OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Agir pour la neutralité du Net http://owni.fr/2012/05/10/agir-pour-la-neutralite/ http://owni.fr/2012/05/10/agir-pour-la-neutralite/#comments Thu, 10 May 2012 16:28:23 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=109652

“Les pouvoirs publics devront intervenir dans un avenir proche.” C’est le constat sans appel d’un nouveau rapport [PDF] sur la neutralité des réseaux, remis hier à Eric Besson par Laure de la Raudière.

En avril 2011, la députée UMP avait déjà déposé un texte auprès de l’Assemblée nationale. Le ministre de l’Industrie, depuis peu relevé de ses fonctions, voulait qu’elle complète cette première approche par un “panorama de l’état des débats sur la neutralité du Net en Europe” (p.5).

Conclusion du tour d’horizon : “le jeu de la concurrence n’est pas suffisant pour garantir la neutralité du Net”. Laure de la Raudière préconise une “intervention publique”, accompagnée d’un éventail de mesures en faveur de la transparence des opérateurs, d’un renforcement du régulateur des télécoms (Arcep) et d’une mesure indépendante de la qualité d’accès à Internet.

Transparence limitée

La société civile contrôlera aussi le Net

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Initialement, la qualité du service proposé par vos fournisseurs d'accès à Internet devait être contrôlée par... ces ...

“Mieux vaut prévenir que guérir”(p.14) prévient l’élue UMP. Car si la France est “en avance” en matière de neutralité du Net, de nombreux flous persistent quant au périmètre et aux garanties à apporter à ce principe pourtant fondamental.

Pendant du “mode de fonctionnement historique de l’Internet” il garantit l’acheminement des informations “sans discrimination sur les réseaux” rappelle Laure de la Raudière (p. 4). Concrètement, il embrasse trois “questions” explique le rapport : “la gestion de trafic (blocage, dégradation ou priorisation de certains flux)”, “l’interconnexion” (la façon dont les acteurs du Net se relient entre eux) et le filtrage du réseau.

Trois questions aux conséquences essentielles en termes économiques d’abord mais aussi de liberté d’expression et d’information sur Internet. Trois questions qui imposent donc d’éviter d’adopter “des décisions dans l’urgence”: “il faut anticiper”‘ conclut l’étude (p.14).

Anticipation d’abord synonyme d’une intervention des pouvoirs publics, “nécessaire pour corriger le marché”.

Parallèlement à cette initiative, Laure de la Raudière invite le gouvernement à “améliorer” la transparence des opérateurs. Selon elle, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont “prêts à travailler à rendre leurs offres plus lisibles pour les consommateurs et mieux expliquer la façon dont ils gèrent le trafic” (p.15). Ce qui tombe plutôt bien mais qui semble un poil optimiste.

Parler ouvertement de leurs pratiques dite de gestion de trafic, autrement dit, expliquer quels services ou applications ils bloquent ou favorisent, fait encore grincer quelques dents du côté des opérateurs. La transparence constitue bien souvent le nœud des dissensions au sein des différents groupes de travail (et ils sont nombreux) qui se penchent sur la neutralité des réseaux.

La neutralité cachée d’Internet

La neutralité cachée d’Internet

Alors que le gendarme des réseaux, l'Arcep, présente ses travaux en conférence de presse ce vendredi matin, OWNI ...

L’Arcep, qui a récemment confié l’étude de ces pratiques au comité chargé de mesurer la qualité de l’accès à Internet, s’est ainsi confrontée à une levée de boucliers du secteur des télécoms. Comme nous vous l’annoncions il y a quelques jours, cette analyse devrait bénéficier d’un statut à part, ne faisant pas l’objet d’une publication systématique, ouverte et transparente, à l’inverse des autres résultats.

De même, le groupe responsable de la “transparence relative aux pratiques de gestion de trafic” devrait tourner à bas régime. Vite rebaptisé “groupe de travail sur la différenciation technique et tarifaire”, une appellation plus heureuse pour les opérateurs, il devrait surtout consister à mettre en place une signalétique, visant à indiquer aux abonnés à Internet la nature de leur forfait. Une bonne nouvelle pour les consommateurs, mais qui évite soigneusement d’aborder un détail essentiel : l’encadrement de ces pratiques elles-mêmes. Une transparence a minima.

Arcep renforcée

Dans ses conclusions, Laure de la Raudière s’attarde aussi sur la nécessité que “les consommateurs aient confiance dans les services que leur fournissent les opérateurs.” Seule solution pour y parvenir :

Il faut que la qualité de service soit évaluée par un acteur indépendant.

Les télécoms perdent toute autorité

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Hier matin, le régulateur des télécoms a tenu sa conférence de rentrée. L'occasion de poser les questions qui fâchent ...

Une préconisation qui fait clairement écho à la polémique suscitée par le chantier de mesure de la qualité d’accès à Internet, mené depuis plusieurs mois au sein de l’Arcep, et dont OWNI suit l’évolution. Dès le départ, experts et associations ont dénoncé le manque d’indépendance du prestataire chargé de la récolte des données : choisi par les seuls opérateurs, il ne pouvait constituer à lui seul une garantie d’indépendance.

Sans se référer explicitement aux travaux de l’Arcep, Laure de la Raudière partage ces craintes et propose, pour s’en prémunir, de doter l’autorité de nouveaux moyens : “en France, l’Arcep doit être dotée des moyens de faire réaliser des mesures indépendantes, soit par le biais de sa dotation budgétaire, soit en lui donnant (juridiquement) la faculté d’imposer un prestataire aux opérateurs pour faire réaliser, sous son contrôle mais à leurs frais, des mesures de qualité de service.”

Cet appel au renflouement des caisses de l’autorité des télécoms ne devrait pas déplaire à son patron, Jean-Ludovic Silicani. Interrogé il y a quelques mois par OWNI sur ce dossier brûlant, il avait renvoyé le politique dans ses cordes, lançant :

Si les parlementaires veulent attribuer plus de pouvoir à l’Arcep, ils doivent le prévoir !

Message visiblement reçu du côté de Laure de la Raudière.

Gommage des disparités

Si les conclusions de l’élue UMP sont en faveur d’une protection renforcée de la neutralité, la neutralité des réseaux ne suscitent pourtant pas le consensus en Europe. C’est l’un des éléments clés du rapport : tous ne s’accordent pas sur la façon de garantir ce principe.

Selon les pays, l’approche diffère : d’une protection législative de la neutralité aux Pays-Bas (p.13) à un scepticisme sur l’opportunité à agir. Ainsi au Royaume-Uni, où a été préférée une “auto-régulation de l’industrie” indique l’étude, ou même au sein des institutions européennes, parmi lesquelles la Commission, depuis longtemps engagée dans une valse hésitation sur le sujet, dénoncée à de nombreuses reprises. Elle était “initialement réticente à intervenir”, commente Laure de la Raudière.

Initialement. Les temps changent, note l’élue UMP ; au fil des réflexions menées dans les différents États, leurs disparités semblent s’atténuer. “J’ai pu constater [...] combien l’orientation de la Commission avait changé” confie-t-elle. Les travaux réalisés par l’Orece, le régulateur européen des télécoms, sur les pratiques de gestion de trafic des opérateurs, auraient infléchi la position de l’institution :

Pour les services de la Commission européenne, ces premiers résultats montrent qu’il existe des entorses au principe de neutralité du Net.

Flou de la Commission

L’Europe délaisse la neutralité du Net

L’Europe délaisse la neutralité du Net

La commissaire européenne en charge des affaires numériques Neelie Kroes a livré ce matin sa vision d'un Internet ...

Reste à savoir si elle souhaitera mettre un terme à ces pratiques. Or pour le moment, ses troupes n’en font pas la démonstration. En matière de neutralité, la commissaire en charge du dossier, Neelie Kroes, s’illustre à l’inverse par sa modération et son ambiguïté. Dans une récente sortie, à la World Wide Web Conference de Lyon, elle se disait ainsi “engagée à garantir la neutralité du Net” d’un côté, tout en refusant d’associer ce combat au “bannissement de toutes les offres ciblées ou limitées” de l’autre. Rien de bien nouveau donc sous le soleil européen.

Si ce n’est peut-être l’émergence d’un nouveau discours, qui met la responsabilité de la neutralité sur le dos des consommateurs. Et qui évacue d’un même coup toute initiative législative forte.

Dans ce même discours de Lyon, Neelie Kroes assimilait la transparence des offres des opérateurs à l’assurance d’une neutralité des réseaux protégée : être neutre signifiant alors “laisser aux consommateurs la possibilité de choisir librement et aisément s’ils les souhaitent ou non”. Quitte à ce qu’ils choisissent un accès à Internet non neutre :

Et bien très bien. C’est loin d’être de la censure. Si on a seulement besoin de consulter occasionnellement les e-mails en 3G et que quelqu’un est prêt à vous offrir ce service – pourquoi devrait-on subventionner ceux qui consomment des films ?

Difficile alors de percevoir ce revirement dont le rapport se fait pourtant écho. Il faudra bien pourtant que l’Europe clarifie ses positions. Car c’est bel et bien elle qui sera l’ultime garante de la neutralité des réseaux. Comme le souligne le rapport, “une définition homogène [...] devrait être promue au niveau européen.” Pas encore gagné.



Portrait d’Eric Besson via la galerie Flickr du MEDEF (CC-bysa) / Laure de la Raudière via UMP photo (CC-byncnd)

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La société civile contrôlera aussi le Net http://owni.fr/2012/05/07/la-societe-civile-controlera-aussi-le-net/ http://owni.fr/2012/05/07/la-societe-civile-controlera-aussi-le-net/#comments Mon, 07 May 2012 11:00:14 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=109089 OWNI. Mais, sous la pression de plusieurs associations, le régulateur des télécoms (Arcep) ajuste le tir dans son projet de mesure de la qualité du Net français, selon des informations que nous avons recueillies auprès de proches du dossier. Un début de bonne nouvelle pour les consommateurs.]]>

Branchements internet de trois opérateurs différents - (cc) Nicolas Nova

“Très positif”. En plaçant des garde-fous dans le dispositif visant à mesurer la qualité de l’accès à l’Internet fixe, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) a marqué des points. Surtout auprès de certains représentants de la société civile, dont la voix devrait porter plus que prévu. Une caution non négligeable, même si tout reste à faire pour prendre le pouls du Net français en toute transparence.

Gardiens de la transparence

Désormais, les structures pressenties pour auditer la qualité du Net en France ne sont plus les seuls opérateurs. Aux côtés de France Télécom, SFR, Bouygues Telecom, Free, Numericable, Darty Telecom – qui couvrent plus de 100.000 foyers- et de la Fédération Française des Télécoms (FTT), qui les représente pour la plupart, l’Arcep a décidé d’ajouter les “représentants d’associations d’utilisateurs et des experts indépendants ayant manifesté leur intérêt pour le travail.”

Free, SFR, Orange et Bouygues en autocontrôle

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Accorder à Orange, Free, SFR et Bouygues le luxe de devenir les seuls juges de la qualité de leurs offres d'accès à ...

