l’extérieur”

Cet été, les Tunisiens ont vu surgir une “campagne nationale de sensibilisation sur la contrefaçon en Tunisie”, Bidoun taklid, littéralement “sans contrefaçon”. Mais ce n’est pas un plagiat de la chanson de Mylène Farmer. Empreinte de main rouge sang en guise de logo, fond noir et gris anthracite, musique du spot radio dramatisante (on s’est permis de l’embedder sans leur autorisation), la Tunisie a aussi peur que la France de Bruno Gicquel :

Azza Chaouch, membre de hackerspace.tn et étudiante en droit, se souvient :

On ne comprenait pas d’où ça venait, en Tunisie, la contrefaçon fait vivre plein de monde, veulent-ils plus de chômeurs ? Et ils ont mis les moyens : il distribuait des tracts à la gare, avec du beau papier, ils ont un site. On sentait que ça venait de l’extérieur.

De fait, ça vient en partie de l’extérieur. Lancée officiellement par le Centre des jeunes dirigeants  de Tunisie (CJDT), a reçu le soutien du bureau méditerranéen du Middle East Partnership Initiative. Le MEPI, qui n’a pas répondu à nos questions, tout comme le CJDT, est un outil du soft power américain financé par le Départment d’État américain. Logique, selon Slim Amamou, l’emblématique figure de la révolution tunisienne, membre du Parti Pirate :

La propriété intellectuelle est une politique d’État pour les États-Unis. Les ambassadeurs américains sont tenus de présenter un rapport chaque six mois sur l’avancement du pays dans lequel ils sont en termes de propriété intellectuelle.

Et de pointer vers un des câbles diplomatiques fuités par WikiLeaks sur le climat de l’investissement début 2010. Il souligne les efforts de la Tunisie pour rentrer dans le rang :

Bien que le concept et l’application de la protection  de la propriété intellectuelle en soient encore à leurs débuts, le gouvernement fait des efforts pour susciter une prise de conscience et a accru son effort de régulation dans ce domaine.

Car la Tunisie est un pays où la contrefaçon de biens matériels fleurit, ce qui lui vaut d’être sous la pression depuis plusieurs années de la part de l’OMC. Le pays est en effet membre de l’Organisation mondiale du commerce depuis 1995, organisme international où les États-Unis pèsent de tout leur poids. La législation a déjà évolué dans son sens avec une batterie de lois en 2001.

La Tunisie 2.0 est aux urnes

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Le 23 octobre, la Tunisie a rendez-vous avec l'Histoire, pour l'élection de son Assemblée constituante. À Tunis, OWNI a ...

Et son soutien direct n’est pas nouveau. Le câble évoque “une initiative soutenue par le gouvernement américain, mise en œuvre par le ministère du Commerce, en lien avec le United States Patent and Trademark Office  (USPTO) [qui] fournit une formation aux fonctionnaires dans le champ du renforcement de la régulation de la propriété intellectuelle.” Et d’enchainer sur l’annonce d’une nouvelle législation dans le sens des États-Unis.

Faire peur

La chute de Ben Ali ne semble pas avoir diminué l’influence états-unienne dans le domaine. L’argumentaire rappelle celui d’ACTA, le traité anti-contrefaçon initié par les États-Unis et le Japon, négocié en secret, jugé liberticide et rejeté à ce titre par le Parlement européen cet été. De façon habile, la culture n’est pas pour le moment dans leur collimateur : “notre campagne s’intéresse seulement a la contrefaçon de marques mais pas encore à la contrefaçon des autres matières de la propriété intellectuelle.”

En revanche, il met en avant les dangers pour la santé et la sécurité des consommateurs, plus à même de toucher le quidam :

Pour le consommateur la contrefaçon présente de grands dangers notamment sur sa sante et sa sécurité en fonction des produits contrefaits qu’il consomme ces produits peuvent aller des médicaments contrefaits aux jouets et pièces de rechange automobiles aux produits cosmétiques, d’électroménagers, d’habillement ou alimentaire qui ne respectent aucune norme de qualité.

L’impact économique est aussi souligné : “La contrefaçon se traduit par une perte de chiffre d’affaire et de bénéfice et par conséquent elle se traduit par une baisse de la rentabilité et la perte de certains marchés”, etc.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

100 000 familles concernées

Par principe, le Parti Pirate est hostile à la notion de propriété intellectuelle. Slim martèle :

D’abord la propriété intellectuelle comme concept c’est une aberration. Ils veulent faire passer des gens qui copient pour des voleurs. La copie est un droit humain depuis le début de l’humanité. Point.

Quant à l’argument économique, encore faut-il connaître la nationalité des entreprises concernés. Pour les opposants au projet, cette inscription dans la Constitution ne ferait qu’aggraver l’économie déjà en berne :

Il est difficile de dénombrer le nombre exact des familles touchées par cette loi, mais nous savons qu’un minimum de 100 000 familles sont dépendantes de ses petits commerces qui vivent de la vente de DVD, ou de la vente des démodulateurs TV, ou encore des produits dérivés à bas prix venus de Chine reproduisant des technologies autrement trop coûteuses pour le marché tunisien.
Plus largement, les étudiants n’ont pas les moyens d’acheter des livres et apprennent grâce aux photocopies, et le public tunisien n’a pas les moyens de s’offrir les DVD originaux des grandes multinationales vendus à un prix exorbitant.

Pour échelle, le kebab vaut là-bas quatre fois moins cher qu’en France, alors acheter des titres sur iTunes… Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que le centre commercial Galerie 7 et ses boutiques fleurant bon la copie de DVD ait pignon sur rue.

Sondage éloquent sur le site de la campagne anti-contrefaçon

Sondage éloquent sur le site de la campagne anti-contrefaçon.

L’an II de l’hacktivisme tunisien

L’an II de l’hacktivisme tunisien

La communauté hacker tunisienne a initié de nombreux projets dans l'élan révolutionnaire de 2011. Mais derrière, les ...

 “Je ne m’habille plus, je ne regarde plus rien, ironise Azza. On gère notre quotidien grâce à la contrefaçon. Déjà aux États-Unis, ce n’est pas logique, alors ici… Comme dit Godard, ‘pour faire des films, il faut voir des films.” La citation ne déplairait pas à JLG, grand pourfendeur de la Hadopi.

Ses confrères tunisiens sont les premières cibles de cette contre-campagne, “parce que c’est le plus médiatique et parce que les cinéastes sont les plus virulents défenseurs de la propriété intellectuelle, justifie Slim Amamou. Nous avons commencé par faire du porte-à-porte chez les vendeurs de DVD. Nous leur avons fait signer une pétition contre la propriété intellectuelle”.

De la journée d’échange, il est sorti “une recommandation pour le secteur qui satisfait les cinéastes et évite la propriété intellectuelle”, se félicite l’activiste. Azza renchérit :

Il faut penser la Tunisie et pas imposer un modèle étranger.

“Introduire la notion de Propriété Intellectuelle dans la Constitution à pour unique but de faire disparaitre ce tissu économico-culturel, renchérit Slim, pour mettre en place un nouveau tissu sous le contrôle des multinationales.”

Durcissement ou pas, une chose est sûre : le site de Bidoun ne risque pas d’être pompé. Sauf à être fan de l’esthétique web des années 90.

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Droits d’auteur sur les zombies http://owni.fr/2012/09/26/droits-dauteur-sur-les-zombies/ http://owni.fr/2012/09/26/droits-dauteur-sur-les-zombies/#comments Wed, 26 Sep 2012 11:08:43 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=120767

Zombie's eye view by Jamie Mellor (cc)

Les zombies sont partout en ce moment ! Alors qu’une série de faits étranges ont eu lieu cet été qui ont pu faire penser qu’une attaque de cadavres titubants était proche, on leur consacre en cette rentrée un ouvrage de philosophie, Petite philosophie du zombie, qui s’interroge sur les significations du phénomène. Et des hordes d’aficionados trépignent d’impatience en attendant la diffusion de la troisième saison de Walking Dead, programmée pour la mi-octobre, sur laquelle ils se jetteront comme des rôdeurs sur de la cervelle fraîche !

Comme le rappelait un excellent reportage d’Arte consacré à ces monstres revenus d’outre tombe, la manière dont les zombies ont envahi peu à peu la culture populaire tient à leur incroyable capacité à se réinventer sans cesse, depuis que les films fondateurs de George Romero ont introduit l’archétype du zombie moderne.

Après avoir colonisé le cinéma d’horreur, ils se sont répandus dans tous les domaines avec une facilité étonnante : dans la musique avec le clip Thriller de Michael Jackson, dans la littérature avec le Guide de survie en territoire zombie de Max Brook ou la parodie du roman de Jane Austen Pride and Prejudice and Zombie, ou dans le jeu vidéo depuis Resident Evil jusqu’au récent titre délirant Lollypop Chainsaw.

Des colloques entiers sont à présent organisés pour essayer d’analyser les causes de cette zombie-mania. Dans sa Petite Philosophie du Zombie, Maxime Coulombe explique que ces créatures sont l’écho des interrogations actuelles de nos sociétés sur la mort, la conscience ou la civilisation. C’est certainement vrai, mais il existe également une raison juridique fondamentale qui explique l’aisance avec laquelle les zombies ont pu infester à vitesse grand V tous les champs de la création.

Le premier film de George Romero, Night of the Living Dead,  n’a en effet jamais été protégé par le droit d’auteur, à cause d’une incroyable boulette commise par son distributeur… Paru en 1968, le film est donc directement entré dans le domaine public, alors qu’il devrait toujours être protégé aujourd’hui, puisque Romero, “The Godfather of all Zombies”, est toujours en vie.

