OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Deux millions de contrôles au faciès http://owni.fr/2012/06/01/deux-millions-de-controles-de-facies/ http://owni.fr/2012/06/01/deux-millions-de-controles-de-facies/#comments Fri, 01 Jun 2012 14:51:51 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=111881 suspects".]]>

Le cadeau empoisonné des fichiers policiers

Le cadeau empoisonné des fichiers policiers

Truffé d'erreurs, le plus gros des fichiers policiers va être fusionné avec le plus gros des fichiers de la gendarmerie au ...

Le 6 mai 2012, Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur de l’ancien gouvernement, faisait publier au Journal Officiel un décret portant création du fichier de Traitement des antécédents judiciaires (TAJ), consistant en une fusion des deux plus gros fichiers de police et de gendarmerie, le Système de traitement des infractions constatées (STIC), et le Système judiciaire de documentation et d’exploitation de la gendarmerie nationale (JUDEX).

Une mesure qui faisait tiquer la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) et quantité d’observateurs en raison des nombreuses erreurs qui pervertissent déjà ces fichiers, comme nous l’avions raconté (voir ci-contre).

Mais la création du TAJ comporte un autre cadeau empoisonné. Il pourra en effet intégrer des photographies de suspects, contenues dans un fichier jusque-là clandestin, appelé Gaspard. Avec pour objectif de faciliter l’identification des personnes par des systèmes de reconnaissance biométrique faciale, comme l’annonce le décret :

- photographie comportant des caractéristiques techniques permettant de recourir à un dispositif de reconnaissance faciale (photographie du visage de face) ;
- autres photographies ;

Dans sa délibération sur la fusion des fichiers STIC et JUDEX, la Cnil s’étonne ainsi de découvrir l’existence de ce nouveau fichier policier, jamais déclaré auprès de ses services. Gaspard, pour “gestion automatisée des signalements et des photographies anthropométriques répertoriés et distribuables“, est censé permettre notamment d’identifier des individus filmés par des caméras de vidéosurveillance au moyen de systèmes de reconnaissance biométrique faciale. Or, déplore la Cnil, il “n’a pas fait l’objet des formalités prévues par la loi du 6 janvier 1978 modifiée“, et est donc utilisé en toute illégalité.

La Cnil relève également que Gaspard comportera non seulement les photographies des personnes placées en garde à vue, mais également des “documents photographiques préexistants saisis durant l’enquête“, et qu’il permettra notamment “la comparaison biométrique de l’image du visage des personnes” avec les “images du visage de personnes impliquées dans la commission d’infractions captées via des dispositifs de vidéoprotection“ :

Cette fonctionnalité d’identification, voire de localisation, des personnes à partir de l’analyse biométrique de la morphologie de leur visage, présente des risques importants pour les libertés individuelles, notamment dans le contexte actuel de multiplication du nombre des systèmes de vidéoprotection.

La Cnil écrivait la semaine passée qu’elle “sera tout particulièrement attentive” à ces nouvelles fonctionnalités d’identification des personnes par reconnaissance biométrique faciale, au sujet desquelles elle confirme ses “réserves“.

Non-droit

La création de Gaspard avait été envisagée l’an passé, par Frédéric Péchenard, alors directeur général de la police nationale, qui avait déclaré à la commission des Finances de l’Assemblée nationale, le 22 juin 2011, qu’”on se dirige vers la création d’un troisième fichier de reconnaissance faciale, qui pourrait servir à l’exploitation des données de vidéo surveillance“.

L’agenda de l’Intérieur

L’agenda de l’Intérieur

A 6 mois de la présidentielle, plus de 80 hauts gradés de la police et de la gendarmerie, emmenés par deux des principales ...

Alain Bauer et Michel Gaudin, deux des têtes pensantes du ministère de l’Intérieur du temps de Nicolas Sarkozy, avaient de leur côté précisé, dans leur Livre blanc sur la sécurité publique, remis en octobre 2011 à Claude Guéant, que ce “troisième grand fichier de police” regrouperait plus de 2 millions de clichés et portraits-robots issus du fichier STIC-Canonge de la police nationale et du Fichier automatisés des empreintes digitales (FAED).