Une décision présentée il y a quelques jours dans les locaux de l’Autorité, qui rompt avec les premières orientations des travaux. Ces derniers mois, la ligne suivie par l’Arcep laissait en effet aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) la maîtrise de la mesure d’un bout à l’autre de la chaîne : choix de la méthodologie, du responsable des mesures…

Certaines associations (Afnic, La Quadrature du Net, UFC Que Choisir) avaient pointé du doigt les risques d’une telle orientation, qui confie aux FAI le double rôle avantageux de juge et partie : fournissant une prestation d’un côté, lui donnant une note de l’autre. Pour en faire au final une utilisation commerciale, vantant les bons résultats de la mesure.

Face à la levée de boucliers de la société civile, l’Arcep a donc changé de cap. Une décision qui va plutôt “dans le bon sens” nous confie-t-on du côté des opérateurs, qui souhaitent dénouer “le fantasme sur la relation entre l’autorité et les opérateurs.”

Encadrement et contrôle

Concrètement, le “comité technique” ainsi installé a la lourde tâche de définir et d’installer le système permettant de mesurer la qualité du réseau français à l’horizon 2013. Le tout dans un souci de “transparence de la démarche”, ainsi que de “sincérité et [d’]objectivité des mesures”, indiquent les documents de travail que nous avons consultés.

Des paroles suivies d’encadrements stricts. A priori. Dans une “charte de fonctionnement”, l’Arcep indique que “les opérateurs s’engagent” à justifier le choix du prestataire unique chargé de mesurer la qualité du réseau. Expliquer les raisons de leur préférence mais aussi incorporer les éventuelles remarques adressées par les autres membres du comité technique. A savoir, la société civile. Une nouveauté que les opérateurs disent accepter, sous réserve de “proportionnalité”. Autrement dit, hors de question qu’ils prennent en charge un dispositif, qu’ils sont déjà obligés de financer, trop coûteux. La distinction entre les précautions nécessaires et superflues seront à coup sûr au centre de tous les débats.

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Les opérateurs et l’Arcep s’orienteraient vers la mise en place de “lignes dédiées”, sur lesquelles le prestataire effectuerait 24 heures sur 24 une batterie de mesures. Débits descendant et ascendant, temps de chargement d’une page web ou qualité de visionnage de vidéos devraient être passés au crible.

Pour encadrer le dispositif, le gendarme des télécoms s’engage également à financer un système de mesures parallèles. En janvier, l’organisme de recherche Inria proposait de s’associer à l’initiative. Difficile à ce stade d’en savoir davantage, mais l’Arcep favoriserait le volontariat, des internautes effectuant eux-mêmes des tests à domicile. Contactée par OWNI, l’autorité s’abstient de tout commentaire, indiquant qu’elle ne communiquerait que lorsqu’elle aura “une annonce finalisée à faire.”

Reste à savoir comment les résultats de ce contrôle individuel pourra être comparé à ceux du prestataire, sur les “lignes dédiées”. Autrement dit, sur des lignes privées de tous les biais liés à un usage quotidien et normal du Net : performances du poste, accès en WiFi…

Gestion de trafic dans le viseur

Plus intéressant encore, l’Arcep réintègre dans son dispositif les mesures de gestion de trafic. Ces pratiques des opérateurs, qui permettent de dégrader ou même de bloquer un site ou un service -à tout hasard, le peer-to-peer-, avaient été d’abord écartées du chantier. Chantier visant pourtant à juger la qualité de la prestation des FAI. Une aberration pour La Quadrature du Net, qui avait signalé à l’Arcep la nécessité de leur prise en compte dans un chantier visant à garantir la neutralité des réseaux :

Pour pallier aux graves carences de son approche de la notion de qualité de service, l’Arcep doit faire évoluer ses indicateurs, de manière effective, vers la mesure des pratiques de gestion de trafic et de la dégradation sélective [...]. Pour ce faire, elle doit réfléchir urgemment à un calendrier et à une méthode adéquats. Il n’y a qu’ainsi qu’elle pourra contrôler les dires des opérateurs quant à leurs pratiques de gestion de trafic et contrôler le respect de leurs obligations de transparence.

Pas sûr néanmoins que le résultat de ces mesures atterrissent dans le grand public. L’affaire est soumise à de multiples précautions. Car si l’on constate une dégradation de service sur un réseau, l’opérateur qui en a la charge risque d’être mis au ban des consommateurs. Or il peut pâtir des mauvaises pratiques d’un concurrent, plaident les FAI :

Sur le peer-to-peer par exemple, il suffit qu’un maillon fasse une restriction pour qu’elle soit identifié sur l’ensemble de la chaîne.

L’Arcep va donc prendre ces mesures avec des pincettes, en n’effectuant dans un premier temps que des tests très simples sur les débits. Afin de déterminer si les offres vendues par les opérateurs correspondent à la réalité.

Les autres mesures quant à elles devraient faire l’objet de publication semestrielle. Les consommateurs pourront les retrouver à la fois sur le site des opérateurs et sur le site de l’Arcep.

Rien n’est cependant arrêté, puisque le régulateur prévoit de lancer une nouvelle consultation publique sur le sujet. Mais les réajustements du gendarme des télécoms rendent optimistes certains participants, qui ”n’attendaient plus rien ou très peu” de ce groupe de travail. S’ils reconnaissent les efforts de l’Arcep, d’autres en revanche se montrent plus prudents. A l’UFC Que Choisir, le responsable des dossiers numériques Édouard Barreiro reconnaît ainsi la “bonne volonté de l’Arcep” tout en regrettant que “la collecte et le premier traitement des informations issues des mesures demeurent au main des opérateurs.” “Il y a toujours une suspicion”, conclue-t-il. Difficile en l’état de s’assurer que les mesures de contrôle seront suffisantes. Surtout au vu de la charge de travail, que les représentants de la société civile auront le plus grand mal à suivre. L’un d’entre eux confie : “ils ouvrent les portes, mais nous n’avons pas les moyens de participer à toutes ces réunions. À l’inverse des opérateurs.”

Pour le comité technique en effet, la tache s’annonce chronophage : deux réunions par mois sont à prévoir jusqu’en 2013. Puis d’autres, pour assurer le suivi du dispositif. Un fardeau titanesque mais nécessaire, pour faire en sorte que cette mesure donne aux 22 millions de foyers branchés en haut ou très haut débit une véritable chance de contrôler la prestation de leur FAI. Et pour que ce projet ambitieux ne devienne pas un simple miroir aux alouettes.


Photo par Nicolas Nova (CC-by)

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L’Europe délaisse la neutralité du Net http://owni.fr/2012/04/19/leurope-delaisse-la-neutralite-du-net/ http://owni.fr/2012/04/19/leurope-delaisse-la-neutralite-du-net/#comments Thu, 19 Apr 2012 14:01:10 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=106842

Un subtil travail de définition. À l’occasion de la World Wide Web Conference qui se tient actuellement à Lyon, la commissaire européenne en charge des affaires numériques Neelie Kroes a livré ce matin sa vision d’un Internet “ouvert”. Ou plus exactement, les multiples variantes de ce qu’elle entend par “être ouvert en ligne”, pour reprendre l’intitulé de son discours. Résultat : l’ouverture du réseau doit certes être préservée, mais à certaines conditions. Qu’elle fixe.

L’ouverture ? C’est subtil

Après avoir rappelé son attachement à l’ouverture d’Internet, en déclarant dès la première phrase du discours qu’il s’agit “de la meilleure chose” en matière de réseau, Neelie Kroes vient rapidement modérer son propos :

L’ouverture est aussi complexe car sa signification est parfois peu claire.

Car si les bénéfices d’un Net ouvert font consensus dans certains cas, dans d’autres, plus clivants, ils sont plus contestables. Ou tout du moins, sujets à caution de la commissaire européenne. L’Open Data, ou les révolutions arabes, référence désormais incontournable pour tout politique souhaitant aborder publiquement la question numérique, figurent ainsi clairement dans la case “l’ouverture c’est chouette” de Neelie Kroes. Sans qu’un problème de définition ne se pose : dans ces cas-là, “les bénéfices de l’ouverture sont clairs.”

Dans d’autres, ceux qui sentent généralement le soufre, ce“n’est pas si simple”. Ainsi les questions de propriété intellectuelle, de sécurité ou d’accès à Internet. Sur tout ça, il s’agit subitement :

[De devoir] être clairs sur ce que nous entendons par ouverture.

Pour Neelie Kroes, l’ouverture mêlée aux droits d’auteur revient à s’ouvrir “à différents business models”. En clair, “ne pas offrir quelque chose pour rien”. Et si la commissaire européenne concède que certains créateurs veulent être reconnus d’une autre façon”, elle affirme aussi que “parfois, la meilleure façon pour les créateurs de tirer profit [de leur travail] est d’en faire payer l’accès.” Et de poursuivre :

Ce n’est pas une limitation de la liberté ou de l’ouverture, pas plus que ne l’est le fait de payer pour un journal.

Quand elle aborde les questions de sécurité, citant par exemple la protections des enfants sur Internet, elle définit l’ouverture en ces termes : “[elle] ne signifie pas l’anarchie” ni ne s’impose “au détriment de la vie privée ou de la sécurité”. Fondamentale en somme, mais placée au cœur d’une échelle de valeurs stricte.

Internet ? Aux usagers de décider

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Le Parlement européen appelle la Commission à agir pour protéger la neutralité des réseaux. Une pression politique sur ...

Ça se corse davantage avec la fourniture de l’accès à Internet. Pour Neelie Kroes, la notion d’ouverture est ici particulièrement “subtile”. Il est vrai qu’en la matière, la position de la commissaire est branlante. Et ce n’est pas nouveau. D’abord habituée à souffler le chaud et le froid, la commissaire a progressivement adopté les éléments de langage des opérateurs (début octobre, ou bien encore en juillet dernier) pour les questions de neutralité des réseaux – vite remplacées par la notion d’“ouverture”. Elle va ici plus loin,  se disant “engagée à garantir la neutralité du Net” d’un côté et refusant de l’autre à assimiler ce combat au “bannissement de toutes les offres ciblées ou limitées”. L’ouverture consistant ici pour elle davantage à “être transparent” sur ces offres, et à “laisser aux consommateurs la possibilité de choisir librement et aisément s’ils les souhaitent ou non”.

Pour Neelie Kroes, ce qu’est et doit être Internet ne sera pas fixée et protégé a priori : les usages sont préférés à une loi. Aux consommateur de choisir ! Quitte à ce qu’ils limitent leur propre accès à Internet. Sur ce point, la commissaire se veut d’abord confiante, expliquant que les “environnements isolés” ont “souvent échoué” sur Internet. A ce titre, elle cite l’exemple des ” ‘walled gardens‘ bâtis par les fournisseurs d’accès à Internet dans les années 1990″. Une expression qui renvoie aujourd’hui fréquemment aux empires construits et contrôlés par Apple, ou Facebook. Et qui sont tout sauf désuets ou effondrés.