Cette destinée juridique singulière explique sans doute que la Zombie Movie Data Base comporte… 4 913 entrées à ce jour, dont beaucoup s’inspirent directement du premier film fondateur de Romero, sans risquer de procès, ni avoir à payer de licence. Cette particularité du Zombie (qu’il ne partage pas du tout avec le Vampire, comme on va le voir plus loin) dit quelque chose d’important à propos du droit d’auteur et de la création : la protection n’est pas toujours la meilleure façon pour une œuvre d’assurer sa diffusion.

Right of the Living Dead

Si vous allez sur Internet Archive, vous pourrez trouver Night Of The Living Dead , disponible librement et gratuitement en streaming ou en téléchargement, avec une mention de droit indiquant “Public Domain :  No Right Reserved“. Pourtant, la plupart des films sortis à la fin des années soixante n’entreront dans le domaine public que dans la seconde moitié du 21ème siècle !

Affiche du film "La nuit des morts vivants" de Romero, (Domain public via Wikimedia Commons)

La raison de cette incongruité, c’est un véritable micmac juridique qui s’est produit à la sortie du film en 1968. A cette époque aux Etats-Unis, une oeuvre ne pouvait être protégée par le droit d’auteur que si une Copyright Notice était incluse dans les crédits, pour indiquer l’identité des détenteurs des droits de propriété intellectuelle. Or juste avant la sortie du film, le distributeur décida de changer le titre initialement prévu Night of The Flesh Eaters en Night of The Living Dead. Cette décision n’était sans doute pas mauvaise, sauf que pour opérer la modification, le distributeur retoucha les crédits dans le générique du film et supprima par inadvertance la fameuse Copyright Notice.

Le film n’a donc jamais été protégé par le copyright, ce qui ne l’empêcha pas de rencontrer un beau succès en salle. Mais l’erreur commise sur les mentions permit plus tard à de nombreux distributeurs de vidéocassettes de distribuer le film, sans avoir à reverser de droits aux créateurs. Cet aspect est certainement fâcheux, mais il a contribué encore davantage à asseoir la popularité du film et à faciliter la propagation de la figure du Zombie.

Walking Public Domain

Le zombie au cinéma a une existence bien plus ancienne que le film de Romero. On le trouve dès les années 30 aux Etats-Unis, dans des films comme White Zombie, inspiré de la tradition haïtienne et de la religion vaudou. Mais Romero a développé dans Night of The Living Dead de nombreux traits caractéristiques qui réinventent ce monstre (la démarche titubante des zombies, leur goût pour la chair humaine, la façon dont ils évoluent en horde, leur vulnérabilité aux blessures à la tête, leur peur du feu, le caractère épidémique de la propagation de l’invasion, la dimension post-apocalyptique de l’histoire, etc). Ces éléments constituent incontestablement des apports originaux qui auraient pu être protégés comme tels par le droit d’auteur.

Mais à cause de l’appartenance immédiate du film au domaine public, ces caractéristiques du zombie ont pu être reprises par d’autres et se disséminer largement. Romero a d’ailleurs été lui-même l’un des premiers à pouvoir bénéficier de cette liberté créative.

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En effet, comme l’explique le juriste américain Jonathan Bailey, Night of The Living Dead était le résultat d’une collaboration entre George Romero et un autre auteur du nom de John Russo, qui cosigna le scénario. Après le premier film, un désaccord artistique survint entre les deux hommes, sur la suite à donner à leur premier succès.

La Nuit des morts-vivants étant dans le domaine public, aucun des deux ne pouvait empêcher l’autre de réutiliser le concept du zombie tel qu’il apparaissait dans le film. Ils décidèrent de créer chacun de leur côté leurs propres suites. Les deux auteurs décidèrent en se partageant l’héritage de Night of The living Dead : Russo réaliserait une série de films comportant “Living Dead” dans le titre et Romero en ferait une autre, avec”Of The Dead” dans le titre.

C’est ainsi que Romero tourna plusieurs séquelles (Dawn of the Dead, Day of the Dead, Land of the Dead, Diary of the Dead, Survival of the Dead) dans lesquelles il put développer comme il le souhaitait la dimension politique déjà présente dans le premier film. Russo de son côté mit plutôt en avant dans sa production une vision humoristique des zombies (Return of the Living Dead, Return of the Living Dead Part II, Return of the Living Dead 3, Return of the Living Dead: Necropolis, Return of the Living Dead: Rave from the Grave).

Ces deux approches constituent les deux grandes traditions du zombie au cinéma et le jeu pour les réalisateurs successifs qui se sont emparés de ce thème a consisté à reprendre certains des éléments des films de Romero, en introduisant des différences. Le film de zombie est par définition toujours un peu un remix et c’est ce qui fait son charme !

Plus tard, les morts-vivants titubants sont sortis des salles de cinéma pour envahir tous les champs de la création. Le succès du zombie illustre en réalité la fécondité du domaine public et son rôle majeur dans le développement de la création. Pour le mettre encore mieux en lumière, on peut avancer une comparaison avec une autre grande figure du cinéma d’horreur : le Vampire.

Appelez-le Dra©ula !

L’anecdote est peu connue, mais le film Nosferatu le Vampire de F.W. Murnau a connu lui aussi une aventure juridique assez incroyable, à cause du combat que durent livrer ses créateurs avec les ayants droit de Bram Stoker, l’auteur de Dracula.

Au début des années 20, le producteur du film, Albin Grau, souhaitait réaliser une adaptation du roman Dracula, mais il ne parvint pas à se faire céder les droits par la veuve de Bram Stoker, particulièrement dure en affaires. Le projet fut néanmoins maintenu, en introduisant des différences notables par rapport au roman, pour tenter d’échapper aux accusations de plagiat.

Le lieu de l’action fut déplacé de Londres en Allemagne ; Dracula devint un Comte Orlock à l’apparence monstrueuse pour se démarquer du dandy victorien de Stoker et Murnau introduisit des détails absents du roman, comme le fait que la lumière du jour détruise les vampires ou que leur morsure transforme leurs victimes à leur tour en monstres sanguinaires. Comme le relève le site Techdirt, un certain nombre des traits que nous associons aujourd’hui naturellement aux vampires découlent en réalité de la nécessité pour Murnau d’éviter une condamnation pour violation du droit d’auteur !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Malgré ces précautions, le film fut attaqué en justice avec succès en Allemagne par la veuve de Stoker en 1925. La condamnation entraina la faillite de Prana Films, la société d’Albin Grau et la destruction de la plupart des copies et négatifs du film, ordonnée par les juges. L’histoire aurait pu s’arrêter là si une bobine n’avait pas miraculeusement survécu et été emportée aux Etats-Unis, où à cause d’une erreur d’enregistrement (encore !), le roman Dracula était déjà tombé dans le domaine public. La veuve de Stoker ne pouvant empêcher la diffusion dans ce pays, le film Nosferatu y connut le succès, jusqu’à ce que dans les années 60, il put revenir en Europe, lorsque les droit sur Dracula s’éteignirent.

Cette histoire montre ce qui aurait pu arriver avec les films de zombies, si Night of The Living Dead n’était pas entré si vite dans le domaine public. Le copyright aurait sans doute empêché que des réalisateurs reprennent les éléments du film de Romero et la figure du zombie n’aurait vraisemblablement pas pu se diffuser dans la culture populaire avec la facilité qui a été la sienne.

Zombies Remix

La morale de ces histoires de morts-vivants, c’est que les rapports entre le droit d’auteur et la création sont bien plus complexes que ceux que l’on a l’habitude de nous servir comme des vérités d’Évangile.

Les auteurs ont sans doute besoin d’une protection pour pouvoir innover, mais la dynamique même de la création implique que les créations puissent être reprises, modifiées, prolongées, enrichies et ce mouvement a encore été amplifié avec Internet. À présent, ce ne sont plus seulement les artistes qui reprennent les créations antérieures de leurs homologues. Le public s’empare lui aussi de ses œuvres préférées pour les remixer à l’infini. C’est particulièrement vrai des zombies qui font l’objet d’une production amateur impressionnante !

En comparaison, d’autres œuvres emblématiques font l’objet de tensions juridiques entre les fans et les titulaires de droits. Korben a par exemple relevé récemment que Warner Bros a agi contre une communauté d’internautes, qui avait reconstruit la Terre du Milieu du Seigneur des Anneaux, en utilisant  le générateur de cartes du jeu vidéo Skyrim. Les titulaires de droits les ont contraints à retirer de cet univers toutes les mentions relatives à l’univers de Tolkien (comme les noms des lieux et des personnages, qui sont protégés en tant que tels au titre du droit d’auteur et du droit des marques).

Les zombies de Romero sont certes moins ragoûtants que les personnages du Seigneur des Anneaux, mais nés sous la bonne étoile du domaine public, ils sont parfaitement adaptées à la culture numérique.


Affiches des films via Wikimedia Commons : Night of the living dead et Nosferatu (domaine public) ; Zombie’s eye view via la galerie de Jamie Mellor (CC-byncsa)

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http://owni.fr/2012/09/26/droits-dauteur-sur-les-zombies/feed/ 15
Au front de la révolution du droit d’auteur ! http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/ http://owni.fr/2012/08/02/au-front-de-la-revolution-du-droit-dauteur/#comments Thu, 02 Aug 2012 09:56:04 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=117410

Le rejet d’ACTA par le Parlement européen, tout comme la mise en échec en début d’année de la loi SOPA aux États-Unis, obtenus grâce à une mobilisation citoyenne sans précédent, constituent à l’évidence deux grandes victoires. Mais leur portée reste limitée, car il s’agissait essentiellement de batailles défensives, menées par les défenseurs des libertés numériques et de la culture libre pour barrer la route à des projets liberticides.

Néanmoins, ces succès créent une opportunité politique pour passer de la défensive à l’offensive, en proposant une refonte globale du système du droit d’auteur et du financement de la création.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans cette perspective, la Quadrature du Net vient de publier un document de première importance, préparé par Philippe Aigrain et intitulé “Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées“. Il est disponible ici sur le site de la Quadrature, sur le blog de Philippe Aigrain et vous pouvez le télécharger en version pdf également.