L’objectif était double : mettre en place un logiciel de reconnaissance biométrique faciale pour identifier les suspects filmés par des caméras de vidéosurveillance, mais également sortir le ministère de l’Intérieur de l’état de non-droit qui caractérise le STIC-Canonge, et afin de remplacer ce dernier, dans la mesure où l’inspecteur Canonge qui l’avait créé dans les années 50 l’avait conçu pour effectuer des recherches en fonction de profils ethniques (noir, blanc, jaune et arabe), une situation qui perdure aujourd’hui, en pire :

Informatisé en 1992, Canonge s’est perfectionné en retenant douze catégories « ethno-raciales », toujours en vigueur : « blanc (Caucasien), Méditerranéen, Gitan, Moyen-Oriental, Nord Africain, Asiatique Eurasien, Amérindien, Indien (Inde), Métis-Mulâtre, Noir, Polynésien, Mélanésien-Canaque ».

Gaspard existe semble-t-il depuis des années, comme l’atteste ce lexique judiciaire daté de novembre 2008, ainsi que ce reportage de David Dufresne sur les “experts” de la police technique et scientifique réalisé pour Mediapart, en février 2009, et repéré par un lecteur du blog de Maître Eolas.


La police technique et scientifique pour tous par Mediapart

On y voit quelques-unes des fonctionnalités et des catégories du fichier : état civil, surnom et alias, signalement (blanc, méditerranéen, gitan, maghrébin, etc.), forme du visage, accent (régional, étranger, pied noir, “ne s’exprime pas en français” -sic), pilosité, couleurs d’yeux et de cheveux, etc :

Les députés Delphine Batho (PS) et Jacques-Alain Bénisti (UMP), dans leur second rapport parlementaire sur les fichiers policiers, soulignaient par ailleurs que “la reconnaissance automatisée par l’image, si elle est relativement développée au plan technique, connaît un taux d’erreur bien plus élevé que les fichiers d’identification actuels, qui ne laissent que très rarement place au doute“. Ce pour quoi les deux députés, constatant que “les garanties offertes semblent largement insuffisantes au regard des exigences de la Cnil“, réclamaient la mise en place de garde-fous :

En premier lieu, la base de données ne pourra être composée que de l’image de personnes judiciairement mises en cause.

En second lieu, il convient de laisser ouverte la possibilité, pour les personnes à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis des infractions définies, de comparer leurs photographies sans les conserver.

De même, l’effacement des données doit être possible pour les personnes contre lesquelles il existe des indices graves ou concordants indiquant qu’elles ont commis les infractions définies.

Si Gaspard n’a toujours pas été légalisé, il est d’ores et déjà présenté comme un des outils indispensables au bon fonctionnement de la police technique et scientifique. En janvier 2011, les élus de CM2 du Conseil communal des jeunes de Puteaux, assistaient ainsi (.pdf) à “une démonstration du fonctionnement et de la méthode d’utilisation des menottes (et) des armes de service utilisées au quotidien par les policiers, notamment le tonfa, le bâton télescopique, le flash-ball, le pistolet semi-automatique Sig-Sauer et le pistolet mitrailleur” :

Enfin, les élus se sont pris pour des experts scientifiques lors de la démonstration de la prise d’empreintes et de la comparai- son de celles-ci dans le fichier Gaspard (Gestion Automatisée des Signalements et des Photos Anthropométriques Répertoriées et Distribuables).

En août 2011, le Figaro révélait que “trois sociétés notamment ont proposé des solutions au ministère de l’Intérieur” :

Morpho, spécialiste des traitements d’images de masse ; Cognitec, passée maître dans les outils visant à détecter les fraudes documentaires ; et la petite entreprise Facing it, dont les logiciels se font fort de reconnaître un intrus «blacklisté» qui se présenterait à un accès ou dans un couloir. La Place Beauvau n’a pas encore arrêté ses choix. Et elle devra se plier aux recommandations de la Cnil, qu’elle vient de saisir du dossier.

En septembre, une “circulaire relative au cadre juridique applicable à l’installation de caméras de vidéoprotectionretirait le peu de pouvoir qu’elle possédait en matière de vidéosurveillance. Elle précise en effet que ces autorisations ne doivent être soumis à la Cnil “préalablement à leur installation, que si les traitements automatisés ou les fichiers dans lesquels les images sont utilisées sont organisés de manière à permettre, par eux-mêmes, l’identification des personnes physiques, du fait des fonctionnalités qu’ils comportent (reconnaissance faciale notamment)” :

Le seul fait que les images issues de la vidéoprotection puissent être rapprochées, de manière non automatisée, des données à caractère personnel contenues dans un fichier ou dans un traitement automatisé tiers (par exemple, la comparaison d’images enregistrées et de la photographie d’une personne figurant dans un fichier nominatif tiers) ne justifie pas que la Cnil soit saisie préalablement à l’installation du dispositif de vidéoprotection lui-même.

