[ITW] Industrie musicale : un goût pour l’auto-destruction ? (2/3)

Le 4 septembre 2010

Kyle Bylin a rencontré Steve Knopper, journaliste à Rolling Stone et auteur d'un ouvrage sans concessions sur l'industrie du disque. Une vision précieuse dont voici la seconde partie.

Kyle Bylin, blogueur américain, a rencontré Steve Knopper, contributeur du magazine Rolling Stone et auteur de “Appetite for self-destruction : The spectacular crash of the record industry in the digital age”. (Le goût de l’auto-destruction : comment l’industrie de la musique a explosé en plein vol à l’heure du numérique). Voici la seconde partie de cet entretien. La première partie de cette interview est disponible ici.


Kyle Bylin : Dans Cognitive Surplus, Clay Shirky écrit : “Lorsqu’une technologie nouvelle apparaît, il faut qu’elle trouve sa place dans la société d’une manière ou d’une autre”. Il existe une dichotomie certaine entre l’industrie du disque traditionnelle et le business model du futur dans leur attitude vis-à-vis des avancées technologies et de leur vonlonté de l’intégrer en leur sein.

C’est peu de le dire, mais l’industrie du disque traditionnelle n’est pas vraiment fan des petits malins qui se la jouent radicaux et qui essaient de révolutionner le business model que celle-ci a passé des décennies à perfectionner, améliorer et protéger.

D’autre part, le business model du futur incite les entreprises et les consommateurs à lâcher les vieux modèles et à mettre autant de bordel que possible en adoptant les nouvelles technologies, comme le dit Shirky.


Comment définiriez-vous cette dichotomie entre l’industrie du disque traditionnelle et celle du business musical du futur en ce qui concerne leur approche des nouvelles technologies ?

SK: Je pense qu’il vous faudrait définir “le business musical du futur”. Faites-vous référence à ce qu’ont fait Radiohead, Topspin, Amanda Palmer, Warner Music Group, les sites de vente en ligne comme iTunes ou Amazon ou encore la vague coalition mettant la musique en accès libre et incarnée par MySpace, Google, Spotify etc. voire les sites de partage de fichiers ?
L’industrie du disque traditionnelle adopte actuellement certaines de ces initiatives et arrive même à créer de la valeur grâce à des idées comme Vevo, ou en faisant jouer la concurrence entre iTunes et Amazon, ce qui entraine des prix plus bas pour les consommateurs de musique en ligne.

Globalement, je dirais que l’industrie du disque se porterait bien mieux si elle avait à sa tête un visionnaire high-tech, quelqu’un qui comprenne que l’ancien modèle est mort et que fabriquer des tubes à la Jimmy Iovine ne va pas permettre au modèle de rester à flots pour les 30 années à venir.

KB : Pour Shirky, le grand paradoxe tient au fait que “ceux qui se battent pour résoudre un problème spécifique font aussi tout leur possible pour que ce problème demeure, afin que la solution qu’ils proposent reste viable”. Ainsi, il avance qu’ “on ne peur pas demander à ceux qui dirigent les systèmes traditionnels de voir le bon dans les nouvelles technologies. Ceux qui s’emploient à garder le système actuel sur pieds ont du mal, dans l’ensemble, à considérer qu’un élément qui’ils jugent perturbateur puisse avoir la moindre valeur.”


De quelle manière ce paradoxe influence-t-il le comportement des dirigeants du secteur de disque par rapport aux nouvelles technologies, et ceux-ci ont-ils du mal à envisager que ce qui bouscule leur business model principal puisse avoir de la valeur ?

SK : Depuis Napster, les gros bonnets de l’industrie, et en particulier Doug Morris de chez Universal, nous disent : “On ne pouvait pas anticiper les problèmes, nous ne sommes pas ingénieurs”. Dans mon livre en revanche j’avance qu’un grand nombre d’employés du secteur (les Robin Betchels et autres Erin Yasgars) ont compris qu’il y avait des oppportunités à saisir en travaillant avec Napster et en développant le marketing musical en ligne. Ce sont eux qui criaient à Doug Morris et consorts de faire attention.

“Genre, ce serait bien que vous écoutiez vos propres employés, non ?”

De manière plus générale, je crois que je préfère laisser la parole à Andrew S. Grove et à son ouvrage Only The Paranoid Survive (Seuls les paranoïaques survivent). Il y expose les points d’inflexion stratégique (les moments où une industrie fait face à un nouveau défi technologique et doit s’y adapter ou péricliter) et illustre son propos de cas concrets, distingant ceux qui les ont bousillés (par exemple Apple dans les années 90, avant que Steve Jobs ne reprenne le groupe en main pour développer l’iPod et l’iPhone), et ceux qui s’en sont servis pour croître encore plus (c’est à dire Intel, sa propre entreprise, et à mon avis l’industrie du cinéma avec la VHS).

Pour moi, quand les patrons de l’industrie du disque disent “on n’a rien vu venir”, c’est une excuse bidon.

Au final c’est pour ça que les équipes dirigeantes des labels d’aujourd’hui (les mêmes qui avaient “tué” le point d’inflexion stratégique à l’époque de Napster), ne risquent pas de se transformer en ingénieurs ou même en dirigeants visionnaires à l’origine d’un nouveau business model.

KB: Un écosystème numérique nouveau et plus désordonné est en train d’émeger, nourri en premier lieu par un public dispersé aux quatre coins du web et qui a découvert avec enthousiasme des artistes dont il ne soupçonnaient même pas l’existence.


Quels impacts le comportement de l’industrie du disque vis-à-vis de la technologie aura-t-il dans le cadre de ce nouvel écosystème ? Font-ils entrave au développement d’une culture qui aujourd’hui, pourrait bien être leur seule planche de salut ?

SK : Je ne pense pas que l’industrie du disque ne fait pas entrave aux nouvelles technologies de manière aussi agressive qu’il y a 10 ou même 5 ans, à l’époque où sa seule stratégie web était d’attaquer tout le monde en justice et de coller des DRM sur tous les CD et titres numériques.

Aujourd’hui, le problème tient davantage à un manque d’innovation ou d’anticipation.

Les labels sont d’accord pour autoriser des services comme Spotify ou MOG à utiliser leurs catalogues, mais seulement contre (forte) rétribution (qu’ils ne partagent pas avec les artistes), mais ils refusent d’être proactifs et d’essayer de nouvelles façons de faire (sauf si vous considérez les deals 360° qu’ils font signer). EMI a essayé pendant un moment, lorsqu’ils ont enbauché Corey Andrejka et Douglas Merrell mais tout ça est parti en sucette quand les caisses de l’entreprise se retrouvées à sec.

J’aimerais bien que d’autres labels fassent pareil : embaucher des visionnaires et leur donner toute lattitude pour mettre en oeuvre de nouvelles idées et même échouer sur certaines. Les majors sont pour la plupart toujours dirigées par des mecs de la vieille école qui étaient déjà aux commandes au moment des grosses erreurs commises sous l’ère Napster, de Doug Morris à Edgar Bronfman en passant par Howard Stringer et Rolf Schmidt-Holtz.

Article initialement publié sur Hypebot.com et traduit par Loïc Dumoulin-Richet

Crédits photos : CC flickr Kumar Appaiah & Mykl Roventine & Rust.bucket

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