Articulé en 14 points représentés sur le schéma ci-dessous, ce texte couvre de nombreuses problématiques liées à la question de la création dans l’environnement numérique, aussi bien dans sa dimension juridique qu’économique et technique.

Légalisation du partage non-marchand entre individus

La clé de voûte de ce projet consiste à légaliser le partage non-marchand entre individus d’œuvres protégées, considéré comme une pratique légitime et utile pour la vie culturelle et la création. La légalisation du partage s’opère par le biais d’une extension de la théorie de l’épuisement des droits, qui nous permettait déjà d’échanger ou de donner des supports d’œuvres protégées dans l’environnement matériel (livres, CD, DVD, etc) :

L’approche alternative consiste à partir des activités qui justifiaient l’épuisement des droits pour les œuvres sur support (prêter, donner, échanger, faire circuler, en bref partager) et de se demander quelle place leur donner dans l’espace numérique. Nous devons alors reconnaître le nouveau potentiel offert par le numérique pour ces activités, et le fait que ce potentiel dépend entièrement de la possession d’une copie et de la capacité à la multiplier par la mise à disposition ou la transmission.

L’épuisement des droits va ainsi être défini de façon à la fois plus ouverte et plus restrictive que pour les œuvres sur support. Plus ouverte parce qu’il inclut le droit de reproduction, plus restrictive parce qu’on peut le restreindre aux activités non marchandes des individus sans porter atteinte à ses bénéfices culturels.

Ce versant juridique de la légalisation du partage s’accompagne d’un versant économique, dans la mesure où cette extension de l’épuisement du droit d’auteur va de pair avec la création de nouveaux droits sociaux à la rémunération pour ceux qui contribuent à la création.

Contribution créatrice

Cet aspect des propositions de Phillipe Aigrain est particulièrement intéressant et il recoupe les modèles que l’auteur avait déjà exposé dans son ouvrage Sharing : Culture and The Economy in The Internet Age. En lieu et place de la licence globale, modèle alternatif de financement décrié à la fois par les représentants des industries culturelles et ceux de la Culture libre, le document propose plusieurs pistes de financement, dont la principale consiste en la mise en place d’une contribution créative, constituée par un prélèvement forfaitaire par foyer connecté à Internet.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

D’autres mécanismes économiques sont envisagés comme le financement participatif en amont de la création (crowdfunding) ou encore le revenu minimum d’existence inconditionnel. Par ailleurs, des propositions complémentaires visent à réformer en profondeur la gestion collective, les financements publics culturels et la fiscalité du numérique.

Dépassant les aspects économiques, le document se penche également sur les conditions de possibilités techniques garantissant que les échanges puissent s’exercer librement dans un tel système, sans que des acteurs manœuvrent pour acquérir une position dominante par d’autres biais. La légalisation du partage se limite strictement aux échanges non marchands entre individus pour éviter le retour de monstruosités centralisant les fichiers et l’attention comme MegaUpload. Le document se prononce logiquement en faveur de la défense du principe de neutralité du Net, mais aussi pour l’interopérabilité et l’ouverture des appareils type smartphones ou tablettes, ainsi que pour la mise en place d’une taxation de la publicité en ligne qui évitera que des acteurs comme Google ou Facebook ne puissent dévoyer les mécanismes de l’économie de l’attention à leur profit.

La neutralité du Net en une image

Mais le document ne s’arrête pas là et il balaye tout un ensemble de problématiques qui me paraissent particulièrement importantes et qui ont beaucoup retenu mon attention sur S.I.Lex depuis des années. J’ai déjà écrit à plusieurs reprises (ici ou ) pour démontrer qu’il existe un lien direct entre la légalisation du partage non marchand et la défense des usages collectifs, ainsi qu’avec la place des institutions culturelles comme les bibliothèques dans l’accès à la culture et à la connaissance. J’ai aussi alerté à de nombreuses reprises sur le fait que le maintien de la guerre au partage, telle qu’elle se manifeste en France par exemple à travers le mécanisme de la riposte graduée instauré par la loi Hadopi, faisait peser sur les lieux d’accès publics à Internet de graves menaces (ici ou ).

Usages collectifs

Si le cœur du modèle de Philippe Aigrain porte sur les échanges entre individus, il est tout à fait sensible à l’importance des usages collectifs auxquels plusieurs points sont consacrés dans le document. On retrouve par exemple un point complet sur la nécessité de consacrer les pratiques éducatives et de recherche comme un véritable droit, par le biais d’une exception sans compensation.

Philippe Aigrain envisage également un rôle central dévolu aux bibliothèques en matière de diffusion des œuvres orphelines. Il prononce des critiques radicales à l’encontre des récentes lois sur le prix unique du livre numérique et sur la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle auxquelles les bibliothécaires français se sont opposés. Il propose également de doter le domaine public d’un statut positif afin de le protéger contre les atteintes à son intégrité, ainsi que de renforcer la dynamique de mise en partage des œuvres par le biais des licences libres.

Par ailleurs, Silvère Mercier et moi-même avons eu le grand honneur d’être invités à contribuer à ce document pour la partie intitulée “Liberté des usages collectifs non marchands” que je recopie ci-dessous :

A côté des usages non marchands entre individus, il existe des usages collectifs non marchands, qui jouent un rôle essentiel pour l’accès à la connaissance et pour la vie culturelle, notamment dans le cadre de l’activité d’établissements comme les bibliothèques, les musées ou les archives. Ces usages recouvrent la représentation gratuite d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public ; l’usage d’œuvres protégées en ligne par des personnes morales sans but lucratif ; la fourniture de moyens de reproduction à des usagers par des institutions hors cadre commercial ; et l’accès à des ressources numérisées détenues par les bibliothèques et archives.

A l’heure actuelle, ces usages collectifs s’exercent dans des cadres juridiques contraints, hétérogènes et inadaptés aux pratiques. Le préjugé selon lequel, dans l’environnement numérique, les usages collectifs nuiraient aux ventes aux particuliers ouvre un risque non négligeable que les titulaires de droits utilisent leurs prérogatives pour priver les bibliothèques de la possibilité de fournir des contenus numériques à leurs usagers. Dans un contexte où les échanges non marchands entre individus seraient légalisés, il serait pourtant paradoxal que les usages collectifs ne soient pas garantis et étendus.

A cette fin, les mesures suivantes doivent être mises en place :

  • Représentation sans finalité commerciale d’œuvres protégées dans des lieux accessibles au public : création d’une exception sans compensation, en transformant l’exception de représentation gratuite dans le cercle familial en une exception de représentation en public, hors-cadre commercial.
  • Usages en ligne non marchands d’œuvres protégées : les personnes morales agissant sans but lucratif doivent pouvoir bénéficier des mêmes possibilités que celles consacrées au profit des individus dans le cadre des échanges non marchands.
  • Fourniture de moyens de reproduction, y compris numériques, par des établissements accessibles au public à leurs usagers : ces usages doivent être assimilés à des copies privées, y compris en cas de transmission des reproductions à distance.

Enfin se pose la question importante du rôle des bibliothèques dans la mise à disposition (hors prêt de dispositifs de lecture) de versions numériques des œuvres sous droits et non-orphelines. Tout un éventail de solutions est envisageable depuis la situation où les bibliothèques deviendraient la source d’une copie de référence numérique de ces œuvres accessible à tous jusqu’à une exception pour leur communication donnant lieu à compensation.

Nouvelles taxes

À tous les bibliothécaires engagés et plus largement à tous les professionnels du secteur de l’information-documentation qui se sentent concernés par ces questions, je voudrais dire qu’il est temps à présent de régénérer les principes de notre action pour embrasser une vision plus large que celle qui a prévalu jusqu’à présent, notamment dans le cadre de l’action de l’IABD.

Il n’est plus possible aujourd’hui de soutenir que les bibliothèques ne sont pas concernées par la question de la légalisation du partage non marchand. Il n’est pas possible non plus de continuer à se battre sur des sujets périphériques, comme les exceptions au droit d’auteur, sans s’associer à une refonte en profondeur du système de la propriété intellectuelle. Ces tactiques se cantonnent à l’écume des choses et elles manquent l’essentiel. Elles ont hélas conduit à des défaites tragiques, comme ce fut le cas avec la loi sur la numérisation des livres indisponibles. Il n’est plus question d’obtenir simplement un rééquilibrage du droit d’auteur dans l’environnement numérique, mais bien de le refonder à partir d’autres principes !

Les propositions qui figurent dans ce document doivent être défendues et portées au plus haut niveau lors de la consultation à venir sur l’acte II de l’exception culturelle, qui sera conduite dans le cadre de la mission Lescure. Les lobbies des industries culturelles sont déjà lourdement intervenus en amont afin que les questions essentielles ne soient pas posées lors de cette consultation. Les choses semblent courues d’avance et j’ai  déjà eu l’occasion de dénoncer le fait que l’on cherchera certainement à nous faire avaler la mise en place de véritables gabelles numériques. On voudra instaurer de nouvelles taxes sans consécration de droits au profit des usagers et sans même remettre en cause de la logique répressive qui est au cœur de la loi Hadopi !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Tous ceux qui s’intéressent aux libertés numériques et à l’avenir de la création sur Internet devraient s’emparer de ces propositions et les porter à l’attention des pouvoirs publics. Et il me semble que les auteurs et les créateurs devraient être les premiers à le faire.

Ils sont en effet de plus en plus nombreux à prendre conscience que le droit d’auteur a dérivé vers un système de rentes au profit d’intermédiaires qui ne sont plus à même de leur garantir les moyens de créer, ni même de vivre dignement. Les propositions de Philippe Aigrain sont essentiellement tournées vers les auteurs.  Le point n°7 porte par exemple sur la refonte des contrats d’édition, afin que les éditeurs ne soient plus en mesure de s’accaparer les droits numériques à leur profit, sans reverser une rémunération décente aux auteurs.