Anomalies

Lors des débats sur la création du fichier des “honnêtes“, Claude Guéant avait expliqué que si la reconnaissance biométrique faciale n’est pas encore vraiment au point, il espérait que d’ici quelques années on pourrait s’en servir pour repérer a posteriori, voire en temps réel, à la volée, des criminels et délinquants.

Dans leur Livre blanc sur la sécurité publique, Michel Gaudin et Alain Bauer avaient de leur côté proposé d’utiliser les “fonctionnalités de la vidéoprotection en temps réel” pour détecter les situations de tension ou anormales, d’exploiter les “outils d’analyse automatique des anomalies” (sic) proposés par les logiciels de “vidéosurveillance intelligente““, ou encore de pouvoir identifier une personne “à partir de sa signature vocale“, entre autres technologies dignes des films d’espionnage

Les possibilités offertes par la voie aérienne sont également sous-exploitées : accès ponctuel aux données de la surveillance spatiale de haute résolution, recours à l’avion pour des missions de surveillance ou de filature (…) ou à des mini-drônes pour des distances et des périodes courtes.

La Loppsi kiffe grave les nouvelles technologies

La Loppsi kiffe grave les nouvelles technologies

Décriée pour son approche anxiogène de l'internet, la LOPPSI 2 fait pourtant grand cas des nouvelles technologies... de ...

Dans leur rapport sur les fichiers policiers, Delphine Batho et Jacques-Alain Bénisti soulignaient ainsi que Bauer et Gaudin proposaient également de développer des”bornes multimodales permettant la prise d’empreintes et la consultation simultanée des fichiers d’identification digitale, génétique et faciale“, mais également d’”approfondir la recherche en matière de reconnaissance de tatouages, de personnes en mouvement, de signatures vocales ou encore de traces olfactives

Qualifié de “saut technologique” le recours accru aux technologies de surveillance, de contrôle et de sécurité avait ainsi été considéré comme l’”une des principales priorités” du ministère de l’Intérieur dans la LOPPSI II, et doté, à ce titre, d’un budget de plus de 630 millions d’euros. Une véritable manne financière pour les marchands d’armes et de technologies de lutte contre le sentiment d’insécurité, dont l’intense lobbying avait failli entraîner la création d’un fichier des “gens honnêtes“. Comme si le fait de ficher, en toute illégalité, les gens suspectés d’être “malhonnêtes” ne suffisait pas déjà assez.

Ex vice-présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale chargée de la sécurité, co-signataire de deux rapports parlementaires, et d’une proposition de loi, consacrés aux problèmes posés par les fichiers policiers, Delphine Batho a été nommée ministre déléguée à la Justice.

On ne sait toujours pas précisément quelles seront ses attributions. Mais vu sa maîtrise du dossier, il serait logique qu’elle soit saisie de ces deux cadeaux empoisonnés publiés au Journal officiel par Claude Guéant le dimanche matin du second tour de la présidentielle. Une des toutes dernières actions de son quinquennat.



Photo principale et couverture par Martin Howard via Flickr [CC-by] adaptée par Ophelia Noor pour Owni

]]>
http://owni.fr/2012/06/01/deux-millions-de-controles-de-facies/feed/ 0
Pour une “virginité” numérique des enfants http://owni.fr/2010/10/20/pour-une-virginite-numerique-des-enfants/ http://owni.fr/2010/10/20/pour-une-virginite-numerique-des-enfants/#comments Wed, 20 Oct 2010 15:26:38 +0000 Cedric Motte http://owni.fr/?p=32242 Mes enfants sont (très) beaux, en bonne santé, et leurs yeux pétillent d’intelligence. Parfois, quand je vois les photos des autres copains sur Facebook ou ailleurs en ligne, vient l’envie de les “montrer” – afin d’attirer des commentaires qui sont autant de compliments, ne nous leurrons pas sur nos motivations de parents exhibitionnistes.

Pourtant je m’y refuse.

Pire, à chaque fois que des personnes passent à la maison et prennent des photos des enfants, je casse l’ambiance en leur précisant, sans négociation possible : “Ne mettez pas les photos sur le Net, et évidemment pas sur Facebook”.

Et à chaque fois, l’étonnement se mêle à l’incompréhension. “Ah bon ? Mais pourquoi ?” ; “Mais tu sais qu’on peut gérer les paramètres de confidentialité ?” ; “T’as peur de quoi ?”

Jusqu’ici, je n’ai jamais apporté de réponse claire et définitive : je refuse sans explication.