La commissaire pousse la logique plus loin encore, en expliquant qu’en “pratique, il y a plein de moyen de ‘limiter’ l’accès à Internet que la plupart d’entre nous sont prêts à accepter, et même à utiliser.” En exemple : l’existence de forfaits Internet plafonnés à un certain volume de données par mois et que “beaucoup d’entre nous choisissent volontiers.” Et d’enfoncer le clou :

Et bien très bien. C’est loin d’être de la censure. Si on a seulement besoin de consulter occasionnellement les e-mails en 3G et que quelqu’un est prêt à vous offrir ce service – pourquoi devrait-on subventionner ceux qui consomment des films ?

Une impression de déjà vu ? C’est précisément l’argumentaire déployée l’été dernier en France, à la suite d’un papier d’OWNI sur la fin de l’Internet illimité. Les opérateurs expliquant progressivement qu’il n’était pas normal que tout le monde paye pour les “net-goinfres”, expression sympathique visant les consommateurs de services en ligne gourmands en bande passante (streaming vidéo, jeux vidéo en ligne,… ).

La fin de l’Internet illimité

La fin de l’Internet illimité

Des opérateurs veulent mettre un terme aux forfaits Internet illimités dans les foyers français. Un document de la ...

Si le plafonnement des forfaits existe depuis belle lurette sur mobile, dont le réseau est techniquement limité par ses capacités de transport, il n’existe pas en France sur le fixe – mais on peut le trouver ailleurs, comme au Royaume-Uni. Dans ses déclarations, Neelie Kroes ouvre la voie à l’instauration de ces pratiques sur tout Internet – seul son exemple ne se réfère explicitement qu’au marché mobile. Si les utilisateurs le souhaitent, et si les opérateurs s’alignent, l’exception française de l’illimité risque de sauter.

Il en va de même pour le mobile, dont l’accès à Internet est déjà plafonné à un certain volume d’octets. Et réservé à certains pans de l’Internet : le peer-to-peer ou la voix sur IP (service tel que Skype) en étant par exemple exclus. Neelie Kroes a beau rapidement évoquer les travaux en cours du Berec, le régulateur européen des télécoms, sur les pratiques des opérateurs visant à restreindre l’accès à Internet des usagers, elle ne cherche pas à les limiter. L’idée est que les consommateurs puissent “choisir en toute transparence le service qui leur va, accès à un Internet complet compris s’ils le souhaitent.”

Et après tout, s’ils ne le souhaitent pas, l’accès à Internet pourra progressivement se resserrer. Autour de forfaits allégés, proposant uniquement des services populaires : Facebook, Twitter, YouTube,… Là où le bât blesse, c’est que les attentes des consommateurs se conforment aussi à ce qui leur est proposé : ils piochent dans ce qu’on leur offre. Sans forcément porter leur choix en étendard : en France, l’enthousiasme engrangé par l’arrivée de Free Mobile en est la preuve. Or ce sont les opérateurs qui façonnent l’offre commerciale. Une responsabilité qui engage les contours même d’Internet.


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La neutralité cachée d’Internet http://owni.fr/2012/03/23/lintrouvable-neutralite-du-net/ http://owni.fr/2012/03/23/lintrouvable-neutralite-du-net/#comments Fri, 23 Mar 2012 07:02:47 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=103049 OWNI dresse un bilan critique du chantier de la neutralité d'Internet et des réseaux. Un sujet stratégique pour l'avenir du numérique. Pour l'heure, les multiples compromis du moment portent en germe les compromissions de demain. ]]>

La neutralité des réseaux : “La moitié du travail du régulateur sur les deux années à venir”. Selon le patron de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) Jean-Ludovic Silicani, le sujet est le gros morceau qui occupera le gendarme des télécoms à l’avenir. Et qui le tourmente déjà.

L’autorité devait initialement rendre un rapport sur le sujet “au Parlement et au Gouvernement début 2012″. Fin mars de cette même année, l’affaire patine encore, saucissonnée en plusieurs groupes de travail, eux-mêmes répartis entre Paris et Bruxelles.

Pas facile d’y voir clair, mais l’Arcep nous l’assure : la neutralité sera au menu de sa conférence de presse de ce matin. Sans l’attendre, nous avons anticipé en réalisant une première inspection du chantier de la neutralité. Pour un résultat foutraque et opaque : peu d’informations filtrent sur l’avancement des travaux. Du côté des opérateurs, on refuse de communiquer sur le sujet, redoutant de voir la polémique de l’été dernier, sur la fin de l’Internet illimité, renaître. Pourtant, sous des apparences technocratiques et emberlificotées, ce débat a tout intérêt à être porté à la connaissance des usagers. Car c’est la définition même d’Internet qui est en jeu. Une définition susceptible de considérablement rogner les prés carrés de Bouygues, Orange et consorts…

Juge et partie

La fin de l’Internet illimité

La fin de l’Internet illimité

Des opérateurs veulent mettre un terme aux forfaits Internet illimités dans les foyers français. Un document de la ...


Premier volet du chantier neutralité : la “qualité de service de l’accès à Internet”. Bien avancé, ce groupe de travail a pour objectif de prendre le pouls du réseau français, afin d’apprécier la qualité des prestations des plus gros fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Et pour éventuellement fixer, dans un second temps, un seuil au-dessus duquel le service des FAI sera jugé “suffisant”. L’enjeu est donc de taille pour ces derniers. C’est leur cœur de métier qui est ici évalué.

Si l’initiative est saluée de toute part, opérateurs, associations, experts réseau ou scientifiques s’accordant sur la nécessité de dresser un panorama de l’état du net français, de nombreux écueils sont pointés du doigt. Le plus gros étant le risque de mainmise des FAI sur la mesure, l’Arcep leur accordant en la matière des avantages considérables. Comme le choix du prestataire en charge de cette tâche ; confiant peu ou prou aux FAI un rôle de juge et partie. Un avantage sous le feu des critiques, dont OWNI s’est fait l’écho dès le démarrage de ce groupe de travail.

Dans sa réponse à la consultation publique [PDF] lancée par l’Arcep sur le sujet -et désormais clôturée-, l’association de défense des libertés sur Internet La Quadrature du Net s’en alarme :

Le fait que les opérateurs aient le choix du prestataire réalisant les mesures pose problème du point de vue de l’objectivité et de la sincérité des ces dernières, et les orientations fournies pour contrôler ces aspects n’apparaissent pas suffisamment convaincantes.

Les opérateurs juges et parties du net

Les opérateurs juges et parties du net

Le régulateur des télécoms cherche à déterminer la qualité du réseau français. Pour mettre en place le dispositif de ...

Pour remédier à ce problème, l’Afnic, qui a également publié sa réponse à la consultation du régulateur, préconise que les mesures soient effectuées “par un tiers réellement indépendant, s’appuyant sur des logiciels ouverts et publics, et en suivant une méthodologie transparente.”

Interrogée par OWNI, l’association UFC-Que Choisir, qui avait déjà alarmé l’Arcep à ce sujet, va plus loin : en l’état, les orientations du régulateur pour définir la qualité du réseau français “ne peuvent pas permettre d’atteindre cet objectif.” “Les méthodes choisies ne peuvent aboutir à une information transparente, objective et indépendante pour le consommateur” ajoute Édouard Barreiro, responsable du numérique à l’UFC.

Car outre le choix du prestataire, les opérateurs garderaient également la main sur la définition de la méthodologie employée pour la mesure, ou “référentiel commun”. De même, la solution préconisée par l’Arcep, qui consiste en la pose d’une “sonde matérielle” sur la ligne des utilisateurs, peut être contournée. “Le risque existe en effet que les opérateurs biaisent les mesures, par exemple en offrant une qualité de service supérieure aux abonnés « tests » ainsi repérés”, prévient La Quadrature du Net. Là encore, des mesures de contrôle indépendantes sont préconisées.

Les télécoms perdent toute autorité

Les télécoms perdent toute autorité

Hier matin, le régulateur des télécoms a tenu sa conférence de rentrée. L'occasion de poser les questions qui fâchent ...

Pour le moment, difficile de connaître les intentions des opérateurs. Contactés par OWNI, la majorité se refuse à donner son avis sur la question avant que le gendarme des télécoms ne publie officiellement les réponses. De même pour la Fédération française des télécoms, qui réunit les FAI (à l’exception notable de Free et Numericable) et qui n’a pas souhaité nous en dire plus, tout en confirmant avoir répondu à l’appel de l’Arcep.

Laquelle devrait donner la date de publication de ces contributions après la conférence de presse de ce vendredi, sans donner plus de précisions. Il y a quelques mois, nous avions demandé au patron du gendarme des télécoms Jean-Ludovic Silicani de réagir à ces critiques : visiblement irrité, il nous avait renvoyé à ” l’auto-responsabilité des entreprises”. “Nous faisons confiance aux opérateurs, sans pour autant exécuter leurs ordres” avait-il ajouté.

Opaque transparence

Pas sûr que ces déclarations suffisent à dissiper les inquiétudes. D’autant qu’un autre groupe de travail, toujours sur la neutralité des réseaux, vient corser l’affaire.
En collaboration avec l’Arcep, deux délégations du ministère de l’Industrie (la DGCIS et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), planchent parallèlement sur la question de la “transparence relative aux pratiques de gestion de trafic” mises en place par les opérateurs.

A priori, l’enjeu est de faire en sorte qu’Orange, Free, SFR ou Numericable communiquent sur la réalité de leurs offres Internet, en indiquant clairement pour quels services leurs clients paient. Une approche particulièrement importante sur le mobile, sur lequel le peer-to-peer ou la voix sur IP (par exemple Skype) ont été historiquement bannis des abonnements.

L’Internet illimité au purgatoire

L’Internet illimité au purgatoire

L'idée de brider Internet était promise aux enfers. À en croire les opérateurs, en particulier Orange, le projet aurait ...

Mais là encore, difficile d’en savoir davantage. Côté Arcep et DGCCRF, c’est motus et bouche-cousue. “Il n’est pas opportun de communiquer là-dessus” nous affirme-t-on du côté de Bercy, sans toutefois préciser la nature de cette inconvenance. Il semblerait que l’ombre de l’été dernier plane sur le groupe de travail : les opérateurs redoutent en effet de voir se répéter la sortie médiatique sur la fin de l’Internet fixe illimité. Pour éviter ce fiasco, hors de question que le moindre élément filtre. Drôle de situation pour un groupe qui travaille à rendre plus transparente la communication des opérateurs . Chez ces derniers, certains expliquent qu’un tel silence est moins dû à l’enjeu des discussions qu’à leur nature. En bref : tout ce qui touche à la neutralité suscite passions et polémique, quelques soient les intentions, bonnes ou mauvaises, des FAI.

En attendant, communiquer sur les modalités des nombreux forfaits offrant un accès à Internet, c’est aussi prendre le risque de voir sauter l’appellation “Internet”. Si tant est que l’on veuille protéger le principe de neutralité des réseaux, qui affirme que les contenus doivent être traités de manière égale sur Internet – à de rares exceptions près. Une orientation que semble vouloir prendre l’Arcep, à en croire ses dix recommandations sur le sujet [PDF], en date de septembre 2010. Le régulateur préconisait alors qu’en dehors de certaines exceptions strictement encadrées, le terme Internet ne saurait être utilisé.