Une économie du partage

Plus largement, la contribution créative constitue une des seules pistes réalistes pour dégager les sommes suffisantes à la rémunération des créateurs, en sortant de la spirale infernale de la guerre au partage les dressant contre leur public. Elle vise à créer une véritable économie du partage, dont les créateurs seraient de nouveau les premiers bénéficiaires. Par ailleurs, l’une des vertus fortes de ce modèle, c’est d’envisager de rémunérer non seulement les auteurs professionnels, mais aussi la multitude des créateurs amateurs qui contribuent aujourd’hui sur Internet de manière déterminante à la vie de la culture et des idées.

La parole pour finir à Philippe Aigrain :

Le numérique porte la promesse de capacités culturelles accrues pour chacun, d’une nouvelle ère où les activités créatives et expressives sont au cœur même de nos sociétés. Dans un contexte souvent hostile, cette promesse montre chaque jour qu’elle est solide. Dans de nombreux domaines, la culture numérique est le laboratoire vivant de la création. Elle donne lieu à de nouveaux processus sociaux et permet le partage de ses produits. De nouvelles synergies se développent entre d’une part, les activités et la socialité numérique et, d’autre part les créations physiques et interactions sociales hors numérique. L’objectif d’une réforme raisonnable du droit d’auteur / copyright et des politiques culturelles ou des médias est de créer un meilleur environnement pour la réalisation de cette promesse. Comme toujours, il y a deux volets : arrêter de nuire au développement de la culture numérique et, si possible, la servir utilement.

En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans ce programme une cause porteuse de sens que je veux servir et qui vaut la peine que l’on se batte pour elle de toutes ses forces! Je le ferai en tant que citoyen, en tant que juriste, en tant qu’auteur numérique, mais aussi et surtout comme le bibliothécaire que je suis, attaché viscéralement à la diffusion du savoir et à la défense des biens communs !

Billet initialement publié sur le blog de Calimaq :: S.I.Lex :: sous le titre “Réforme du droit d’auteur et financement de la création : il est temps de passer à l’offensive !”

Image CC Flickr PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Certains droits réservés par Kalexanderson

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Hadopi en pire http://owni.fr/2012/03/15/alpa-besoin-hadopi/ http://owni.fr/2012/03/15/alpa-besoin-hadopi/#comments Thu, 15 Mar 2012 01:33:50 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=102030

C’est l’un des principaux enjeux de l’après présidentielle pour les acteurs du numérique : l’avenir de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).

Hollande entreprend la culture

Hollande entreprend la culture

Le flou de l'après Hadopi, c'est du passé. Dans une tribune qui paraît dans Le Monde, le candidat socialiste ...

Abrogation, remplacement, adaptation, ou simple abandon de son action répressive, les propositions ne manquent pas. Certains vont même plus loin, et réfléchissent à la mise en place d’une forme de licence globale qui, par définition, entraînerait la reconnaissance des échanges non marchands. Une adaptation du droit d’auteur à l’ère numérique dont le PS semble avoir récemment rejeté l’idée.

Soutenue et encouragée par Nicolas Sarkozy, l’Hadopi semble pourtant un peu éloignée des préoccupations du président-candidat. Particulièrement depuis la fermeture du site MegaUpload. Même si il continue à défendre sa création dans une interview au Point à paraître aujourd’hui, il explique :“Rien ne ferait obstacle à ce que les autorités françaises lancent une telle opération sur la base du délit de contrefaçon”. Un délit qui figure dans ce bon vieux code de la propriété intellectuelle, créé en 1992. Et qui est utilisé aujourd’hui tant pour fermer des plateformes comme MegaUpload que pour punir les internautes partageant illégalement des oeuvres sur Internet.

Cette dernière mission étant pourtant confiée…  à Hadopi. À l’origine, l’écosystème Hadopi a en effet été présenté comme une alternative aux peines sanctionnant la contrefaçon, qui vont jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Un mécanisme jugé excessif pour Internet, auquel on a voulu substituer une approche répressive progressive : la fameuse “réponse graduée”.  Un processus qui n’a pas encore été mené à son terme, et dont on peut interroger la pertinence. Puisqu’en parallèle, le vieux système continue de tourner, alimenté par l’action des ayants droit.

Hors d’Hadopi, point de salut ?

Sur ce point, la communication d’Hadopi est bien rodée. Depuis quelques mois, la Haute autorité craint pour son avenir. Et essaye pour s’en assurer un de se positionner comme protectrice d’Internet et des internautes. Adieu réponse graduée, l’administration préfère mettre en avant son rôle “pédagogique”.

Le trac électoral de l’Hadopi

Le trac électoral de l’Hadopi

2012 se fera avec la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), c'est ...

Après la promotion des “labs”, ces “ateliers collaboratifs” constitués d’experts et qui s’emparent de sujets allant du streaming au filtrage du réseau en passant par la photographie à l’ère numérique, un nouvel argumentaire est apparu.

Certains le reprennent, mettant en avant la responsabilisation des internautes et les “sanctions pédagogiques” mises en oeuvre par l’Hadopi. Subitement devenue meilleure amie des pirates. Dont la méthode présentée comme douce les préserverait d’une justice expéditive, aveugle et sans pitié. Malheur, donc, si elle venait à disparaître ! Problème : les délits pour contrefaçon sont toujours d’actualité. Les cas d’internautes contrevenants continuent à défiler devant le parquet, sous l’action des ayants droit. En clair : Hadopi a au mieux atténué l’ancien système, au pire n’a rien changé.

Répression à plusieurs vitesses

Plusieurs individus ont ainsi été condamnés ces dernières années, en France, à des peines de prison pour avoir mis à disposition des œuvres culturelles protégées sur le réseau. Derrière ces condamnations, on retrouve des représentants des ayants droit, regroupés en sociétés et associations aux initiales cryptiques : SACEM, SCPP, SDRM, SPPF ou encore ALPA.

Toutes agissent donc dans le cadre de l’ article L335-4 du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que “toute fixation reproduction, communication ou mise à disposition du public” d’une œuvre protégée sans l’accord des ayants droit est passible de trois ans de prison et de 300.000 euros d’amende.

L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), financée par l’industrie du cinéma et présidée par Nicolas Seydoux, le patron de Gaumont, est particulièrement active dans ce domaine.

Son délégué général, Frédéric Delacroix, nous le confirme :

Nous transmettons aux procureurs en moyenne un dossier par jour.

Largement documentée par nos confrères de PCInpact, la mise en place d’un système à deux vitesses apparaît clairement dans les délibérations de la Commission nationale informatique et libertés(Cnil) concernant l’association de lutte contre la piraterie.

Le principe est simple: l’entreprise Trident Media Guard (TMG) surveille les échanges sur les réseaux peer-to-peer. Sur les adresses IP repérées, soit les agents assermentés de l’Alpa saisissent l’ Hadopi sous forme de procès-verbal, soit ils transmettent le dossier directement aux autorités judiciaires. Une mesure censée concerner les individus mettant à disposition un grand nombre d’oeuvres, ou coupables d’ “une première mise à disposition d’un fichier illicite correspondant à une œuvre de référence…”. D’autres seuils entrent ensuite en considération pour savoir si un individu sera poursuivi au civil, risquant de simples dommages et intérêts, ou au pénal. Si tel est le cas, l’internaute risquera jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 € d’amende.

En résumé, à l’Hadopi le menu fretin, et aux ayants droit les gros poissons, en direct. Pourtant, récemment, un quadragénaire bordelais a été convoqué devant le tribunal correctionnel pour avoir partagé 18 films sur eMule, sur une journée. Un chiffre qui apparaît bien peu élevé.

Même si, tient à nous préciser Frédéric Delacroix “l’ALPA n’este pas en justice”.  On murmure à la Haute autorité que “les ayants droit ont tous les moyens pour faire du massif”.  Dans ce cas, l’intérêt de préserver sa mission répressive est tout relatif. Hadopi ou pas, les internautes partageant des fichiers protégés par le droit d’auteur resteront sur la sellette. Ces condamnations pour contrefaçon pourraient avoir valeur d’exemple, même si Frédéric Delacroix précise :

“On ne médiatise pas ces affaires. Il s’agit de personnes qui font commerce d’oeuvres protégées, ou qui participent à l’essaimage massif de biens culturels”. Avant de poursuivre: “il s’agit d’écrêter le partage massif”. Pour le délégué général de l’association, l’Hadopi tient parfaitement son rôle “pédagogique” :

Hadopi ce n’est pas la partie répressive. Il s’agit de faire changer les comportements des gens, pas d’aller les poursuivre

L’éventuelle suppression d’Hadopi, ou de sa Commission de protection des droits, chargée de l’envoi des courriers recommandés, entraînerait donc un retour à l’existant. C’est à dire, pour Cédric Manara, professeur de droit à l’EDHEC, “une stratégie d’asphyxie menée par les ayants droit” qui “vise à faire des exemples”.


illustrations par Christopher Dombres pour Owni /-)

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Une pirate contre ACTA http://owni.fr/2012/02/22/une-pirate-contre-acta/ http://owni.fr/2012/02/22/une-pirate-contre-acta/#comments Wed, 22 Feb 2012 17:08:30 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=99160

Amelia Andersdotter, Parti Pirate suédois, en visite à Paris, février 2012. (cc) Samuel Huron/Flickr

Pantalon orange pétant, comme la salopette de son collègue élu au Parlement de Berlin,  veste violette toute aussi éclatante, la parole spontanée à l’image de ses tweets, 24 ans et des études pas finies, et pour cause : la jeune Suédoise Amelia Andersdotter est très prise par son nouveau job. Pas un mac job mais un siège de député au Parlement européen (PE) où elle représente le Parti pirate (PP).