Les raisons énoncées ci-dessous tentent d’expliquer pourquoi. Certaines vont paraître recevables, d’autres complètement barrées. À vous de me dire si ce refus tient la route ou s’il s’agit d’une position anachronique…

Capture d'écran de la recherche "garçon enzo" sur Google Images

Vos amis sur Facebook ne sont pas les miens…

Une raison que j’estime suffisante. Autant vous avez toute ma confiance, autant je n’en ai aucune vis-à-vis de vos contacts.
“Les amis de mes amis sont mes amis” vaut pour plein de trucs (partager une bière, jouer à la pétanque, travailler, etc.) ; certainement pas pour ce qui est de la vie privée. Et tant que les enfants sont petits, je gère leur vie. Quand ils prendront leur indépendance sociale, ils feront ce qu’ils décident, après de (potentiellement vaines) tentatives d’éducation aux “social media” pendant les repas dominicaux.

… “oui mais toi, tu les contrôles tes amis non ?”

Tout à fait. Avec les règles de confidentialité de Facebook, cela ne devrait pas me poser de problème de poster des photos de mes enfants sur mon compte. Sauf que les règles valables aujourd’hui peuvent changer à tout moment. Pour vous la faire courte, je n’ai aucune confiance dans ce que fait Facebook.

“Et pourtant, tu décides pour eux de leur entrée (ou non) en religion…”

“Être baptisé à un an et faire sa communion à neuf ans parce que les parents le décident, c’est autrement plus impliquant que d’avoir des photos sur Facebook non ?”

C’est évidemment bien plus impliquant, mais cela reste dans la sphère privée. Précisément, dans la sphère intime. La religion est une construction de soi (ou une dé-construction, selon certains points de vue…). Elle n’engage que l’enfant et sa famille sur ce que cela signifie pour lui et pour elle. Les discussions ont lieu entre nous, sans aucune publicité.

Plus tard l’enfant, une fois en pleine conscience de ce qu’est la religion, décidera ou non d’afficher son appartenance à celle choisie par ses parents. Mieux, il peut décider d’en changer ou devenir athée. Il est “libre de se libérer” s’il le désire.
À l’inverse, la publication de photos en ligne accessibles “par n’importe qui” le fait entrer dans des sphères semi-publiques. Pire, ce qui se dit aujourd’hui sur lui – dans les commentaires par exemple – est rattaché au profil de la personne qui commente. Via les commentaires laissés par mes amis et qui apparaissent dans mon flux d’activités, j’ai accès à un paquet de photos de gens que je ne connais pas.

Et vous, comment avez-vous configuré la confidentialité de vos photos ?

Mon profil est entièrement public. Décision professionnelle, pour faciliter ma présence en ligne.
Du côté des amis moins impliqués dans le milieu d’Internet – voir totalement éloignés – les règles de confidentialité sont extrêmement disparates, mais bon nombre sont publics – ce qui est l’option par défaut. Vais-je devoir vous demander de changer vos paramètres pour une photo d’un enfant ?

“Et les photos dans le journal local, quand y a le cross des écoles ou le Père Noël ?”

Le journal local est… local. Certes, il est disponible en pdf sur le Net, mais dans le journal il n’est jamais indiqué les prénoms/noms des enfants. Et sur les photos, (sauf victoire au cross…), votre enfant est perdu au milieu d’autres enfants.

“Pourquoi pas un pseudo ?”

Une option serait de ne pas les nommer avec leur vraie identité. D’ailleurs, ils ont déjà un surnom dans la famille, surnom tout à fait adapté pour un pseudo. “Ben alors ?”

Connaissez-vous iPhoto ? Savez-vous quelle nouvelle fonctionnalité teste “Face”book en ce moment ? Avez-vous joué avec la dernière version de Picasa ? Partout, tout le temps : la reconnaissance faciale.
Tout ceci m’amène à l’argument le plus important à mes yeux : les enfants ont le droit à une “virginité numérique”. Pour cette génération, les traces laissées en ligne depuis leur enfance vont les suivre une bonne partie de leur vie.
Or ces traces sont autant d’informations pour leurs futures rencontres en tant qu’adolescent et adulte. Auront-ils envie, adolescent, que de gentils camarades se moquent d’eux parce qu’ils ont trouvé des photos d’eux bébé ? En train de souffler un gâteau ? En train de jouer de la guitare difficilement ?

La question que je me pose, tout de même, c’est la possibilité inverse : noyer le tout dans une sur-abondance d’informations. On n’est jamais aussi bien caché que dans la foule. Si je publie un nombre colossal de photos, de vidéos, d’instants avec eux, il y aura une telle “littérature” qu’on sera perdu.

Mais pour le moment, je reste attaché à leur droit de décider de leur présence en ligne. Et vous ?