En théorie, les opérateurs risquent donc de perdre le précieux label pour certaines de leurs offres. Des offres fixes et mobiles sans le mot “Internet” : une option peu souhaitable pour faire commerce. Mais que les opérateurs se rassurent. Car des “pratiques de gestion de trafic”, il devrait être assez peu question au sein de ce groupe de travail. L’intitulé lui-même aurait déjà sauté. L’expression, plus large -et donc plus vague- de “groupe de travail sur la différenciation technique et tarifaire” ayant été privilégiée dès les premières réunions.

En bref, pas ou peu de soucis pour les FAI. La réflexion ne devrait pas dépasser la seule mise en place d’une signalétique, qui vise à indiquer aux abonnés à Internet la nature de leur forfait. Un progrès déjà notable pour ces derniers. Mais qui laisse de côté un détail majeur, voire central : l’encadrement des pratiques de gestion de trafic elles-même. Soit en somme, la définition d’un Internet jugé acceptable. Et à l’inverse, d’un Internet qui n’en est tout simplement pas un.


Illustration par Viktor Hertz (CCbyncsa) remixée par Ophelia Noor pour Owni /-)

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http://owni.fr/2012/03/23/lintrouvable-neutralite-du-net/feed/ 13
Free Mobile couvert http://owni.fr/2012/02/29/free-mobile-couvert/ http://owni.fr/2012/02/29/free-mobile-couvert/#comments Wed, 29 Feb 2012 10:30:13 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=100134

Le président de l'Arcep Jean-Ludovic Silicani

L’Arcep a tranché : Free Mobile n’est pas en tort. Son président, Jean-Ludovic Silicani, a donné l’information “en exclusivité” aux députés qui l’auditionnaient hier soir: après vérification, le dernier né du secteur couvrirait bel et bien 27% de la population, conformément aux obligations fixées par le régulateur.

Un joli coup de com’ pour le gendarme des télécoms, qui cloue d’un même geste le bec de la concurrence, fortement suspicieuse à l’égard du réseau Free Mobile, et d’Eric Besson, ministre en charge du numérique, avec qui il se disputait la reprise en main du dossier.

Free dans les clous de l’Arcep mais pas d’Orange

Free frime

Free frime

Un Xavier Niel au bord des larmes, une communauté surexcitée sur Twitter et une couverture médiatique unanime. C’est le ...

Mené début février, le contrôle a établi que Free détenait 753 antennes “allumées” sur un total d’un millier installées et susceptibles d’être utilisées, a indiqué le patron de l’Arcep. Un déploiement qui “se poursuit”, a précisé un communiqué de presse envoyé dans la foulée, et qui devrait à ce jour compter plus de 800 stations en activité, a ajouté Jean-Ludovic Silicani.

Suite à son lancement tonitruant, début janvier 2012, Free Mobile a connu des moments plus difficiles ; un ensemble de dysfonctionnements commerciaux et techniques étant reprochés à l’opérateur. Dont un en particulier : la réalité de son réseau. Free s’est vu accuser de ne pas avoir installé les infrastructures suffisantes pour supporter ses nouveaux abonnés et de ne compter que sur le réseau d’Orange pour distribuer ses appels. Les deux opérateurs sont certes liés par un accord d’itinérance, qui vise précisément à combler les carences de Free Mobile en matière de couverture réseau. Mais cet accord n’est valable que si le quatrième opérateur couvre au minimum 27% de la population. Et il en va de même pour sa licence d’opérateur mobile…

C’est là que ça se complique. Car si Free remplit ses objectifs de couverture, le régulateur ne nie pas néanmoins que la majorité de son trafic passe bel et bien sur le réseau d’Orange, jugé “plus efficace” par Jean-Ludovic Silicani. En d’autres termes, il y a une différence entre le déploiement des antennes et la qualité du service rendu. “Dans la licence et les obligations [de Free], il y a une exigence de couverture, pas de qualité” a expliqué le patron de l’Arcep. Pour les consommateurs, le résultat est le même : portés par Free ou Orange, les appels arrivent à destinations. L’opérateur historique en revanche, peut pâtir de cette surcharge de trafic, qui ne correspond pas aux termes de l’accord d’itinérance. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de rétablir un équilibre, a poursuivi Jean-Ludovic Silicani, qui a déclaré savoir que les deux opérateurs étaient en pourparlers.

“Faire courir des rumeurs sur le net, ce ne sont pas des méthodes très correctes”.

Free Mobile crie au complot

Free Mobile crie au complot

Free Mobile : mytho, parano ou réglo ? Xavier Niel semble débordé par le buzz qu'il a lui-même provoqué avec son offre ...

La déficience présumée du réseau Free Mobile avait fait les gorges chaudes des médias ces derniers mois. C’est pour cette raison et “dans un souci de transparence et de sérénité [que] l’Arcep a décidé de renouveler ses mesures sur le réseau de Free Mobile ”, indique le communiqué de presse. Rien ne l’y obligeait, a renchéri Jean-Ludovic Silicani, l’Autorité ayant déjà inspecté le réseau de l’opérateur en décembre dernier, à la suite d’une première batterie de mesures. Une validation formelle qui avait inauguré l’entrée de Free dans le marché mobile.

Sur ce dossier, la concurrence a officiellement misé sur la retenue, laissant tout au plus planer un doute, à l’instar d’un Stéphane Richard, patron de France Télécom, qui déclarait fin janvier au JDD : qu’il existait “grande confusion” sur l’état du réseau Free mobile. Une communication officielle doublée néanmoins d’une pluie de témoignages anonymes, dans la presse, d’ingénieurs de SFR, Orange et Bouygues Telecom.

Un double jeu dénoncé hier par le président de l’Arcep :

Faire courir des rumeurs sur le net, en parlant aux journalistes, ce ne sont pas à mon sens des méthodes très correctes.

Les opérateurs, qui avaient la possibilité de faire part au régulateur de leur doute quant à la fiabilité du réseau Free Mobile, ont finalement décidé de ne lancer aucune procédure. Seuls des syndicats d’opérateurs de téléphonie mobile ont formellement saisi l’ARCEP “d’une demande d’enquête concernant le respect par Free Mobile de l’obligation de déploiement d’un réseau 3G dans des conditions conformes à son autorisation”, indique l’Autorité.

Mais si les attaques n’étaient pas explicites, les trois premiers opérateurs mobiles n’ont pas épargné Free. Bien au contraire : sa campagne publicitaire, son service client, son aptitude à créer des emplois en France, et bien sûr, sa capacité à investir dans un réseau d’antennes pérenne : tout est passé dans la moulinette de la concurrence. Egalement auditionnés par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, les patrons des opérateurs n’ont pas mâché leurs mots : Stéphane Richard avait appelé “l’Arcep à faire son travail” tout en dénonçant la violence des propos de Xavier Niel, patron d’Iliad (maison-mère de Free), qui avait qualifié de “pigeons” les clients de ses concurrents ; chez SFR, Franck Esser a mis en doute la “pérennité [des] innovations tarifaires” du quatrième opérateur, estimant qu’il était “impossible” de soutenir les investissements nécessaires au déploiement du réseau mobile avec des abonnements si peu élevés. Un modèle synonyme d’un “réseau au rabais” pour Olivier Roussat de Bouygues Telecom, interrogé par les députés peu de temps avant le patron de l’Arcep.

Faire la nique à Éric Besson

L’Arcep et Besson se disputent sur Free

L’Arcep et Besson se disputent sur Free

Free Mobile est officiellement le trublion du secteur des telecom. A tel point que l'autorité de régulation et le ...

Avec cette communication imprévue -l’Arcep avait indiqué par voie de communiqué qu’elle ferait la lumière sur le réseau Free Mobile début mars à l’occasion d’une conférence de presse -, le régulateur des télécoms bénéficie d’un double effet Kiss Cool. A l’encontre d’Orange, SFR et Bouygues Télécom, déjà, qui peuvent aller se rhabiller. Mais aussi à l’encontre du ministre de l’Industrie et de l’économie numérique, Eric Besson, avait qui l’Arcep s’était lancé dans un bras de fer sur le dossier.

Les inimités entre le cabinet du ministre et l’autorité administrative indépendante ne sont pas nouvelles, mais se sont renforcées avec l’émergence de cette polémique. L’enjeu ? Savoir lequel des deux s’est saisi le premier de cette affaire au potentiel explosif. Et, par voie de conséquence, lequel des deux a laissé s’envenimer le bousin. En résulte une guerre de communication, faite de courriers, de communiqués et d’articles de presse, laissant entendre l’un que Bercy a saisi l’Arcep du problème, l’autre que l’Arcep a informé Bercy de sa volonté de s’auto-saisir du dossier. Dernier épisode en date de ce drama made in administration, une lettre d’Eric Besson à une autre institution, rattachée à son ministère : l’Agence nationale des fréquences (ANFR), qu’il a chargée de vérifier le réseau mobile de Free. En marge de l’audit effectué par l’Arcep. Les résultats de ce contrôle étaient attendus ce jour même. Le régulateur des télécoms a donc grillé la priorité au ministre, tout en se disant en excellents termes avec l’ANFR. Devant les députés, Jean-Ludovic Silicani a d’ailleurs nié toute concurrence avec cette agence : “je veux bien me coordonner avec qui veut bien communiquer avec moi”, a-t-il lancé, évasif, à la commission des affaires économiques. Poursuivant séchement :

Je lui avais demandé [NDLR : à Eric Besson], par une lettre envoyée directement, et non par voie de presse, d’associer l’ANFR à notre initiative.

Reste à découvrir les résultats de cet audit, prochain numéro de la (déjà) grande saga Free Mobile.


Illustration Arcep © Dominique Simon

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Benjamin Bayart: protéger la biodiversité du Net http://owni.fr/2011/08/10/benjamin-bayart-proteger-la-biodiversite-du-net/ http://owni.fr/2011/08/10/benjamin-bayart-proteger-la-biodiversite-du-net/#comments Wed, 10 Aug 2011 10:46:33 +0000 ZeroS et JBB http://owni.fr/?p=75867 La neutralité du réseau – soit la garantie que tous les flux seront traités à égalité sur le Net – est peu à peu, et sans doute parce qu’elle est de plus en plus menacée, devenue une question politique et médiatique. Il n’y a plus grand monde pour ne pas savoir ce dont il s’agit, et chacun a compris l’absolue nécessité de la préserver.

Il n’en allait pas tout-à-fait – voire pas du tout – de même il y a quatre ans : la neutralité du réseau était alors l’affaire de quelques geeks politiques, peinant à se faire entendre du grand public. Parmi ces précoces sonneurs d’alerte : Benjamin Bayart. Avec une conférence donnée en juillet 2007 à Amiens, intitulée « Internet libre ou Minitel 2.0 » et abondamment visionnée sur le Net (elle est notamment consultable ici), l’homme a largement contribué à faire comprendre l’importance de l’enjeu.

Le président de FDN, plus ancien fournisseur d’accès encore en exercice en France, s’est aussi battu contre Hadopi et pour les logiciels libres. Disons, pour résumer, qu’il milite pour un Internet libre. Il nous en parlait il y a deux mois, voici l’entretien qui en résulte.

Comprendre Internet : c’est un vrai enjeu ?