Élue en 2009, elle n’y est entrée qu’en décembre, après que la ratification du Traité de Lisbonne a donné un siège de plus à la Suède. Elle a donc rejoint Christian Engström, de 27 ans son aîné. On ne s’attardera pas davantage sur son âge qui en fait la benjamine du PE : “C’est la même chose que d’être vieux, vous devez échanger avec vos collègues de la même façon. Je préfère me concentrer sur mes sujets”.

Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Une tyrannie du droit d’auteur nommée ACTA

Un traité commercial, Acta, propose d'entériner la vision du droit d'auteur des industries culturelles à l'échelle ...

Et ses sujets, on s’en doute, sont ceux au cœur du programme du parti pirate : propriété intellectuelle, défense des libertés numériques et de communication, vie privée. Elle a déjà du pain sur la planche puisqu’elle est rapporteur pour la commission ITRE (Industrie, recherche et énergie) d’ACTA, le fameux traité anti-contrefaçon portant les intérêts du lobby des industries culturelles, en particulier une vision maximaliste de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur. Un dossier en béton pour celle qui s’est rodée à la politique en coordonnant à l’international les Young Pirates, l’organisation du PP dédié aux jeunes. En béton et sous le feu des critiques comme en témoigne l’annonce ce mercredi de la saisine de la Cour de justice de l’UE par la Commission européenne et une nouvelle série de manifestations dans toute la France samedi.

Nous avons échangé avec elle sur ce sujet que nous suivons avec attention, entre autres, à l’occasion d’un débat organisé à Paris par le lab le Fabelier la semaine dernière.

Quel jugement portez-vous sur le Parlement européen ? Il est souvent décrit comme une organisation inefficace et coûteuse, votre expérience vous a-t-elle confirmé cela ?

C’est vraiment un lieu de travail unique, où se déroulent énormément de réunions. La vision de l’extérieur est en partie juste. Quand vous avez un débat politique sur l’évolution de la législation, c’est parfois bien s’il prend du temps. Dans d’autres cas, c’est aussi un problème quand la loi n’est pas mise à jour assez vite.

En général, le processus est long. Entre la première proposition, le vote final et la mise en application dans les États membres, cela peut prendre 5-6 ans, parfois jusqu’à 10. Dans mon champ, la régulation des télécoms et du droit de la propriété intellectuelle, quand les législateurs ont agi à la hâte, nous nous sommes souvent retrouvés avec un mauvais cadre législatif.

L’ambiance est collégiale mais le Parlement est un mélange d’institution politique et diplomatique. Il y a une part de régionalisation, une conséquence des liens plus forts que les députés ont avec leur pays d’origine. Par exemple, mes relations avec la France sont lointaines. Comme je ne parle pas la langue, je ne lis pas les informations françaises. Je ne saisis donc pas ce qui ce passe dans le débat national.

Vous êtes rapporteur pour la commission ITRE sur le dossier ACTA, en quoi consiste votre travail ?

Ma commission fera une recommandation sur ACTA à la commission commerce international (INTA). Ce dossier est plutôt prestigieux car il attire l’attention en Europe. Nous savions que cela serait un gros chantier quand il a atterri sur notre bureau l’année dernière, mais nous n’avions pas anticipé l’ampleur du débat public à son sujet. Les points du traité concernant l’industrie prendront l’essentiel de mon temps au printemps.

La difficulté d’accès aux documents préparatoires a été clairement gênant durant les négociations. Quand elles ont commencé en 2007, personne n’y était préparé. La plupart des industries n’ont pas anticipé le début des négociations. Généralement, ce type de discussion a lieu dans des forums multilatéraux, dans des réunions plus ou moins publiques et ouvertes, davantage accessible à tous les représentants de l’industrie et à la société civile.

Ce ne fut pas le cas pour ACTA et il a fallu attendre 2010 avant qu’il n’y ait une documentation substantielle pour le plus grand nombre et non uniquement pour les négociateurs eux-mêmes et une poignée de représentants de l’industrie. Et ce grâce à des fuites.

En 2010, le parlement européen a critiqué le manque d’information sur ACTA. Récemment, la Belgique a suspendu toute décision de ratification à la garantie que le traité n’aura pas de conséquence négative sur la loi belge. L’Allemagne de son côté veut qu’ACTA soit d’abord ratifié par le PE. Que pensez-vous de ces initiatives ?

C’est vraiment intéressant. Je suppose qu’en conséquence le Bundestag allemand va sans doute suivre la décision du PE. La Belgique dit “notre pays va d’abord se faire sa propre opinion et ensuite décider”, alors que le Bundestag met simplement la pression politique sur le PE. Je trouve l’approche belge plus judicieuse et admirable.

J’aurais attendu des parlements nationaux qu’ils s’intéressent davantage au sujet avant que leur gouvernement ne signe, mais malheureusement parfois, les parlements sont un peu à la traine.

Presque 2,5 millions de personnes ont signé la pétition en ligne d’Avaaz contre ACTA, est-ce que cela influe ?

La pression politique mise par une telle pétition est vraiment très forte. De l’intérieur du PE, il est manifeste que c’est un sujet de premier plan. Que des États membres aientt suspendu la ratification de l’accord a au moins en partie un lien avec cette mobilisation. Habituellement, on ne voit pas ce genre de réaction de la part d’institutions.

Acta souhaite renforcer la collaboration entre ayants-droit et fournisseurs d’accès à Internet. Cela vous inquiète ?

Cela me préoccupe car ces acteurs du business ne sont pas censés être des institutions juridiques. Faire un accord qui les encourage de façon implicite à endosser la responsabilité de juger là où il y a une infraction, comment on y met fin, est une mauvaise idée. Si nous nous dirigeons vers une mise en application de la loi, alors que ce soit sous une autorité juridique. Vous ne pouvez pas privatiser la mise en application de la loi.

Êtes-vous plus inquiète aujourd’hui pour les libertés numériques ? On a l’impression que la société civile est beaucoup plus consciente de l’offensive législative, comme en témoignent les manifestations contre ACTA, partagez-vous ce point de vue ?

Un des aspects les plus pénibles dans tout débat sur la communication et la liberté d’information, c’est que les discussions n’avancent pas. Les institutions européennes ont montré de façon constante qu’elles étaient incapables de réagir à n’importe quel problème dans ces domaines. Elles choisissent d’attendre ou d’éviter de réguler là où il faudrait le faire et le font davantage dans des secteurs qui sont déjà de toute évidence trop encadrés. Le débat institutionnel ne progresse pas assez.

Ce qui a changé récemment c’est que les gens évoquent avec prudence l’idée que le cadre législatif actuel est peut-être trop contraignant et a besoin de changer. Il y a une prise de conscience sur le fait que le copyright est souvent trop envahissant par rapport à la façon dont les gens agissent et échangent au quotidien. Il y a souvent des objections sur l’état général du débat dans nos sociétés. Certains ont par exemple critiqué le fait qu’Acta soit débattu au Parlement européen.

La vision qu’ont les législateurs du copyright est très éloignée de celle des gens dans le domaine de l’information et de la culture. Et ne comprennent pas la logique de cet accord.

L’empire Hollywood attaque Internet

L’empire Hollywood attaque Internet

Aux États-Unis, les lobbyistes des industries culturelles soutiennent plusieurs projets de loi pour renforcer les moyens de ...

J’ai été surprise par le culot de Sopa et Pipa. Ces propositions de loi sont si stupides, je ne comprends pas d’où ça vient. Elles proposaient de donner aux institutions américaines un pouvoir juridique direct sur les systèmes DNS, pour faire fermer des sites. Il me semble étrange qu’un pays puisse appliquer ses lois sur la propriété intellectuelle partout dans la monde. Il n’est pas bon d’appliquer extra-territorialement une législation qui est critiquée sur son propre sol. Sur Sopa, j’ai l’impression qu’un représentant du Congrès a reçu une feuille de papier, l’a lue en vitesse et l’a soumise au débat.

Est-ce que la fermeture de Megaupload ne montre pas que Sopa existe déjà, dans les faits ?

Actuellement, les États-Unis ont encore besoin du consentement de leurs alliés. Quand ils font pression sur les autres ambassades, c’est toujours une forme de processus politique, alors que Sopa serait passé par-dessus tout. Mais oui, c’est préoccupant quand la législation d’une juridiction permet à cette dernière de causer des torts économiques dans d’autres pays.

Que les institutions européennes n’aient pas protesté me dépasse aussi. La fermeture a eu des conséquences pour les citoyens européens qui utilisaient en fait ce service de façon légale. Nous avons déjà des décisions juridiques en Europe indiquant que ce genre de “cyberlockers” sont aussi utilisés légalement et ne peuvent donc être attaqués dans leur ensemble. Je sais que le parti pirate en Catalogne a été très actif pour aider les gens à instruire des poursuites en class action contre le FBI pour perte de revenus et de données personnelles. L‘electronic frontier foundation fait de même. Cela prendra du temps avant de connaître le résultat de ces poursuites.

Le Parti Pirate a-t-il émergé aux États-Unis ?

En raison du bipartisme Républicains/Démocrates, il est très difficile pour de nouveaux partis d’avoir un impact à l’échelle nationale. Mais le PP a gagné du soutien dans le Massachusetts. Le système électoral français, américain, britannique et espagnol rend quasiment impossible l’élection d’un membre du PP. Le système de vote pour les européennes est différent en Grande-Bretagne, ce qui rend l’élection possible, peut-être.

Comment interprétez-vous la montée du Parti Pirate ?

La progression du PP en République tchèque, en Allemagne, en Suède, en Catalogne, montre que les gens cherchent des alternatives politiques, qu’ils ne trouvent pas dans l’establishment actuel. C’est peut-être aussi parce que le PP questionnent le modus operandi du processus législatif. L’harmonisation se fait souvent hors  des systèmes démocratiques traditionnels. Il y a 50 ans, la plupart des décisions importantes pour chaque État membre était prise dans les parlements nationaux. Aujourd’hui, cela se passe pour beaucoup dans des accords commerciaux, par exemple. C’est une évolution que les acteurs gouvernementaux  n’interrogent pas assez.