Billet initialement publié sur Chouingmedia sous le titre Quelle présence en ligne/identité numérique pour les enfants ?

Images CC Flickr _FuRFuR_

À lire aussi Le Monde confond photos et photos d’identité d’André Gunthert et Mes amis sur Facebook n’ont pas (encore) toutes leurs dents, par Marie-André Weiss

]]>
http://owni.fr/2010/10/20/pour-une-virginite-numerique-des-enfants/feed/ 0
La cagoule et les lunettes noires privées de voie publique cet hiver ? http://owni.fr/2010/09/06/la-cagoule-et-les-lunettes-noires-privee-de-voie-publique-cet-hiver/ http://owni.fr/2010/09/06/la-cagoule-et-les-lunettes-noires-privee-de-voie-publique-cet-hiver/#comments Mon, 06 Sep 2010 07:31:22 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=26761

Terroriste tyrolienne.

C’est peut-être l’été, mais moi, j’ai la flemme. Alors quand j’apprends que Facebook se
décarcasse pour que je ne perde plus de temps à taguer les photos de mes copains, moi je dis merci Facebook !

Et comment procède Facebook ? Eh bien, grâce à la reconnaissance faciale, la reconnaissance des visages quoi ! Je lis sur leur blog que je pourrais bientôt « ajouter des tags juste par quelques clics directement depuis ma page, et depuis d’autres sections du site, en utilisant la même technologie de reconnaissance des visages que les appareils photo ont utilisé depuis des années ». C’est vrai, certains modèles d’appareil photo numérique ont des systèmes de reconnaissance faciale, et focalisent automatiquement sur les visages. Pratique !

Moi, j’aime pas trop que mes copains me taguent, c’est vrai quoi, c’est toujours mon mauvais profil, ou bien je suis toute décoiffée. Alors j’ai dit à Facebook, moi, on ne me tague pas comme ça. Mes paramètres de confidentialité, comme ils disent, sont très stricts !

Vaux mieux, vu que chez Orange UK, ils ont eu l’idée de tenter de devenir champion du monde de la photo la plus taguée sur Facebook. Ils ont mis en ligne une photo de la foule assistant au match de foot Angleterre contre Slovénie du 23 juin dernier, ou plutôt, une photo composée de plusieurs photos, comme ça tous les spectateurs sont photographiés. Tu vois des potes sur la photo d’Orange ? Tu les tagues sur Facebook ! Ils appellent ça le GlastoTag.

Mais bon, on ne peut jamais se marrer sans que les avocats s’en mêlent. Ceux qui bossent pour Orange UK leur ont dit : dites bien aux personnes présentes lors du match qu’elles peuvent se couvrir la tête au moment de la photo ! Si tu n’avais pas compris les explications en anglais, et que tu apparais quand même sur la photo, tu vas sur le site de GlastoTag et tu leur demandes de t’ôter de la photo de groupe, ou de rendre ton visage flou. Mais attention ! Il faudra d’abord prouver ton identité à Glastotag et montrer ton permis de conduire ou ton passeport, comme à la police.

Identifier grâce au téléphone portable

Remarque, bientôt ça sera même plus la peine de prouver ton identité, parce qu’on pourra rechercher automatiquement ton visage sur Google. Grâce aux « lunettes » (« Goggles ») de l’app Google, ton téléphone, déjà si intelligent, pourra se transformer en moteur de recherche. Tu prends ma photo, et
Goggles me cherche (et me trouve !) sur Internet, mon blog, etc. Bon d’accord j’exagère un peu, ça marche pas encore trop bien pour les visages, mais c’est possible, et ça viendra. Les téléphones sous Android ont aussi leur app équivalente, Recognizr :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et comment je ferai moi quand on me reconnaîtra automatiquement sur Google ? Je
sais, c’est étonnant, mais j’aime bien demeurer anonyme des fois. J’aurai encore droit aux lunettes noires et au chapeau à larges bords ? Pour le moment du moins, on a échappé en France à la loi interdisant « l’ensemble des vêtements ou accessoires permettant de masquer l’identité d’une personne », ouf !

Bientôt interdit de dissimuler son visage en public ?

Mais ils n’ont pas l’air d’aimer ça en France, qu’on se couvre le visage en public. Tu n’auras peut-être bientôt plus le droit de dissimuler ton visage en public. C’est d’ailleurs déjà interdit depuis l’an dernier lors d’une « manifestation sur la voie publique », du moins « dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public », mais ce sera peut-être bientôt interdit dans tout l’espace public. Le député Jean-Paul Garraud a écrit dans son rapport devant l’Assemblée nationale sur le projet de loi présenté par le garde des Sceaux que dissimuler son visage « c’est (…) s’exclure du pacte social qui rend possible la vie en commun », rien que ça ! L’Assemblée nationale a adopté en juillet le projet de loi « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public ». Selon son article premier « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage». Le Sénat examinera le texte à la rentrée.