Je suis retombé hier soir sur le livre Confessions d’un voleur, de Laurent Chemla, l’un des cofondateurs de Gandi ; le titre de l’ouvrage vient d’une chronique publiée dans Le Monde, où il expliquait être un voleur parce qu’il vendait des courants d’air. C’est-à-dire des noms de domaine. Son livre – librement consultable en ligne – date de 2002 mais ses analyses n’ont pas pris une ride. L’auteur pose parfaitement ce qu’est Internet, l’effet que le réseau a sur la société, comment il la restructure et quels profonds bouleversements vont en découler.

Et il explique que les politiques sont outrés de voir débarquer des gueux dans leur salon doré et se mêler de leurs affaires – ni plus ni moins que la définition de WikiLeaks.

Cette très fine compréhension d’Internet n’est pas partagée de tous. De loin. D’abord parce qu’il y a une évidente fracture générationnelle : chez les plus de 50 ans, il n’y a pas grand monde pour comprendre ce qu’est Internet – quelques personnes tout au plus. S’y ajoute un problème de compréhension instinctive de ce qu’est le réseau – je ne parle pas de savoir envoyer un mail, mais d’avoir tellement intégré les pratiques du réseau qu’elles deviennent normales : c’est le cas aujourd’hui d’à peu près tous les moins de 25 ans. À l’inverse, les politiques n’y comprennent rien. Et c’est le cas à droite comme à gauche, extrême-gauche comprise.

D’ailleurs : avez-vous déjà lu les positions du NPA sur le réseau ? Elles sont à peu près aussi brillantes que celles de l’UMP… Ce que propose le NPA, c’est de fermer toutes les boîtes privées, de nationaliser France Telecom et de faire un Internet d’État. Leur niveau de réflexion ne va pas plus loin que cette idée : c’est une industrie, il faut la nationaliser. Point. J’ai pas mal de copains au NPA qui essaient de pousser pour que le programme intègre deux-trois fondamentaux. Quelques petites choses sur les logiciels libres versus les brevets, par exemple, ce ne serait pas idiot.

Le seul parti politique de France, à ma connaissance, qui ait réellement quelque chose d’intéressant sur le réseau dans son programme est le PCF. Soit une ligne assez claire, votée il y a près de dix ans, qui prenait position contre les brevets logiciels. Ils ont une avance considérable sur le sujet. Hors cela : morne plaine.

Tu mentionnais deux-trois fondamentaux pour comprendre le réseau. Quels sont-ils ?

En fait, il ne s’agit pas de comprendre le réseau, mais la société qui vient. Et parmi ces fondamentaux, il y a d’abord la nécessité de comprendre la modification du tissu social. C’est assez facile à expliquer. Posons qu’une société se définit par les interactions entre les gens : le média structure la société. Il n’y a là rien de neuf. C’est-à-dire qu’il y a eu la société de l’écriture manuscrite, puis la société que l’imprimerie a formée – qui est l’un des facteur-clés dans le passage du Moyen-Âge à la Renaissance. Il y a ensuite la société que la télévision a formé, qui est encore différente. Et enfin, il y a Internet, qui change beaucoup plus profondément les choses que la télévision.

Ces évolutions techniques portent des modèles profonds. L’imprimerie, c’est un éditeur qui juge que l’écrit est suffisamment important pour être publié et qui le diffuse vers des lecteurs n’ayant pas eu leur mot à dire dans cette décision. C’est un monde vertical. Alors qu’avec Internet, tout le monde publie, et lit qui veut bien lire.

Le modèle – je parle bien du réseau, pas de services à la Google ou Facebook – est ainsi totalement horizontal.

Premier point, donc : le changement de structure de la société. Dans le monde de l’écrit, vous êtes en contact avec quelques dizaines de personnes – tout au plus. Dans le monde d’Internet, le plus crétin des ados boutonneux a deux cents amis sur sa page Facebook. Le changement de structure est intéressant. Mes parents ou mes grands-parents ne correspondaient pas par écrit avec une cinquantaine personnes. Correspondaient-ils plus profondément, plus véritablement ? Peut-être… Mais ce n’est pas la question.

Société du savoir

Deuxième point : comprendre les enjeux de la question de la propriété intellectuelle. Toute cette société dont on parle est la société du savoir. Les savoirs sont les seules choses y existant réellement ; dans cette société-là, le monde lui-même est une construction intellectuelle. Par conséquent, la notion de propriété intellectuelle est à revoir totalement. Relisez les textes de Louis Blanc sur la question de ce qui était à l’époque appelé propriété littéraire. Il posait parfaitement le problème : comment voulez-vous être propriétaire d’une idée ? Soit vous la gardez dans le fond de votre tête, vous ne l’énoncez jamais et – simplement – elle n’existe pas. Soit vous l’énoncez, et sitôt qu’elle est entendue, elle se répand ; comment voulez-vous la retenir, l’attraper ?

La question de la propriété intellectuelle n’a pas de sens ?

Bien sûr que non. Parce qu’une idée ne peut pas être à vous. Si vous étiez né dans une grotte d’ermite, abandonné par vos parents et élevé par des loups, et qu’il vous vienne une idée géniale, on pourrait légitimement supposer qu’elle est un peu à vous ; elle serait à 90 % aux loups, mais un peu à vous. La véritable quantité d’innovation dans une œuvre de l’esprit est toujours marginale. À preuve, si une œuvre de l’esprit est trop innovante, elle devient incompréhensible : si vous inventez la langue dans laquelle votre texte est écrit, il ne sera jamais lu.

La très grande majorité d’une œuvre appartient donc de facto à la société. L’apport de l’auteur est extrêmement faible – ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas de valeur. C’est l’une des raisons pour laquelle, dans les débats sur le droit d’auteur au début du XIXe, un grand principe s’est imposé, celui du domaine public. Par principe, toute œuvre appartient au domaine public ; par exception et pendant un temps donné, une exclusivité est accordée à l’auteur. C’était alors une exception de très courte durée ; de mémoire, ce devait être neuf ans renouvelables une fois. Aujourd’hui, cette durée est devenue délirante : on parle de rémunérer les petits-enfants pour le travail effectué par le grand-père…

Tout se joue – en fait – à l’aune de Disney : à chaque fois qu’on va atteindre la date de fin des droits d’auteur pour papa Disney, les Américains font le forcing pour qu’on rallonge cette durée. Ça fait déjà un moment qu’on est passé à cinquante ans après la mort de l’auteur, puis c’est devenu soixante-dix quand on a atteint les cinquante ans après la mort de Disney. Et là, ils essayent de pousser pour qu’on passe à 90 ans parce qu’on va bientôt atteindre les 70 ans après la mort de Disney. Pour eux, pas question que Mickey entre dans le domaine public.

Le paradoxe, c’est qu’en fait Mickey est dans le domaine public depuis des dizaines d’années. Tout le monde le connaît, il est même devenu un mot de la langue courante. Mieux : le personnage est en train de tomber dans l’oubli. Cherchez dans votre entourage combien d’enfants ont vu un dessin animé avec Mickey : assez peu. Le mot est donc devenu courant, le personnage tombe dans l’oubli, mais il n’est pas encore entré dans le domaine public. Délirant.

Il faudrait revenir à ce qu’était le droit d’auteur à l’origine : l’auteur d’une œuvre était associé à une exclusivité temporaire dans le cadre d’une exploitation commerciale. Le droit d’auteur protégeait alors les artistes contre les marchands. Il s’agissait d’empêcher que ces derniers ne s’enrichissent indûment sans rémunérer les auteurs. Il faudrait que ça redevienne le cas. Empêcher, par exemple, qu’Apple ne s’enrichisse indûment de la musique des gens avec sa plate-forme iTunes. Pour rappel, il y a quelque chose comme 50 % des revenus d’iTunes qui tombent directement dans les poches d’Apple, le reste partant vers les maisons de disque, où est opéré le partage habituel : au final, seuls 6 ou 7 % de ces 50 % finissent dans les poches de l’auteur. Quand il était encore question de support matériel, ça pouvait – à la limite – se justifier : la fabrication du support coûtait cher, comme la gestion du stock. Mais une fois que le support matériel n’est plus, il en va tout autrement.

Que le support matériel disparaisse : n’est-ce pas un autre de ces fondamentaux que vous évoquiez ?

Tout-à-fait : la dématérialisation est un pilier de cette société qui vient. Une quantité phénoménale de choses n’ont désormais plus besoin de support matériel – musiques, films, écrits. Sur ce point, nombre de gens s’emmêlent les pinceaux : ils disent « virtuel » là où il faut dire « immatériel ». La discussion que vous avez sur Facebook, par mail ou par IRC est immatérielle, et non virtuelle ; ce ne sont pas des êtres imaginaires qui parlent. Le monde de la société du savoir, qui se développe autour d’Internet, n’est pas un monde irréel. La distinction est essentielle.

Le réseau est l’espace physique dans lequel s’inscrit le monde immatériel. Et on ne peut pas accepter que la physique ne soit pas neutre, que la physique du monde dans lequel on vit soit différente selon que vous soyez riche ou pauvre. S’il y a une chose qui touche les riches comme les pauvres, c’est bien la mort, la maladie ou le fait de voir apparaître une bosse quand on se cogne. Il en va de même sur le réseau. C’est fondamental : il n’est pas possible que le substrat de la société à venir soit non-neutre.

Attenter à la neutralité des réseaux devrait donc être considéré comme un crime assez grave.

De quoi s’agit-il ?

Le modèle de développement d’Internet est d’être totalement acentré. Il n’y a pas de centre, pas de partie plus importante ou par principe plus grosse que les autres, afin de rendre l’ensemble indestructible. Les échanges y sont normalisés de manière à préserver une grande hétérogénéité ; Internet a été conçu pour que deux ordinateurs de marque et de constructeur différents puissent discuter entre eux, pour peu qu’ils respectent un tout petit bout de norme.

Ce réseau acentré existe, même s’il est en même temps un optimal qu’on n’atteint par définition jamais. Et ce réseau a de grandes vertus, dont celle de garantir les libertés sur Internet. Je prends un exemple : s’il n’y avait plus que des plateformes centralisées de blogs, vous y publieriez ce qu’on voudrait bien vous laisser publier – nous serions revenus au modèle de la télévision. Mais pour l’instant, aucune plateforme ne peut se permettre de trop censurer, parce qu’il suffit de dix jours pour lancer une nouvelle plateforme. C’est cette capacité d’acentrer qui garantit les libertés dans les systèmes centralisés.

Cela évoque autre chose : il y a finalement une notion de biodiversité sur Internet. C’est-à-dire qu’il y a une diversité strictement nécessaire. Par exemple, s’il n’y a plus qu’un seul système d’exploitation, le réseau change très vite, pouvant dériver vers autre chose. On l’a vu quand Internet Explorer était ultra-hégémonique : le web était paralysé, il n’a à peu près pas évolué pendant dix ans.