Le Parti Pirate parvient-il à peser dans le débat ?

En Suède, le PP a créé un débat sur la liberté d’information qui n’existait pas vraiment auparavant. Mais je crois aussi que son soutien signifie que ces sujets prennent de l’importance pour les électeurs, en particulier la protection des données et le respect de la vie privée. Les institutions rattrapent lentement leur retard là-dessus. Je trouve que les médias internationaux sont souvent davantage intéressés par le PP que les médias suédois.

Certains électeurs estiment illégitime un parti issu d’Internet qui se focalise beaucoup sur le numérique, un peu comme les Verts dans les années 70, est-ce que cela évolue ? Quelle place visez-vous sur l’échiquier politique ?

Nous sommes un parti spécialisé. Cela n’aurait pas de sens d’avoir notre propre majorité dans un Parlement. Mais cela a entièrement du sens pour nous d’en faire partie, et d’être membre d’une coalition de gouvernement.
En ce qui concerne le PP suédois, quand d’autres sujets que les nôtres sont abordés, nous soutenons les partis qui nous soutiennent. Mais les politiques sur la liberté d’information et de communication sont étonnamment envahissantes, elles surgissent dans de nombreux domaines où nos perspectives peuvent se révéler utiles.

En matière d’éducation au numérique, que feriez-vous ?

Je pense que nous avons besoin de davantage de cours sur des sujets comme les outils de chiffrement, des trucs un peu plus important que savoir simplement se servir d’un moteur de recherche.

Liquid Feedback peut-il être un outil utile pour la démocratie ?

Le système fonctionne très bien pour le PP à Berlin, mais je ne l’ai jamais utilisé personnellement. Mon travail au sein du PP m’a rendu, je ne dirais pas techno-sceptique, mais je reconnais davantage maintenant que la technique apporte beaucoup de nouvelles possibilités mais aussi beaucoup de problèmes en terme d’organisation.


Entretien réalisé avec Aidan Mac Guill et Guillaume Ledit
Photo d’Amelia Andersdotter par Samuel Huron/Flickr (CC-by nc nd)
Édité et modifié avec son aimable autorisation par Ophelia Noor (nb) et couverture par Loguy pour Owni
Logo officiel du parti pirate suédois.

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Mardi gras, c’est ©arnaval ! http://owni.fr/2012/02/22/mardi-gras-cest-%c2%a9arnaval/ http://owni.fr/2012/02/22/mardi-gras-cest-%c2%a9arnaval/#comments Wed, 22 Feb 2012 15:48:21 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=99397

Fatigué des SOPA, PIPA, ACTA, Hadopi et autres calamités publiques, tu auras peut-être eu envie hier, cher lecteur, de te laisser emporter par la griserie du Carnaval pour fêter Mardi gras et aller te glisser dans les habits de tes rêves… Peut-être même es-tu  en ce moment à Rio, à la Nouvelle-Orléans, à Venise,  ou à Nice, en train de te trémousser dans une sarabande effrénée ?

Pauvre de toi ! Le Carnaval n’échappe en effet pas à la question du copyright et tu vas voir que le statut juridique du déguisement constitue même un sujet particulièrement intéressant. Il est d’ailleurs fort possible qu’en te déguisant, toi ou ta charmante progéniture, vous ayez sans le savoir enfreint les règles du droit d’auteur ou du droit des marques…

Alors, tombez vite les masques et voyons un peu de qu’il en est de ©arnaval !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Batman et Power Rangers

Tu auras peut-être eu le bon goût de te déguiser en Power Rangers. L’idée était plaisante, mais périlleuse, car un procès est précisément en cours aux États-Unis, dans lequel les titulaires des droits sur la franchise Power Rangers ont attaqué le site MyPartieShirt.com qui proposait ce type d’articles à la vente, pour violation du droit d’auteur et du droit des marques.

L’issue de ce procès promet d’être intéressante, en raison d’une particularité du droit américain, qui veut que les articles “utilitaires” (useful articles) ne peuvent théoriquement être protégés par le copyright. Fixée par la jurisprudence, cette règle s’est déjà appliquée par exemple à des lampes, des lavabos, des écrans d’ordinateurs, mais aussi aux vêtements, catégorie d’objets dans laquelle ont peut ranger les déguisements. Encore faut-il opérer des distinctions subtiles :

Le modèle qui a servi à fabriquer une jupe ou un manteau peut être copyrighté, car il possède une existence propre par rapport à la fonction utilitaire du vêtement. Cependant, on ne peut revendiquer un copyright sur la coupe d’un habit, ou sur la forme en elle-même d’une jupe ou d’un manteau, car ces articles sont utilitaires. Cela vaut également pour les déguisements de fantaisie ; aucune protection en peut être accordée sur un déguisement dans son ensemble.

Au final, l’application de cette règle aux déguisements n’est qu’une conséquence du fait que la mode en général n’est pas soumise au copyright, bien qu’il s’agisse d’un secteur hautement créatif et assez éloigné des considérations utilitaires.

A première vue, pas de risque donc à revêtir un costume de Power Rangers (si ce n’est le caractère vaguement ridicule de la chose…). Mais, vous vous en doutez, les choses ne sont pas aussi simples, car les juges ont ajouté au fil du temps des fioritures qui fragilisent la liberté de se grimer… et une décision récente concernant Batman pourrait bien changer la donne !

Dino Bat

Plusieurs décisions de justice américaines (ici ou ) ont en effet considéré qu’un costume ne devait pas être considéré comme un tout, mais que certains éléments décoratifs pouvaient être “détachés” de l’ensemble, dans la mesure où ils ne possédaient pas une dimension strictement utilitaires.

Cette théorie de la “détachabilité” vient d’être confirmée dans une décision impliquant non pas directement un costume, mais la… Batmobile ! En effet, DC Comics cherchait noise à un garagiste qui vendait des voitures ayant la forme du bolide du célèbre justicier nocturne. Le juge saisi de l’affaire a considéré que bien qu’étant un objet utilitaire, cette voiture comportait des éléments décoratifs caractéristiques qui pouvaient être protégés par le copyright. D’aucuns se sont appuyés sur ce précédent pour en déduire que le costume de Batman pourrait lui aussi être protégé en suivant ce même raisonnement. En effet, indépendamment de sa fonction utilitaire, il comporte des éléments comme le signe sur la poitrine, la forme des gants, celle de la cagoule ou encore la cape en forme d’aile de chauve-souris qui sont détachables du reste du vêtement et pourraient donc être protégés.

Pour savoir ce qu’il en est exactement, il faudra attendre le verdict dans le procès Power Rangers! Suspens …

George Lucas contre les déguisements

Heureusement,  en Angleterre, une décision récente est venue apporter un grand bol d’air aux amateurs de déguisements. Georges Lucas en effet a perdu un procès retentissant contre le créateur original des costumes de Stormtroopers, qui vendait sur son site des reproductions des célèbres armures blanches. Après un combat de plusieurs années en justice, la Cour Suprême britannique a fini par trancher en défaveur de Georges Lucas, en considérant que les costumes de Stormtroopers ne pouvaient être assimilés à des sculptures. Les juges ont en effet estimé, un peu à l’image de ce qui existe aux États-Unis, qu’en tant qu’accessoires de film, les tenues des soldats de l’Empire avaient essentiellement une fonction utilitaire qui primait sur leur dimension esthétique.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Qu’on se le tienne pour dit, on peut se régaler dans les rues d’Angleterre à défiler grimé en Stormtrooper puisque ces costumes y sont à présent dans le domaine public !

Cosplay libre de droit

Néanmoins, même en l’absence de protection par le droit d’auteur, le déguisement peut rester une pratique à risque, notamment lorsqu’on se livre au commerce de panoplies. Comme l’explique cette analyse, le droit des marques peut en effet s’appliquer à des personnages et un fabricant qui vendrait par exemple des costumes d’Indiana Jones pourrait le faire, à la condition de se garder d’employer le nom du personnage pour désigner son produit. La question n’est pas seulement théorique, puisqu’elle pose visiblement chaque année aux États-Unis des problèmes épineux lors de l’organisation de soirées payantes pour Halloween !

L’ingéniosité de certains est également sans borne pour s’en prendre aux déguisements, notamment ceux qui s’inspirent de l’apparence de personnes réelles. L’Université hébraïque de Jérusalem, qui gère des droits sur des fonds photo d’Albert Einstein a ainsi essayé d’empêcher une firme américaine de commercialiser un déguisement à l’image de l’illustre savant et cette dernière a même été obligée de lui faire un procès pour l’emporter. Une bataille en justice dantesque a également opposé pendant plus de 13 ans les descendants de Bela Lugosi à Universal Pictures, car la progéniture de l’acteur estimait qu’elle possédait un droit sur son image lui permettant d’empêcher la commercialisation de costumes de Dracula sans toucher de royalties !

Cosplay - AWA14 - Shyguy, Mario and Princess Peach.

Pour en revenir au Carnaval, sans doute faut-il également se méfier des photographies que l’on peut prendre à cette occasion. L’année dernière, les Indians, une des bandes qui défilent lors du Carnaval de la Nouvelle-Orléans en Louisiane en arborant des costumes de leur confection, avaient menacé de procès des photographes qui prenaient et revendaient des clichés sans leur autorisation. Il n’est cependant pas certain qu’ils puissent l’emporter devant les juges, en raison de la doctrine des “useful articles” évoquée plus haut.