Si la loi est promulguée, qu’est-ce qu’il se passera ? Tu pourras encore porter des lunettes noires et un foulard et faire ta Lady Gaga ? Tu seras tranquillou en terrasse à boire ta bière, un gros lourd te prendra en photo, et Google, enfin Goggles, lui dira tout sur toi. Qu’est-ce que tu feras si tu n’as même plus le droit de te couvrir le visage ? On a quand même droit à la vie privée en France non ? Oui, et on a même un droit sur notre l’image ! On n’a pas le droit de prendre ta photo sans ton consentement, si ça porte atteinte à ta vie privée, c’est même un délit ! D’accord, droit à l’image et tout, mais on ne va quand même pas poursuivre en justice tous les gros cons qui nous prennent en photo !

Un masque ok mais pendant le carnaval

Alors je fais quoi, pour mes lunettes noires, mon chapeau et mon foulard ? Pour le moment, le
Code pénal dit que « la dissimulation du visage [peut être] justifiée par un motif légitime » lors de manifestions. Ne pas vouloir être sur une photo, manifestations ou pas, c’est un motif
légitime ! Si la nouvelle loi est votée, on ne pourra dissimuler son visage que dans des cas bien précis. Selon son article premier, ça ne sera légal que si la « tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ». C’est sympa, tu pourras quand même encore porter des cagoules en hiver, si tu as un rhume, ou un masque de carnaval, mais seulement si ta ville le fête traditionnellement ! Ben oui, sinon ça servirait à quoi toutes les caméras de surveillance ?

Moi, je vais demander à mon médecin si c’est possible de me déclarer allergique au soleil et fragile des bronches, comme ça, mes lunettes noires, mon chapeau et ma cagoule, ça sera pour raison de santé que je les porterai, pas pour attenter à l’ordre public français.

Image CC Flickr poppalina

À lire aussi : Christian Vanneste veut interdire les travestis

]]>
http://owni.fr/2010/09/06/la-cagoule-et-les-lunettes-noires-privee-de-voie-publique-cet-hiver/feed/ 3
Le ministère de l’Intérieur s’intéresse au maquillage virtuel http://owni.fr/2010/05/07/ministere-de-linterieur-videosurveillance-biometrie/ http://owni.fr/2010/05/07/ministere-de-linterieur-videosurveillance-biometrie/#comments Fri, 07 May 2010 09:24:55 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=14743 Pour fêter les dix ans des Big Brother Awards, la soucoupe a proposé à Jean-Marc Manach (Bug Brother sur LeMonde.fr, et manhack sur Twitter), l’un de ses organisateurs, de revenir un peu plus en détail sur certains des candidats nominés cette année. Où l’on découvre que le ministère de l’Intérieur cherche à développer un système de reconnaissance faciale intelligent, couplé aux caméras de vidéosurveillance des stades de football, grâce à un logiciel de “maquillage virtuel“…

Vesalis MakeUpOnlineDepuis plus de dix ans, Vesalis, une start-up de Clermont-Ferrand, tente de mettre au point un logiciel de “maquillage virtuel“, MakeupOnline, afin de permettre aux femmes, en temps réel, de juger, dans un magasin, sur leur PC ou depuis leur téléphone mobile, si tel ou tel maquillage leur irait bien.

A l’incitation du ministère de l’Intérieur, Vesalis tente depuis trois ans maintenant d’adapter son logiciel biométrique de reconnaissance faciale afin de pouvoir identifier, en temps réel, et au beau milieu de la foule, hooligans, terroristes, criminels et autres délinquants. Nom de code de ce projet : “Bio Rafale” (lol).

Sur son site web, Vesalis se targue d’avoir d’ores et déjà effectué plus de 2,4 millions de simulations de maquillage virtuel. Son logiciel combine biométrie, via un “moteur de détection et d’analyse du visage idéal“, et réalité augmentée, afin de rajouter aux visages modélisés une couche de maquillage personnalisé visant à proposer à ces dames une “ordonnance de beauté” :

L’interface interactive qui conduit à l’édition d’une ordonnance de beauté prescriptrice de produits, permet de combiner le maquillage, la coloration capillaire sur la coiffure naturelle, la coloration de l’iris de l’œil, le blanchiment des dents, les accessoires. L’interface est suffisamment flexible pour intégrer une multitude d’activités complémentaires et de fonctions scénarisables.