Tout cela renvoie – enfin – à l’existence d’une masse critique. S’il n’y a plus assez de partie acentrée, très vite le système dégénère et s’effondre. C’est pour ça que j’ai lancé le sujet sur le minitel 2.0 ; je redoutais et je redoute encore qu’on descende en-dessous de la masse critique. Par exemple, le jour où le service mail sera trop centralisé, ceux qui n’utiliseront pas de grosses messageries se retrouveront le bec dans l’eau. Pour rappel : il y a à peu près 150 fournisseurs de mail sur la planète, dont des très importants (Gmail, Hotmail, Facebook…), des importants (qui sont les gros FAI en général, dont Orange et Free) et enfin, autour, des moucherons. Que les très importants et les importants décident de ne plus parler qu’entre eux, c’est-à-dire de bloquer les mails des moucherons, et ces derniers disparaîtront.

C’est en cours. Il y a des périodes où les mails sortant de telle ou telle micro-structure ne sont pas acceptés par Hotmail, d’autres périodes où ils se retrouvent d’office classés par les spams. Mais tant qu’il reste une masse critique, en l’espèce 1 % du trafic mail géré par les moucherons, les géants ne peuvent pas les ignorer totalement ; ils sont obligés de faire un tout petit peu attention à eux. Au risque, sinon, de provoquer trop de remous : 1 % de la population, ça peut faire du bruit…

C’est étonnant de vous entendre parler – un peu au-dessus – de biodiversité : ça semble incongru s’agissant d’Internet…

Et pourtant… Une illustration très parlante : les écolos sont en train de se saisir de cette idée de réseau acentré, et tout ce qu’ils construisent autour de la notion de développement durable ressemble énormément à Internet. Exemple : les travaux se penchant sur la meilleure façon de gérer l’électricité dégagent deux gros modèles. Soit on a recours à d’énormes centres, qui diffusent des puissances électriques monumentales sur des réseaux gigantesques et où on utilise à peu près 30 % de l’énergie pour chauffer le réseau (c’est-à-dire qu’on la perd en ligne). Soit on est sur des modèles totalement acentrés, où chacun produit un petit peu d’électricité servant à se chauffer (si nécessaire), ou à chauffer les voisins (si superflu). Les écolos se rendent compte, aujourd’hui, que ce second modèle est beaucoup plus efficace.

Résilience des réseaux

Ce modèle ressemble d’ailleurs beaucoup à d’antiques modèles de société, qui sont des sociétés beaucoup plus résilientes. Au XVIe siècle, la peste avait besoin d’un bon bout de temps pour aller d’une partie du pays à l’autre ; aujourd’hui, elle ne mettrait pas quinze jours… La résilience de ces réseaux, on la connait donc depuis très longtemps. Le grand intérêt des systèmes ultra-centralisés qu’on a commencé à construire au Moyen-Âge était de gagner en communication, en vitesse, de permettre à la civilisation de progresser beaucoup plus vite. Mais quand on arrive à l’extrême de ces modèles-là, on débouche sur le monde de la fin du XXe siècle. Soit des sociétés folles, qui sont devenues très fragiles – presque rien suffit à les faire vaciller. Des systèmes dangereux – à l’image des centrales nucléaires. Le problème est là.

Il en va de même en ce qui concerne les serveurs. Si vous avez chez vous un petit bout de serveur qui correspond parfaitement à la puissance dont vous avez besoin (soit moins de puissance qu’un iPhone pour la majorité des gens, c’est-à-dire une quantité d’énergie très limitée) : parfait. Pas besoin d’alimenter des bandes passantes énormes vers des serveurs qui sont à l’autre bout de la planète, stockés par centaines de milliers dans un data-center de 30 000 mètres carrés qu’il faut refroidir en permanence – pour peu que ce soit dans les déserts de Californie, il faut les climatiser….

L’efficacité énergétique est bien meilleure quand le réseau est décentralisé, il est même possible de l’alimenter avec un petit peu de photovoltaïque.

Essayez un petit peu d’alimenter un data-center avec du photovoltaïque, on va doucement rigoler…

Pour résumer : tel qu’il existe aujourd’hui, le coût énergétique du réseau est négligeable par rapport aux gains qu’il permet ; mais il est très important par rapport à ce qu’il pourrait être. Par contre, le coût énergétique des machines de Google – qui ne participe pas du réseau, mais des services – est tout simplement énorme. Vous saviez que Google, qui doit faire tourner peu ou prou dix millions de machines, était le deuxième ou troisième plus gros fabricant d’ordinateur au monde ? Juste pour ses propres besoins… C’est du délire.

D’autant qu’il s’agit d’un service dangereux et intrusif…

Bien sûr. Les atteintes à la vie privée opérées par Google sont inacceptables. Le côté monopolistique de la chose est épouvantablement dangereux. Pour le moment, Google se comporte relativement bien en terme de respect des libertés, mais il n’y a aucune raison que ça dure – donc ça ne durera pas. Google, c’est à deux doigts d’être Big Brother : il sait tout sur tout le monde, tout le temps.

C’est une vraie question : on a là un machin qui indexe la totalité de la connaissance en ligne, plus que n’importe quelle bibliothèque dans le monde. Qui indexe la totalité des échanges en public, comme s’il indexait toutes les conversations de tous les bistrots du monde. Qui indexe – pour peu que vous utilisez Gmail – votre messagerie personnelle, qu’il met en relation ou non, comme bon lui chante, avec la messagerie personnelle des gens qui vous ont écrit ou à qui vous avez écrit. Qui est capable de vous présenter des publicités ciblées, puisqu’il connaît toutes les recherches que vous avez effectuées et quels sont les liens que vous avez sélectionnés dans les résultats de cette recherche. C’est affolant…

Il y a une différence entre la vie du village, où tout le monde surveille tout le monde, et la société de Google, où Google surveille tout le monde. Une différence évidente. Dans la société du village, je suis tout le monde, je surveille mes voisins presque sans le faire exprès. Ok. Mais si un point – en l’espèce Google – surveille tout, et l’homme qui le contrôle bénéficie d’un pouvoir sidérant. C’est un vrai problème, beaucoup plus sérieux que tout le reste.

Verticalisation du Net

Il ne s’agit pas que de Google. Tout cela, ce que j’évoque ici, renvoie à un phénomène que je détaillais largement dans ma conférence sur le Minitel 2.0 : la verticalisation du Net. Celui qui tient le point d’émission décide de ce qu’on a la droit d’émettre. Un exemple super simple, dont je suis surpris qu’il n’ait pas fait davantage hurler : l’iPhone ou l’iPad, sur lesquels il est impossible de visionner du contenu pornographique. Les petites moeurs de Steve Jobs définissent ce qu’on a le droit de faire ou non sur un de ses appareils … C’est un objet que j’ai acheté, sur lequel je peux lire des contenus, regarder des images, visionner des vidéos, et je n’ai pas la liberté de choisir les vidéos en question ? C’est surnaturel ! Et tout ça parce que le patron de la boîte qui me l’a vendu trouve que « touche-zizi » c’est mal…

Nous sommes en plein dans le délire de la centralisation. Steve Jobs n’a pas encore imposé ses idées politiques, mais ça viendra. Et les gens ne réagissent pas, achètent quand même Apple ou choisissent Gmail pour messagerie. Le pire, c’est que ce sont parfois les mêmes qui prétendent défendre les libertés…

Comment renverser la vapeur ?

Il faut d’abord expliquer, faire des efforts de pédagogie ; les gens doivent par exemple comprendre combien Google est dangereux et apprendre à s’en passer. Il faut aussi se débrouiller pour que les outils deviennent plus simples d’usage.

Quand j’ai débuté sur le réseau, les gens considéraient compliqué d’envoyer un mail ; ce n’est plus le cas. Il faut espérer que cette évolution se poursuive. Par exemple : si dans un avenir proche, chacun pouvait s’héberger à domicile – c’est-à-dire posséder un petit serveur personnel – une bonne partie du problème serait résolu. Il n’y a là rien de difficile : n’importe quel accès Internet fixe permet en France d’héberger un serveur, il manque juste des outils simples d’utilisation. Si les gens comprenaient en sus pourquoi il est essentiel de s’auto-héberger, l’autre partie du problème serait réglée.

Nous n’y sommes évidemment pas. Mais cela progresse. Les geeks ont désormais compris qu’il fallait permettre la compréhension du plus grand nombre. Et ils ont aussi compris qu’il y avait effectivement un danger. Que Youtube est utile, mais dangereux. Que Facebook est ultra-dangereux. Que toutes ces plate-formes centralisées sont à éviter. Encore une fois, un bon moyen de les éviter tient à l’existence d’une masse critique acentrée.

C’est finalement étrange que ce combat pour un modèle acentré ne soit pas davantage porté par les sphères radicales…

C’est un problème : dans l’effort de sensibilisation actuellement mené, nous constatons qu’il existe certains publics que nous n’arrivons pas à atteindre. Pour moi, la question du réseau acentré devrait intéresser les gens de la sphère altermondialiste, écolo, libertaire, etc.

Protect the planet, save Internet

Toute la frange écolo ou altermondialiste devrait pourtant comprendre que le sujet est absolument central, que leurs débats perdent tout sens sans le réseau.

Internet est l’un des outils majeurs de la gestion de la fin du pétrole, parce qu’il réduit très largement les déplacements.

Si tu veux revenir dans une société où tu consommes local, ça signifie que tu ne passes pas ton temps à faire 200 bornes en voiture. Mais comment faire pour que ça ne corresponde pas à un déclin de l’humanité, c’est-à-dire à une baisse des connaissances scientifiques ou des savoirs techniques ? Comment feras-tu pour suivre des études universitaires en physique quantique si tu ne peux pas sortir de ton village de province ? Comment feras-tu pour que ta petite université de province ait accès à la totalité des savoirs scientifiques ? Sans le réseau, c’est impossible.

En centralisant, on avait appris à faire des choses qui n’étaient pas possibles avant : les grandes bibliothèques universitaires permettaient de stocker beaucoup plus de savoirs. Aujourd’hui, c’est l’inverse : impossible de réunir tous les savoirs tant les choses vont vite et tant les publications, en France comme à l’étranger, se sont multipliées. Et il n’y a plus que le réseau pour permettre un libre accès à toutes les publications scientifiques du monde, qu’elles traitent de physique, de mathématiques ou de chimie, qu’elles soient rédigées en hindou ou en italien. Il faut comprendre que le réseau sert à ça, à décentraliser, à t’offrir tout le savoir de l’humanité sans que tu n’aies besoin de te déplacer… Il est désormais possible de relocaliser le monde parce que ce qui avait été obtenu par centralisation – à savoir la réunion d’une grande masse de connaissances à un endroit, d’une grande masse de production à un autre – peut désormais être obtenu de manière acentrée avec le réseau.


Article initialement publié sur Article11 sous le titre : « Benjamin Bayart: “Il est désormais possible de relocaliser le monde” »

Crédits Photo FlickR CC: by-sa opensourceway / by-nc-sa Inmigrante a media jordana

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http://owni.fr/2011/08/10/benjamin-bayart-proteger-la-biodiversite-du-net/feed/ 23
Le lobby des opérateurs s’impose à Bruxelles http://owni.fr/2011/07/13/lobby-operateurs-bruxelles-europe-internet/ http://owni.fr/2011/07/13/lobby-operateurs-bruxelles-europe-internet/#comments Wed, 13 Jul 2011 16:19:29 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=73603 L’Internet du futur sera celui des opérateurs. La commissaire européenne en charge du numérique Neelie Kroes s’apprête en effet à trancher ce 13 juillet unilatéralement en faveur du scénario ficelé par les opérateurs de télécommunication pour “atteindre les objectifs du Digital Agenda for Europe. Une position allant au-delà des derniers communiqués de la Commission, plus ambigus, sur Internet.