Parmi les pratiques liées au déguisement, il en est une de très célèbre, qui pourtant ne semble pas soulever de problèmes en justice : c’est celle du cosplay, venue du Japon. Consistant à se déguiser en personnage de manga ou de jeux vidéo, cette pratique amateur pourrait tout à fait soulever des problèmes de contrefaçon ou de droit des marques, mais elle ne provoque visiblement que peu de remous en justice. On trouve bien quelques fabricants d’articles de cosplay qui attaquent un concurrent pour contrefaçon, mais je n’ai pas vu de titulaires de droits sur un manga ou un jeu vidéo qui s’en soit pris à des fans pratiquants le cosplay, certainement parce qu’ils considèrent ces pratiques comme un hommage.

Les choses pourraient peut-être hélas changer au Pays du soleil levant, car en fin d’année dernière, des voix se sont élevées pour avertir que la signature de l’accord  de partenariat trans-pacifique (TTP), sorte d’ACTA asiatique, pourrait avoir pour effet de menacer la pratique du cosplay en durcissant abusivement les sanctions pour contrefaçon.

Guy Fawkes

Toujours est-il, cher lecteur, que comme tu le voies, le copyright va toujours se nicher où l’on ne l’attend pas et que tu réfléchiras à deux fois à présent avant de te glisser dans la peau de ton superhéros préféré !

Néanmoins, si tu veux que les choses changent et que l’étau juridique se desserre un peu sur ta vie, je te conseille vivement d’oublier tout ce que tu viens de  lire dans cet article et de te déguiser à l’image de ce jeune homme pour aller manifester dans ta ville contre le traité ACTA samedi prochain. C’est l’une des dernières occasions pour arrêter ce Leviathan du Copyright avant son examen prochain par le Parlement européen.

Tu choisiras aussi peut-être de porter ce masque de Guy Fawkes, cher aux Anonymous.

Mais attention, en achetant cet article, sache que tu verseras ton obole à Time Warner, qui  en possède les droits via le film V comme Vendetta…

Pas si simple d’échapper à la malédiction du copyright !


Illustration par Marion Boucharlat pour Owni
Photos par Anirudh Koul. CC-By-SA ;   Mikemol. CC-BY ; Joachim S. Muller. CC-BY-NC-SA.

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Leçon de rhétorique sur le partage http://owni.fr/2012/02/07/clouer-le-bec-a-un-lobbyiste-anti-partage/ http://owni.fr/2012/02/07/clouer-le-bec-a-un-lobbyiste-anti-partage/#comments Tue, 07 Feb 2012 15:55:08 +0000 Philippe Aigrain http://owni.fr/?p=97028

Nul n’est à l’abri en ces temps pré-électoraux. Vous risquez de rencontrer chez des amis un responsable de l’Association des producteurs cinématographiques, des lobbyistes de grandes sociétés des médias, leurs conjoints ou leurs amis, un ancien ministre de la culture ou des artistes et auteurs sincèrement convaincus que l’internet du partage est un repaire de brigands et celui des vendeurs de contenus une bénédiction pour la culture.

Or ces personnes s’emploient en ce moment à plein temps à avertir nos concitoyens, et parmi eux particulièrement un candidat à l’élection présidentielle, des immenses dangers que la mise en place de nouveaux financements associés à la reconnaissance du partage non-marchand entre individus des œuvres numériques feraient courir aux fleurons français de la culture.

Voici donc quelques éléments qui vous permettront de relancer la conversation tout en restant polis, bien sûr.

1. Tu comprendras Licence globale

Vous remarquerez tout d’abord que vos interlocuteurs s’en prennent à une créature baptisée licence globale. Petit cours de rattrapage pour les plus jeunes : la licence globale est une proposition élaborée en 2004 et 2005 qui fut assassinée à coups de pelle en 2006, avant que nul n’ait eu le temps de concevoir et encore moins d’expliquer comment elle fonctionnerait. Quelques défenseurs de la légalisation du partage continuèrent à employer le terme par la suite (Jacques Attali par exemple, ou Juan Branco dans le cas du cinéma, qui en précisèrent le contenu).

Pour l’essentiel, cependant, l’expression devint le moyen de désigner ce dont on ne parlerait pas dans les divers comités présidés par des représentants d’intérêts particuliers mis en place par la médiocratie sarkozienne. Aujourd’hui, deux grandes classes de propositions sont discutées au niveau international : la contribution créative, à laquelle j’ai consacré deux livres, et différentes formes de “licences pour le partage”, dont en France la proposition de Création, Public, Internet ou les documents élaborés par des groupes de travail au sein du PS et d’EELV. Demandez donc à votre interlocuteur pourquoi il ne fait pas référence à ces propositions, qui sont celles qui sont effectivement discutées.

2. Tu compareras au livre

Votre interlocuteur s’inquiétera de la légitimité de reconnaître un droit des individus à partager entre eux des œuvres numériques sans but de profit. Les droits d’auteurs sacrés autant que transférés pour le bien des auteurs aux éditeurs et sociétés de gestion n’interdisent-ils pas que l’on fasse quoi que ce soit d’une œuvre sans que cela ait été autorisé par l’auteur l’industrie ?

Ils pourront même mettre sous vos yeux des chiffres effroyables : à cause du terrible piratage, un pourcentage élevé des accès aux œuvres concerne un contenu qui n’a pas été acheté. Ne perdez pas de temps à leur rappeler qu’il en fut ainsi depuis que le mot culture existe, vous tomberiez dans une controverse historique qui plombe vraiment un dîner.

Mais tout de même il pourra être utile de signaler que la proportion des lectures de livres qui se font – tout à fait légalement – sur un livre non acheté par le lecteur doit être à peu près du même ordre. Il est vrai que le livre n’a pas été encore embastillé chez nous derrière des verrous numériques. Cela vous permettra de leur demander très poliment si vraiment cette perspective est souhaitable. Évitez d’employer des expressions comme droits fondamentaux, culture partagée, citoyens, éducation populaire, cela peut heurter.

3. Tu positiveras la souffrance de l’industrie

La conversation va alors entrer dans le vif du sujet, à savoir que la contribution créative licence globale, c’est pire qu’Attila, non seulement rien ne repousse sur son passage, mais ça défriche même autour. Les trous noirs, à côté, c’est de la gnognotte. Et on additionne les revenus de toutes les industries culturelles pour vous calculer qu’il faudrait payer des dizaines d’euros par mois et par foyer pour compenser ce qui va s’effondrer du fait de l’autorisation du partage non-marchand. Vous pourriez remarquez que vos interlocuteurs, dans de précédents dîners, n’arrêtaient pas de se plaindre de ce qu’ils étaient déjà dévalisés par le terrible piratage, comptant chacun des fichiers circulant sur le Net comme une vente perdue. Est-ce que cela ne relativise pas l’impact de la légalisation du partage, surtout quand on remarque que pour le cinéma, les années de développement du partage ont été celles d’une croissance continue de ses revenus, notamment pour les entrées en salle ?

Arrêtez tout de suite, c’est très impoli de mettre comme cela vos interlocuteurs en contradiction avec eux-mêmes. Et puis il y a la musique qui s’effondre, enfin, pas vraiment les concerts vont très bien, mais la musique enregistrée souffre, enfin elle va beaucoup mieux grâce à l’HADOPI.

Hadopi en sursis

Hadopi en sursis

À la faveur de l'affaire Megaupload, l'opposition entre droits d'auteur et Internet s'est installée au nombre des sujets de ...

Bon d’accord c’est juste celle que les majors vendent sur iTunes et promeuvent sur Deezer et Spotify qui va mieux, mais on ne peut pas tout avoir, lutter contre le partage et favoriser la diversité culturelle. Vous pourriez bien sûr mentionner toutes les études, y compris celle de l’HADOPI (cf. image ci-dessus), qui montrent que les partageurs achètent plus, mais cela se saurait tout de même si quelque chose qui contredit à ce point les dogmes de l’économisme était vrai.

Non, il faut vous en sortir autrement. Le mieux serait de proposer à vos interlocuteurs un pari pas du tout pascalien : on pourrait laisser aux auteurs et artistes ayants droit le soin de choisir entre deux dispositifs, l’un où ils auraient le bénéfice de la contribution créative telle que je l’ai décrite et l’autre où ils auraient le bénéfice d’une compensation des pertes qu’ils auraient subis du fait du partage. Ces pertes seront évaluées par une commission composée des auteurs des 20 études indépendantes qui ont conclu que ces pertes dues au partage sont au grand maximum de l’ordre 20% de la baisse des ventes observée depuis le sommet des ventes en France en 2002. On notera que la période 1999-2002 marque l’apogée du pair à pair musical (Napster/Kazaa).

4. Tu expliqueras la (nouvelle) chronologie des médias

A ce moment votre interlocuteur va sortir l’arme suprême, la chronologie des médias, qui, annoncera-t-il, s’effondrera si on légalise le partage non-marchand alors qu’elle a permis au cinéma français de subsister face au cinéma américain. Manque de pot, ce point n’a pas tout à fait échappé aux concepteurs des propositions de légalisation associée à de nouveaux financements. Ils ont donc encadré précisément ce qu’était le partage non-marchand entre individus et quand il devenait possible de le pratiquer. Le tout de façon à garantir que la chronologie des médias, loin d’être anéantie, soit renforcée par une simplification à laquelle les usagers adhéreront parce qu’ils auront acquis des droits. Expliquez le patiemment à vos interlocuteurs pour le cinéma, il y aura 4 étapes : la projection en salles, la diffusion numérique (VOD, p.ex.) qui ouvrira le droit au partage non-marchand, la diffusion sur les chaînes cryptées puis celle sur les chaînes en clair. Et oui, cela reste intéressant de programmer des films pour une télévision alors qu’ils ont déjà circulés dans le partage non-marchand, pour autant que la chaîne, elle, reste intéressée par le cinéma ce qui est de moins en moins le cas.