Carla Bruni remaquilléePour Jean-Marc Robin, PDG de Vesalis, la clé de cette technologie, c’est qu’elle peut “éblouir une cliente à la vitesse d’une étincelle“. Et c’est semble-t-il ce qui a particulièrement plu au ministère de l’Intérieur.

En 2007, rapporte 01Net, le comité Richelieu, qui rassemble des PME innovantes, lui propose de se rapprocher du ministère de l’Intérieur, pour mettre au point un système de surveillance par reconnaissance faciale.

Sur la page du comité Richelieu consacrée à Vesalis, il est question d’”une application réaliste en prévention type biométrie faciale” permettant “par exemple (la) prise de vue à partir d’un téléphone portable 3G, (la) transmission sécurisée, analyse et comparaison temps réel à partir d’une base de données“.

Carla Bruni remaquilléeEn attendant de voir un jour des téléphones mobiles à même d’identifier, en temps réel, n’importe quel quidam pris en photo dans la rue, ce qui semble avoir intéressé le ministère de l’Intérieur, souligne La Montagne dans un article intitulé L’oeil clermontois de « Big Brother », c’est la possibilité de “pouvoir reconnaître un individu précis à partir d’un simple réseau de caméras de vidéosurveillance” :

À ce jour, une vingtaine d’industriels (dix-neuf Américains et un Allemand). Une préoccupation pour laquelle les États-Unis mettent des millions de dollars depuis le 11 septembre… avec des résultats proches de zéro.

Explication : pour qu’un système de reconnaissance de visage soit fiable, il faut que son taux de succès soit au moins de 70 %. Mais les expériences qui ont été mises en place, en grandeur réelle, à San Francisco ou à l’occasion du Superbowl ont été des fiascos complets : à peine 20% de taux de reconnaissance.

Carla Bruni remaquilléeLe problème, c’est que les caméras de vidéosurveillance ne sont pas aussi précises que les photomatons. Or, la biométrie faciale a déjà bien du mal à identifier ceux qui, à l’instar de ces photos d’identité où nous sommes interdits de tout sourire (pour que les ordinateurs nous identifient plus facilement, voir Il ne faut pas rigoler avec vos photos d’identité), sont pris en photo sans bouger, en gros plan, le visage découvert, de face, et sous les flashs. Alors des gens mal éclairés, filmés de loin, de profil ou de dos, et qui bougent…

Vesalis, pour sa part, se targue d’être en avance sur les Américains, et s’est donné pour objectif, sous “n’importe quel éclairage ambiant“, de comparer le visage des gens vidéosurveillés aux fichiers des personnes recherchées avec “un taux de reconnaissance de plus de 90%“.

Nicolas Sarkozy remaquillé

Les mauvais esprits rétorqueront probablement que si d’aventure un tel système venait à se généraliser, la majeure partie des délinquants, des criminels, des terroristes et des hooligans susceptibles d’être ainsi identifiés prendront soin de se grimer.

Raté : ceux qui portent des lunettes, écharpes ou casquettes (et sans même parler du port de la cagoule ou bien du voile) sont suivis à la trace par les caméras jusqu’à effectuer un “résultat probant“. Et si ça ne marche pas, les services de sécurité, alertés, peuvent prendre le relais.

Bio Rafale se targuait, l’an passé, d’un taux de modélisations réussies de 80%, et se donnait pour objectif d’atteindre les 97% cette année. Ne restera plus qu’aux récalcitrants, soit à se déplacer en masse pour submerger les services de sécurité de fausses alertes, soit à en passer par la chirurgie esthétique.

Nicolas Sarkozy remaquilléEn attendant, 01Net précisait l’an passé que le système était en phase d’expérimentation au stade Gabriel-Monpied à Clermont-Ferrand ainsi qu’au Stade des Alpes de Grenoble, de l’être, pendant quatorze mois, au Parc des Princes, afin de croiser les visages vidéosurveillés des supporters aux fichiers de ces stades. Dans la demande d’expérimentation que Vesalis vient de faire à la CNIL, l’entreprise avance qu’elle se ferait sur la base du volontariat.

Le Pôle Emploi relayait, en décembre, une petite annonce de Vesalis qui cherchait des “figurants pour jouer le rôle de spectateurs dans le cadre d’une simulation d’un match de football au stade Gabriel Montpied le 16 janvier 2010“.

Brice Hortefeux remaquilléLe responsable de sécurité du stade Montpied, qui précise qu’il n’y a pas d’interdits de stade à Gabriel-Montpied, explique que “ça ne s’est pas fait parce que la société était obligée d’émettre un bulletin de salaires par figurants, et c’était trop compliqué : ça a été reporté pour passer par une société d’intérim qui facturera les salaires.”