Au menu, le programme rêvé des opérateurs: gestion différenciée du trafic Internet, promotion de plusieurs degrés de qualité de service, mais aussi participation des fournisseurs de services (autrement dit, les sites) au financement des infrastructures. Des recettes qui mettent à mort la neutralité, tout en faisant la nique à des géants comme Google. Portées depuis longtemps par les opérateurs, elles devraient finalement être actées ce jour par la Commission.

Un triumvirat telco-centré pour les diriger tous

Le 3 mars dernier, Neelie Kroes chargeait une quarantaine d’industriels du numérique, dont Steve Jobs et Xavier Niel, de réfléchir à des “propositions concrètes” pour “relever le défi de l’investissement en bande-passante”. Un “défi” qui est la pierre angulaire du discours des opérateurs, qui accusent des services tels YouTube (ou plus globalement le streaming vidéo) de saturer leur infrastructure sans qu’aucun investissement ne soit consenti de la part des éditeurs de contenus. C’est la date du 13 juillet qui a été retenue pour “confirmer ces propositions” à l’occasion d’une nouvelle réunion des big boss du net à Bruxelles. Et c’est Ben Verwaayen, Jean-Bernard Levy et René Obermann qui ont été missionnés pour chapeauter l’opération. Soit les PDG respectifs d’Alcatel-Lucent, de Vivendi (Cegetel-SFR) et de Deutsche Telecom. Un triumvirat telco-centré qui ne laissait rien présager de bon.

Intuition confirmée au vue de la teneur des onze recommandations dressées par le concile, strictement confidentielles, qu’OWNI révèle ci-dessus. Un document qui plaide en faveur d’une uniformisation européenne des “règles du jeu”, autour de “business models bifaces, basés sur des accords commerciaux” (point 6). Comprenez par là l’implication des géants du contenu dans le financement des infrastructures. Un appel à contribution plutôt clair, que l’on retrouve au point 8:

Des modèles de co-investissements seront promus (cela devrait impliquer au moins deux parties).

L’alibi du “best-effort”

Victoire des opérateurs donc, également valable du côté clientèle. Les utilisateurs européens devraient en effet se voir confronter prochainement à une politique de gestion du trafic Internet plus systématique. Si ces pratiques existent déjà, elles ne sauraient être tolérées au-delà d’impératifs techniques, du moins dans un cadre respectueux de la neutralité des réseaux. Ce qui n’est manifestement pas le cas de la Commission européenne, aujourd’hui phagocytée par les opérateurs.

5) L’Europe devrait promouvoir une différenciation dans la gestion de trafic afin de promouvoir l’innovation et les nouveaux services, ainsi que pour répondre à la demande de différents niveaux de qualité. Les business models devraient être basés sur une compréhension de l’offre de service en mode best effort.

Cette formule, floue et reprenant mot pour mot le discours d’opérateurs privés, risque de structurer toute une politique publique. On se demande ainsi qui, de ceux-ci, des internautes ou des sites, ont intérêt à “demander” une variation dans la qualité de service… De même, qui a intérêt à une promotion du modèle “best effort” ? Certainement pas l’internaute ou des sites gourmands en bande passante.

Le best effort sous-tend le fonctionnement du réseau depuis ses origines. Il signifie que le contenu d’Internet est délivré dans les meilleures conditions rendues possibles par l’état du réseau à l’instant t. Autrement dit, les opérateurs insistent sur le fait qu’ils font de leur mieux, et que si ça rame, c’est en raison de la structuration d’Internet. Vu le montant des investissements en jeu dans cette histoire, dans la bouche des SFR, Orange et autres, l’argument peut vite tourner au spécieux: “laissez-nous gérer nos tuyaux en paix et si ça ne va pas, c’est le réseau. Demandez à Google d’investir”. Le best-effort a bon dos.

Tout se passe comme si la multitude d’acteurs d’Internet était tout simplement effacée au profit du seul pôle télécommunications. Certaines parties prenantes de la discussion dénoncent l’unilatéralité des documents de synthèses, déclarant qu’ils ne représentent en rien la diversité des points de vue abordés.

D’autres documents, issus de sessions d’un groupe de travail dédié aux “nouveaux business models” vont également dans ce sens. L’intérêt des opérateurs y est brandi sans détours; des corrections, consultées par OWNI, y apportant la dose de diplomatie nécessaire à toute bonne discussion européenne. Il n’empêche: le propos reste le même.

In order to achieve the digital agenda targets, the European Union could should also accurately stimulate the digital agenda create a true level playing field between all digital players by more timely action. objectives in supporting the achievement of a true level playing field between all Internet ecosystem players – including OTTs providers. The diversity of the current national rules is a threat to the Digital Agenda objectives.

Afin d’atteindre les objectifs du digital agenda, l’Union européenne pourrait devrait aussi précisément porter les objectifs de cet agenda. mettre sur un véritable pied d’égalité tous les acteurs du numérique par des actions menées à temps. en encourageant un traitement égalitaire de tous les acteurs de l’écosystème Internet – fournisseurs de services inclus. La diversité des normes nationales actuelles constitue une menace pour les objectifs du Digital Agenda.

Corrections en date du 4 juillet.

Contactée hier par OWNI, Neelie Kroes n’a pas souhaité réagir. “Elle ne va pas préjuger la veille du résultat de la réunion de demain, déclarait un porte-parole. Quoiqu’il en soit, il ne faut attendre aucune conclusion”.

A voir, dans quelques heures.


Image de clé : Neelie Kroes, commissaire européenne en charge du numérique
Illustrations CC FlickR: Sebastiaan ter Burg, abbamouse

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Lebara, opérateur low cost des quartiers populaires http://owni.fr/2011/04/22/lebara-operateur-low-cost-des-quartiers-populaires/ http://owni.fr/2011/04/22/lebara-operateur-low-cost-des-quartiers-populaires/#comments Fri, 22 Apr 2011 14:02:24 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=58598 En quelques semaines du printemps 2010, Barbès, Belleville, La Chapelle (à Paris), le cours Belsunce (Marseille) et autres quartiers populaires de France ont connu un ravalement de façade sans précédent. Les vitrines mornes des taxiphones ont été recouvertes d’immenses stickers bleus et, à chaque arrêt de métro ou de tram, des gars et des filles du coin, casquettes et gilets assortis, glissaient dans les mains des passants des plaquettes de tarifs téléphoniques aux noms exotiques. Rien de bien neuf, en fait, la France venait de basculer dans le marché du premier « opérateur mobile virtuel ethnique » : Lebara Mobile.

371 millions d’euros de CA en 2009

Yoganathan Ratheesan, PDG et fondateur de la société, décrit modestement sa technique comme une « force extraordinaire et irrésistible ». Créée en 2001 à Londres, la société a commencé sa conquête du marché des appels de l’Europe vers les pays d’Afrique et d’Asie en Hollande, en chassant sur les terres d’un autre gros acteur du marché, Ortel.

Sa méthode : des tarifs à quelques centimes la minute et un « blitz » marketing dans les quartiers populaires des grandes villes avec distribution de prospectus et prospection des points de vente par des gens du coin issus des communautés majoritaires : Sri lankais à La Chapelle, Chinois à Belleville, etc. Benoît Chamoux, directeur marketing de Lebara France, revendique 14 à 15 origines nationales représentées parmi les 200 employés de la filiale :

Nous cherchons à être le plus près possible des lieux où habitent nos clients, de leurs habitudes, de leurs modes de consommation.

Après la Hollande et dans cinq autres pays européens, sans oublier l’Australie, Lebara s’est lancé en France. En janvier 2010, le groupe annonçait 371 millions d’euros de chiffre d’affaires pour 2009, soit 105% d’augmentation annuelle, pour une clientèle estimée à 2,5 millions de personnes. Depuis, un autre million d’individus auraient adopté les services de Lebara, appuyant les performances de l’entreprise, autofinancée : “nous n’avons que les trois actionnaires fondateurs qui nous abondent, chaque bénéfice contribue à notre croissance et à la réduction de nos coûts”, soutient Chamoux:

Nous sommes dans un système de forte économie d’échelle où l’augmentation de la clientèle nous permet d’être plus compétitif.

Aussi fort que Virgin Mobile

D’un point de vue technique, Lebara applique à la téléphonie mobile les vieilles techniques des opérateurs de réseaux mobiles virtuels (en anglais, Mobile Virtual Network Operator, MVNO) mais avec une botte secrète. Au lieu d’acheter comme les autres des minutes à l’international vers les pays demandés par ses clients, Lebara achète des minutes vers Londres où il dispose d’un « dispatcher » permettant de les réorienter lui-même dans la bonne direction.

En quelques années, la marque est devenue aussi puissante dans certains pays (notamment en Angleterre) que des opérateurs virtuels comme Virgin. En plus des opérations de “street marketing”, Lebara apparaît désormais comme sponsor des championnats du monde de cricket ou même derrière les buts de la dernière rencontre amicale France-Angleterre à Wembley, aux côtés des grands noms de la bière ou de l’électronique grand public.

En France, le marché a été plus difficile à conquérir. Branché sur le réseau Bouygues Télécom, Lebara doit son lancement tardif à quatre ans de négociation entre les différents opérateurs, “les tarifs proposés n’étaient pas viables mais nous avons su apporter des garanties qui nous ont permis d’obtenir la confiance de l’opérateur”, précise-t-on chez le MVNO. Chez Bouygues, pas un mot, “ces discussions tombent sous le coup du secret des affaires”.

“Les MVNO à destination des pays étrangers sont souvent profitables pour les opérateurs des réseaux, décrypte un cadre à l’international d’un groupe concurrent. Leur trafic est calibré sur les pics de consommation, tout ce qu’ils vendent en plus est du pur bénéfice“. Seul soucis avec Lebara : il applique les méthodes du low cost à un bien de consommation jusqu’ici réservé à une clientèle business, payant cash et cher… mais bien moins nombreuse.

Promos pour les révolutions arabes et la crise ivoirienne

En un an à peine, Lebara s’est glissé jusque dans les tabacs de quartier et les grands circuits de distribution de cartes téléphoniques prépayées. « Pas de chiffre » sur les ventes mais un fait : l’opérateur ethnique anglais y tutoie désormais les français historiques, SFR, Bouygues et Orange.

La raison en est simple pour Benoît Chamoux : « Nous avons une organisation très industrielle : au niveau technique, au niveau marketing, au niveau commerciale… Nous appliquons la même recette méthodiquement. Mais, au final, nous sommes surtout dans le marketing et la vente, l’infrastructure technique est réunis en Angleterre. » La tentative de résistance de son concurrent hollandais Ortel a été vaine : quelques bannières jaunes ont traversé le front des boutiques et des taxiphones… avant d’être avalées par le grand bleu. Selon le siège français de Levallois Perret, les effectifs marketing et vente sur le terrain sont évalués à 100 personnes.