5. Tu détailleras le financement des œuvres

C’est le moment de remarquer que votre interlocuteur fait depuis le début comme si les financements de la contribution créative et autre licences pour le partage licence globale ne consistaient qu’en une rémunération des auteurs, alors qu’ils incluent un volet financement de la production de nouvelles œuvres. Demandez-lui par exemple pourquoi il n’a pas informé ses chers cinéastes (et les documentaristes et les producteurs de nouveaux formats vidéos) du milliard d’euros qu’il leur a déjà fait perdre pour de nouveaux projets en refusant obstinément de participer à la mise en place de ces dispositifs.

6. Tu auras battu ses arguments

Et puis, au dessert, vous pourrez enfin parler de l’essentiel, de la création qui se développe sur internet et autour, de la façon dont elle multiplie le nombre des créateurs à tous les niveaux d’engagement, de compétence et de talent. Et qui sait, vous pourrez peut-être tomber d’accord sur l’utilité du partage et des nouveaux modèles de financement dans ce cadre … au moins pour tous les médias dont votre interlocuteur ne s’occupe pas.


Initialement publié sur le blog de Philippe Aigrain, Comm-u/o-ns.

Le titre, les intertitres et les illustrations ont été ajoutés par la rédaction.


Capture d’écran, rapport de la Hadopi
Illustration par The Holy Box/Flickr (CC-bync

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Libérez Justin Bieber http://owni.fr/2011/11/14/liberez-justin-bieber/ http://owni.fr/2011/11/14/liberez-justin-bieber/#comments Mon, 14 Nov 2011 18:06:35 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=86979 C’est une première. Justin Bieber sort un album de Noël se rebelle. La star de 17 ans s’est emportée récemment contre une proposition de loi, intégrée au Protect-IP Act.

Cinq ans de prison pour du streaming

Le projet de loi S.978 est d’une redoutable simplicité. Il propose de modifier la loi existante afin de faire du streaming un crime. Plus précisément, le fait de “streamer du contenu protégé” dans l’optique “d’en tirer un avantage commercial ou un gain financier personnel”, passerait du statut de délit à celui de crime, passible au maximum de cinq ans d’emprisonnement. En bons connaisseurs des usages en vogue, les législateurs américains ont prévu que tout contenu consulté plus de 10 fois sur une période de 180 jours tomberait sous le coup de la loi. Et c’est là que Justin Bieber entre en scène.

Le chanteur s’est en effet fait connaître en mettant en ligne des vidéos dans lesquels il interprète les tubes de ses idoles. Du contenu protégé, donc, et streamé plus de dix fois. Cette vidéo par exemple, d’un tout jeune Justin entouré de ses posters adolescents et interprétant With You, de Chris Brown, a été vu plus de 36 millions de fois.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les souffrances du jeune Bieber

Il est donc possible que le jeune Bieber se retrouve en prison. Plusieurs sites Internet se servent, en s’en moquant gentiment, de la figure de la jeune star pour donner de l’écho à leur combat contre la loi. Sur freebieber.org, on peut signer une pétition mais aussi envoyer ses vidéos ou ses montages photos.

En page d’accueil, on retrouve la fameuse intervention radiophonique, durant laquelle la célèbre frange de Justin laisse apparaître une mèche rebelle [en anglais].

Justin Bieber speaks out against S. 978 by Fightforthefuture

Quelle que soit la personne à l’origine de cette loi, il faut qu’elle soit enfermée.

C’est malheureusement ce que risquent toutes celles et ceux qui reprennent les morceaux de leur star préférée avant de les mettre en ligne. Et tout un pan de la culture du net qui risque de s’effondrer si cette loi est votée.


Retrouvez les articles du dossier :

Une tyrannie du droit d’auteur nommée Acta

L’empire Hollywood attaque Internet

Illustrations : captures d’écran

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L’empire Hollywood attaque Internet http://owni.fr/2011/11/14/etats-unis-preparent-fin-internet-pipa-sopa-protect-ip-act/ http://owni.fr/2011/11/14/etats-unis-preparent-fin-internet-pipa-sopa-protect-ip-act/#comments Mon, 14 Nov 2011 15:46:29 +0000 Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=86534

Sauf mention contraire, les liens de cet article sont en anglais.


Les lobbyistes d’Hollywood font pression pour faire adopter devant le Congrès américain une importante réforme législative, qui prévoit le filtrage et le blocage systématiques des sites soupçonnés d’encourager le piratage d’œuvres protégées. Ce mercredi 16 novembre, les élus à la Chambre des représentants étudieront en commission le projet de loi Stop Online Piracy Act (SOPA).

[Cette loi] signifierait la fin d’Internet tel que nous le connaissons.

La démocrate Zoe Lofgren, représentante élue de la Silicon Valley, emboite le pas “d’éminents activistes et des ingénieurs réseaux qui ont émis des réserves et méritent largement d’être pris en considération”. D’autant qu’au Sénat c’est autour du Protect IP Act que se sont engagés les débats. Deux projets législatifs distincts mais qui ont pour objectif de renforcer (encore) les mesures de protection du copyright.

“Peine de mort” pour les sites Internet

Faire disparaître les sites Internet qui font prétendument entorse au droit d’auteur est une idée qui a fait du chemin. En 2010 déjà, le projet de loi Combating Online Infringement and Counterfeits Act (COICA), prévoyait la possibilité pour les services gérant les noms de domaine de suspendre l’accès aux sites enfreignant les droits d’auteur. N’ayant pas été adopté, il refait surface sous le nom plus évident de Protect-IP Act.

Actuellement en discussion au Sénat, le projet de loi prévoit la mise en place d’une procédure visant à la disparition pure et simple du site visé. Une fois une décision de justice rendue à l’encontre un site qui “facilite” le téléchargement illégal, la loi prévoit l’intervention de toute une série d’acteurs et met en place une véritable machinerie. Les services gérant les noms de domaine (registrar) ou les fournisseurs d’accès se verraient dans l’obligation de bloquer l’accès au site. Il serait dès lors toujours accessible via son adresse IP, mais plus par une adresse du type http://xxxxx.com.

Les moteurs de recherche, quant à eux, se verraient dans l’obligation de ne plus référencer le site en question, tandis que les intermédiaires financiers de type PayPal ou les régies publicitaires seraient contraintes de mettre un terme à leurs transactions avec le site incriminé.

Il s’agit donc de renforcer l’arsenal juridique pour protéger la propriété intellectuelle, à tout prix. Pour certains professeurs de droit, dont Mark Lemley, enseignant à Stanford, le projet de loi instaure une “peine de mort” pour les sites Internet. Dans une lettre, ils en soulignent l’aspect inconstitutionnel. En effet, empêcher l’accès à un nom de domaine sans laisser la possibilité à la personne incriminée de se défendre pose quelques problèmes concernant le droit à un procès équitable. De plus, sous un même nom de domaine peuvent se côtoyer contenus légaux et illégaux, ce qui met en péril le sacro-saint premier amendement de la Constitution des États-Unis, qui consacre le droit à la liberté d’expression. Et les juristes de conclure:

Une telle loi compromettrait notre capacité à défendre le principe d’un Internet unique et mondial. En l’état, elle représente la plus grande menace pour Internet de toute son histoire.

L’intervention conjointe de différents acteurs pour bloquer l’accès à WikiLeaks, en décembre 2010, peut être analysée comme un exemple de ce que prévoit le Protect-IP Act. Dans un article récent, Yochai Benkler, professeur de droit à Harvard, s’alarmait du fait que le législateur souhaite s’attaquer à l’ensemble des contenus d’un site, et non pas seulement aux contenus jugés illicites. Ce qu’il appelle “les partenariats public-privé” conduisant à la censure d’Internet représentent selon lui une menace pour la liberté d’expression.

Guerre des lobbys

Stopper le piratage, tel est également l’objectif du projet de loi SOPA. Version à peine édulcoré du Protect-IP Act, il a été introduit à la Chambre des représentants fin octobre, où il bénéficie d’un soutien transpartisan du fait de la proximité qu’entretiennent les représentants démocrates et les lobbyistes d’Hollywood. Ces derniers ne seraient pas étrangers au délicat nouveau petit nom donné à SOPA, l’E-PARASITE Act.

On retrouve à la manœuvre les organisations qui depuis quelques années œuvrent pour renforcer la protections des droits de propriété intellectuelle sur Internet et ce faisant, protéger leur business model: la National Music Publishers’ Association, la Motion Picture Association of America, l’American Federation of Musicians, la Directors Guild of America ou encore la Chambre de commerce des États-Unis.

Les opposants au projet constituent quant à eux un regroupement hétéroclite. De la définition très large des sites éventuellement concernés à la menace qui pèse sur l’architecture du réseau (via les DNS) en passant par les craintes concernant la liberté d’expression, les raisons ne manquent pas de se mobiliser. L’Electronic Frounier Foundation (EFF), une ONG militant pour la liberté d’expression sur Internet est aux avant-postes de la critique et qualifie la nouvelle loi de “désastreuse”. D’autres associations, comme la Consumer Electronics Association ou la NetCoalition, ont quant à elle envoyé une lettre aux représentants, les mettant en garde contre les effets négatifs de la loi sur la croissance et l’économie.

Les grandes entreprises d’Internet, jusqu’alors rétives à s’engager dans le processus législatif, ont également pris la parole. Google a menacé de quitter la Chambre de commerce des États-Unis, et plusieurs entrepreneurs de la Silicon Valley se sont rendus à Washington afin d’exprimer leur mécontentement. L’on assiste donc pour la première fois à un combat des entrepreneurs du web sur le terrain législatif, résumé par certains médias américains en “Silicon Valley vs. Hollywood”.

Difficile de dire si les geeks l’emporteront sur les industriels de la culture.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Illustrations de Christopher Dombres [cc-by] via Flickr

Retrouvez les articles du dossier :

Une tyrannie du droit d’auteur nommée Acta

Libérez Justin Bieber

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