À terme, et s’il fait ses preuves, Bio Rafale pourrait être déployé tout autant dans les stades, les gares, les aéroports que dans les galeries marchandes et les grands magasins. “Derrière, un gigantesque marché planétaire qui compte plus de 300 millions de caméras !“, précisait La Montagne, “en croissance de 40 % l’anrénchérissait de son côté Le Progrès.

Coût estimé ? Un euro par visage analysé. Le stade Gabriel-Montpied comporte plus de 10 000 places, celui de Grenoble plus de 20 000, le Parc des Princes près de 45 000… ce qui explique aussi probablement ce pourquoi 4,2 millions d’euros ont été investis en Auvergne pour développer Bio Rafale*.

Brice Hortefeux remaquilléComme le rappelle Jean-Marc Robin, président de Vesalis, dans le dossier de presse de Bio Rafale, « détecter LE criminel dans une foule revient à rechercher la proverbiale aiguille dans une botte de foin. Et qu’en (sic) ça « pique » ça peut faire vraiment très mal …» Reste à savoir si ça piquera un jour vraiment, quand, et qui…

Il faudra voir également si “tout se passe bien“, pour les 10 à 30% de gens identifiés à tort comme potentiellement hooligans/délinquants/criminels voire terroristes, mais néanmoins innocents. Certes, ils auront dû, entre-temps, prouver leur identité, expliquer qu’il y a probablement erreur sur la personne, voire démontrer leur innocence…

En moyenne, les stades des vingt clubs de 1ère division accueillent quelques 200 000 spectateurs les journées de championnat de Ligue 1, soit 20 à 60 000 supporters potentiellement identifiables, à tort.

Brice Hortefeux remaquilléFaisons fi des personnes identifiées à tort, et regardons donc combien de gens sont vraiment concernés par cette technologie. Fin avril, L’Équipe révélait que “654 interdictions de stade (514 administratives et 140 judiciaires) sont en cours, contre 311 au 1er février, selon l’Intérieur, qui note une ‘réduction très sensible du nombre d’incidents ces dernières semaines, suite aux mesures prises’“.

200 000 supporters vidéosurveillés pour 654 interdits de stade? C’est encore pire que ça : en 2007, le ministère de l’Intérieur expliquait que selon un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration, “12% des personnes visées par cette obligation s’en sont affranchies sans motif“.

Autrement dit, le ministère de l’Intérieur veut développer une technologie de vidéosurveillance faciale censée reconnaître -avec une marge d’erreur de 10 à 30%- les visages de près de 200 000 supporters avec comme objectif de parvenir à identifier les 78 interdits de stade qui, contrairement à ce qui leur est imposé, doivent, au moment des matchs, pointer au commissariat, sous peine de voir son interdiction aggravée et d’être condamné à des amendes atteignant 3 750 €…

Ben Laden remaquilléOn notera enfin que le Fichier National des Interdits de Stades (FNIS), créé en 2007, comporte la photographie, l’identité, l’adresse des personnes touchées par une interdiction administrative (due au Préfet) ou judiciaire, ainsi que les données relatives à l’interdiction. Il peut aussi être étoffé par des fichiers d’organismes de coopération internationale et des services de polices étrangers, et la CNIL a donné son accord pour qu’il conserve les données pendant les cinq années suivant l’interdiction de stade.

Par contre, dans sa délibération, la CNIL prenait acte qu’il n’était pas prévu que ce fichier comporte de dispositif permettant la reconnaissance faciale à partir d’images numérisées…

Contacté, Jean-Marc Robin n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Illustrations : captures d’écran de “maquillages virtuels” effectués sur vesalis.fr, qui précise que “puisqu’une image “avant/après” a pouvoir de mille mots, nous vous invitons à expérimenter notre simulateur de mise en beauté temps réel de toute nouvelle génération”. Alors voilà, j’ai expérimenté.

* Le consortium Bio Rafale, piloté par Vesalis, réunit des laboratoires de recherches (Gipsa-lab/Dis à Grenoble, Lasméa à Clermont-Ferrand, Eurecom à Nice et Télécoms sud Paris), des partenaires industriels (IBM, Spie, Maya et Effidence), le Ministère de l’Intérieur et la Préfecture de Police de Paris.

Illustration CC Flickr par Sérgio Castrø

]]>
http://owni.fr/2010/05/07/ministere-de-linterieur-videosurveillance-biometrie/feed/ 11