Nous embauchons sur place, dans les quartiers, indique-t-on chez Lebara. Des CDD, de plus ou moins longue durée, mais souvent à des personnes qui n’auraient pas eu de travail autrement.

À son arrivée en France, le patron de Lebara n’a pas caché son intérêt pour ce marché de 5,7 millions d’immigrés et étudiants étrangers, « l’un des plus prometteurs d’Europe » selon un concurrent. Aussi, la société ne tarie pas d’efforts pour entretenir son capital sympathie/prix auprès des communautés : dans certains quartiers de Lyon ou de Paris, elle devient mécène d’associations, participe à des événements culturels… Pour les révolutions arabes et les crises africaines, elle a même lancé des tarifs promotionnels :

Un centime vers l’Algérie, le Maroc ou le Côte d’Ivoire, précise Benoît Chamoux. On ne gagne pas beaucoup d’argent dessus mais c’est important de permettre aux familles d’être en contact dans ces périodes.

Mais la dernière invention de Lebara va peut-être l’amener à une autre échelle : après avoir signé un partenariat avec MasterCard, le MVNO a fait part de son intention de se lancer sur le marché du transfert d’argent. Une manne pour l’instant principalement capté par Western Union, lui-même versé dans la communication aux communautés avec ses affiches multilingues et ses caissiers polyglottes. Un nouvel horizon vers lequel la société britannique s’avance prudemment mais sûrement. Une nouvelle façon de faciliter les liens entre la diaspora et le pays d’origine. Des liens low cost, évidemment.


FlickR CC Paternité Herederos de Rowan et Paternité FaceMePLS

Téléchargez I’image de Une par Marion Boucharlat /-)

Retrouvez les articles de la Une “le business des télécoms au Magrheb” :

Le bon filon des télécoms maghrébins
Ben Ali: les compromissions d’Orange en Tunisie

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http://owni.fr/2011/04/22/lebara-operateur-low-cost-des-quartiers-populaires/feed/ 9
Eric Besson vs les concepts fondateurs du Net http://owni.fr/2011/02/22/eric-besson-vs-les-concepts-fondateurs-du-net/ http://owni.fr/2011/02/22/eric-besson-vs-les-concepts-fondateurs-du-net/#comments Tue, 22 Feb 2011 07:30:34 +0000 Bluetouff http://owni.fr/?p=46059 Ndlr : Cet article est à prendre avec du recul suite notamment à la polémique entre Orange, Cogent et Mégaupload. Le 14 février, Octave Klaba, le patron d’OVH annonçait finalement avoir rencontré SFR qui lui a assuré qu’il n’y aurait pas de facturation du peering.

La neutralité du Net semble être un concept de plus en plus fumeux pour les fournisseurs d’accès français. Les débats qui se tenaient l’année dernière à l’ARCEP ne laissaient rien présager de bon, mais après l’affaire Orange / Cogent / Megaupload / reste du monde, aujourd’hui, un nouveau pas semble franchi par SFR pour flinguer un peu plus l’Internet français. Mais est-ce réellement SFR qui tire les ficelles ?

ITespresso qui suit de près le dossier Net Neutrality a consacré un très bon article à cette nouvelle guerre qui oppose les étranges position d’SFR à celles d’OVH, un poid lourd de l’hébergement fraîchement arrivé dans ce monde fou, fou, fou, des fournisseurs d’accès à un Internet que certains voudraient civiliser. C’est par les pixels d’Octave Klaba, fondateur et directeur technique d’OVH qu’a été rendu public ce qui semble bien expliquer une manoeuvre qui dépasse le seul cadre du business entre opérateurs. Est-ce que ce nouvel épisode mettra un terme à l’opacité des politiques de peering qui régissent les relations entre “petits” et “gros” opérateurs ? Rien n’est moins sûr… car ce nouveau malaise puise peut-être ses origines dans cette dimension parallèle que peut être le cerveau de personnes qui se sont mises en tête de réguler un monde qu’il ne connaissent pas.

SFR serait il en service commandé pour le Ministre Besson ?

La question mérite effectivement d’être posée, et Octave Klaba la pose d’ailleurs sans détour sur les forums publics d’OVH. Selon le dirigeant d’OVH, SFR souhaiterait faire payer le peering à OVH. Comme nous vous l’avons déjà expliqué dans ces pages, traditionnellement, le peering se fait par le biais d’accords entre opérateurs et est habituellement gratuit. Certes, certains opérateurs ont bien essayé de faire payer des fournisseurs de contenus lourds (on se souvient par exemple de l’affaire qui opposa en 2007 Neuf Cegetel et Dailymotion), mais entre fournisseurs d’accès dont l’utilisation du peering est raisonnable (OVH héberge principalement des pages Web et non des contenus “lourds” de types vidéo), c’est fort curieux… et de fait, ceci a de quoi légitimer les interrogations d’Octave Klaba.

Plan Grand Comique 2012

En lisant ceci, comme le dirigeant d’OVH, on se doute bien que la vérité est ailleurs. Chose détestable, cette vérité serait la piste Bercy. C’est une fâcheuse habitude que nous avons à Reflets, d’anticiper le consternant résultat de la pseudo gouvernance de Bercy sur l’Internet français.
Le ministère de l’Industrie et des finances est-il en train de devenir une souche cancéreuse de notre Internet ? Ce réseau s’est toujours très bien porté sans l’interventionnisme de l’État. Aujourd’hui, depuis que Bercy met son nez dans les relations entre CDN, opérateurs de contenus et fournisseurs d’accès, nous assistons à une dégradation significative des rapports entre ces différents acteurs. Pire, en décrétant quasi unilatéralement que les opérateurs de service prennent à leur charge le financement du réseau, Éric Besson est juste en train de foutre en l’air un splendide vivier d’emplois.

Nous ne manquerons pas au passage de demander à monsieur le ministre où il en est avec son plan Numérique 2012 dans lequel il promettait non pas monts et merveilles à l’Internet français mais le minimum syndical pour permettre à la France de rester compétitive en termes de création de services numériques à valeur ajoutée.
A savoir, le déploiement du “très” haut débit… un pauvre 100 mégas là où les autres sont en train de déployer du Gigabit. Comble de l’ironie, la situation actuelle, nous l’avions bien anticipée… et à ce stade, croyez nous, avoir raison ne nous fait pas le moins du monde plaisir. Il faut se rendre à l’évidence, Éric Besson est un très mauvais ministre pour le numérique, il n’y est pas à sa place, qu’il conserve les finances et l’industrie s’il le faut véritablement, mais de grâce, qu’il foute la paix à Internet…

La Net économie française en danger ?

Nous risquons de payer cher, très cher, cette attitude irresponsable de Bercy. On en viendrait presque à se demander si ce n’est pas là une vendetta ministérielle suite à l’affaire Wikileaks. On se souvient effectivement qu’OVH hébergeait (il n’était en fait qu’un prestataire technique) Wikileaks en pleine crise des câbles diplomatiques et qu’Éric Besson, sans aucun fondement juridique, avait appelé à ce que Wikileaks ne soit pas hébergé en France. Cette hypothèse est également loin d’être idiote quand on met la met en perspective des appels au meurtre de certains membres du Congrès américains. Wikileaks a fait bien plus que cristalliser des passions, il a été en mesure de réveiller de bons vieux réflexes totalitaristes dans les plus grandes démocraties du monde.

Ce que Bercy semble avoir beaucoup de mal à comprendre, s’il est bien derrière la nouvelle lubie de SFR, c’est que les créateurs de contenus, s’il n’y a plus d’hébergeur compétitif comme OVH en France, iront déséquilibrer un peu plus les liens de transit en allant s’héberger chez des hébergeurs discount dans les clouds de Google ou Amazon. Une fois que ces géants auront aspiré la seule chose dont la France peut encore espérer de s’enorgueillir au niveau numérique (sa créativité), Bercy aura réussi un véritable tour de force : anéantir la Net économie française.

C’est triste d’en arriver là, mais nous préférions presque l’inutilité d’une Nathalie Kosciusko Morizet à l’irresponsabilité et à l’incompétence d’Éric Besson, qui n’hésite pas un instant à s’essuyer les pieds sur les principes fondateurs du Net, sans lesquels “son marché” s’écroulera, à savoir la neutralité du Net et la liberté d’expression condition non négociable du véritable fond de commerce du Net, les “user generated contents”.
Quand ce dernier affirme qu’« Un absolutisme de la neutralité nuirait au développement des services et se retournerait contre l’objectif qu’il entend poursuivre », outre le fait que le ministre prouve ici par A+B qu’il ne sait pas de quoi il parle, il avoue effectivement à demi-mot que la France n’a pas les tuyaux de ses ambitions. Ambitions qu’il a pourtant lui même inscrit dans le marbre avec son plan Numérique 2012… une vaste fumisterie que nous avions déjà dénoncé… en septembre 2009 !

Monsieur Besson SVP, lisez ceci, et prenez le bien directement pour vous.

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Publié initialement sur Reflets.info sous le titre Éric Besson a décidément un peu de mal avec les concepts fondateurs du Net
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Crédits photo via Flickr : Régis Frasseto, cc-by-nc-sa ; Kjd, cc-by-nc-nd ; Don Solo [cc-by-nc-sa]

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@VincentVQ: @nk_m: Tu viens? http://owni.fr/2010/02/12/vicentvq-nk_m-tu-viens/ http://owni.fr/2010/02/12/vicentvq-nk_m-tu-viens/#comments Fri, 12 Feb 2010 09:07:24 +0000 Damien Van Achter http://owni.fr/?p=8073 Titre original:

“Vers une Europe des Telecoms ?”

Le ministre belge Vincent Van Quickenborne, en charge de l’Economie et des Technologies de l’Information et de la Communication, nous a accordé ce jeudi un entretien via Skype. Nous sommes bien sûr revenus sur le tweet et la photo qu’il a envoyé sur le réseau alors qu’il participait à un conseil des ministres, suscitant diverses réactions, dont celle du premier Ministre Yves Leterme.

(Activez le plein écran)

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au-delà de cette anecdote, le ministre a répété sa volonté d’en finir en Belgique avec les quotas de transferts de données sur internet d’ici 2011 et sa satisfaction à l’idée de voir arriver avant la fin de l’année un 4ème opérateur internet mobile (avec une mise aux enchères de cette licence à un prix minimum de 40 millions d’euros). M. Van Quickenborne a également annoncé qu’il mettrait à l’agenda de la prochaine présidence belge de l’union européenne une réflexion sur l’unification du marché des Télécommunications.

Ce que nous avons fait avec l’euro pour la monnaie, nous devons le faire pour les télécoms“, a-t-il expliqué, en prenant l’exemple des coûts de roaming appliqué par les opérateurs nationaux en ce qui concerne l’internet mobile.”La marge de ces opérateurs, entre 95 et 99 %, est proprement scandaleuse !‘ Il espère à cet effet rencontrer dans un futur proche ses collègues européens, et notamment la ministre française en charge des Développements numériques, Nathalie Kosciusko Morizet (elle aussi présente sur Twitter) afin de mettre en place, avec la commissaire en charge de cette matière, la néerlandaise Nellie Kroes, un plan digital 2010- 2015  pour l’Europe

Article publié à l’origine sur le RTBF Labs

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