Tim Berners-Lee:|| “Les gouvernements devraient encourager l’ouverture des données”

Le 1 décembre 2010

De l'ouverture des données publiques à l'avenir du réseau en passant par HTML 5, retour sur ce que devient le web avec l'un de ses principaux inventeurs.

A l’occasion d’une conférence annuelle du W3C qui s’est tenue le 2 novembre dernier à Lyon, la rédaction du MagIT a rencontré Tim Berners-Lee, le père du Web et un des patrons du consortium. Au programme, le Web sémantique, l’ouverture des données, HTML 5 et la fondation W3. Tim Berners-Lee livre aussi sa réponse à l’article de Wired (“Le Web est mort. Vive Internet”).

Le Web sémantique évolue-t-il au rythme que vous espériez ?

Tim Berners-Lee : Je n’avais pas de prévisions à proprement dit. On ne peut pas prédire le futur et savoir véritablement comment les choses évoluent. Je pense en revanche que le Web sémantique s’inscrit dans une croissance exponentielle. Il y a quelques années, lorsque nous avons commencé à parler des Linked Data [un concept qui consiste à relier les données entre elles via le Web et non plus uniquement des pages - le principe même du Web sémantique, NDLR], les gens ont été quelque peu surpris car ils avaient une idée très simple de ce que cela pouvait être, illustrant du coup la nature essentielle du web sémantique. Il existe de très bons et nombreux outils autour du Web sémantique. Les Linked Data, qui demeurent très importantes pour les données publiques des gouvernements, sont une idée relativement simple qui génèrent beaucoup d’enthousiasme.

L’approche sémantique émerge également sur le desktop, comme Nepomuk (un projet de desktop sémantique qui fait une première apparition dans Mandriva 2010), peut être plus rapidement sur le Web. Pourquoi ?

TBL : Ce qui est intéressant dans les Linked Data, c’est qu’il s’agit d’une technologie d’intégration très puissante, qui permet notamment d’intégrer tout forme de technologie : des bases de données, des fichiers XML, des agendas, voire des cartes de visites électroniques. Les bénéfices de cette approche? Avoir sous la main votre vie, tout votre environnement où toutes les données importantes sont connectées entre elles. Avec Nepomuk, ils ont réalisé cette prouesse sur les données privées. Et les données privées sont une partie capitale du Web sémantique. J’utilise moi-même le principe des Linked Data à titre personnel, et il existe probablement d’autres personnes qui le font, mais on ne le sait pas. Et c’est la même chose en entreprise : les données personnelles de l’entreprise sont manipulées à l’intérieur du firewall. On ne sait donc pas que le Web sémantique est finalement utilisé. Les journalistes n’écrivent donc pas dessus. En revanche, ils s’intéressent aux Open Data Cloud, un cloud de données ouvertes pour les gouvernements par exemple. Il existe tout un spectre entre ce qui est public et ce qui est personnel. […] Les entreprises peuvent copier ses données et les utiliser dans leur système d’information.

Quel est aujourd’hui le niveau de maturité des outils en place ?

TBL : Quand on considère le Web sémantique, développer de nouveaux outils est toujours fascinant, tout se connecte et s’auto-alimente. Développer les Open Linked Data est une de nos principales priorités, car il existe tellement de données éparpillées et que grâce à ce procédé, seule la valeur de la donnée compte. Et pas seulement pour les gouvernements, mais également pour la chaîne de valeur par exemple. Il existe une véritable valeur à publier ses données.

Toutefois, je pense qu’il existe encore un marché pour des outils plus puissants. Dans le domaine des interfaces utilisateurs, des outils qui permettent de naviguer dans ces données […] et de mieux les présenter. Il existe une véritable valeur à ouvrir les données, mais une fois ces données connectées entre elles, comment l’utilisateur doit les explorer, comment lui faire passer l’information, pour ensuite produire une analyse pertinente, selon les besoins et les métiers. Les spreadsheets existent bien mais ne sont pas suffisamment performants pour donner du sens à un pool de données.

Tim Berners-Lee, prophète de l'open data?

Les  gouvernements européens devraient-ils davantage exposer leurs données publiques – ce qui est très lié aux projets d’e-administration ?

TBL : Oui bien sûr, ils devraient encourager cette ouverture car tout le monde y est gagnant et cela apporte de meilleurs services aux citoyens. Les gouvernements sont parvenus à résoudre les problèmes de production des données, ils doivent aujourd’hui aller plus loin. […] Donc oui je pousserais les gouvernements à développer les données publiques sur le Web. Mais ces données, liées aux fonctionnements du pays, ne sont qu’une partie de l’Open Data Cloud. Des données géographiques, sur les CDs, les artistes, les découvertes en matière de santé: il existe un grand nombre de type de données prêtes à être publiées sur le Web.

Le degré d’ouverture est-il aujourd’hui suffisant ?

TBL : En France, il y a le cadastre par exemple. La Commission européenne est également très intéressée par l’ouverture des données, pour notamment informer sur l’état des pays en cas de voyage dans Union européenne. En 2009, aux Etats-Unis comme au Royaume Uni, des projets comme data.gov ont été un vrai succès, engageant une compétition transatlantique. […] Ces projets sont certes globaux, mais les données locales sont également très importantes, regardez le cadastre en France. Cette classification n’est pas implantée dans tous les pays. Certains concepts sont nationaux, d’autres mondiaux. […]

Quel conseil donnerez-vous aux développeurs Web concernant HTML 5 ? Attendre que les spécifications soient finalisées pour les intégrer dans leurs développements, ou y passer dès maintenant ?

TBL : Ils doivent dès aujourd’hui s’intéresser à  HTML 5. Il est vrai que les travaux sont encore en cours de standardisation, certaines spécifications sont plus stables que d’autres, mais un bon développeur écoute toujours où se portent les débats, où en sont les travaux du W3C, quels éléments sont susceptibles de changer. Il est important de comprendre l’étendue des possibilités de HTML 5. Il est également nécessaire de comprendre le calendrier d’implémentation des fonctions dans les différents navigateurs. Mais HTML 5 est conçu pour rester compatible avec l’existant. Donc voici mes conseils : apprenez le, utilisez le, expérimentez. Vous comprendrez également vers quelle direction se dirige le standard, et si vous le souhaitez, prenez part aux débat du groupe de travail au W3C. Les travaux sont certes en cours, mais des éléments de HTML 5 sont aujourd’hui largement stables.

Comment se porte aujourd’hui votre fondation W3 ?

TBL : Aujourd’hui, 20% seulement de la population mondiale utilise le Web. Il en reste encore 80%. L’avons-nous développé uniquement pour nous ? A-t-il été développé par les pays développés pour les pays développés ? Nous avons donc décidé de monter cette fondation pour répondre à cette question, dont la portée est plutôt très large. Nous avons été très chanceux d’obtenir une première subvention sur cinq ans de la part de la Knight Foundation, pour démarrer. Nous avons commencé à regarder comment combler les fossés qui existent entre ceux qui ont accès au web et ceux qui ne l’ont pas. Et il existe des résultats intéressants. Dans les pays en développement, on mise en premier sur l’apport de l’eau, des soins médicaux puis on favoris les développements économiques. Mais Internet est considéré comme un luxe. Pourtant, il ne doit pas être pris de la sorte: il doit être vu comme un élément indispensable auquel les gens doivent avoir accès. Avec une connexion bas débit, ils peuvent trouver un emploi, obtenir de l’information sur leur environnement, l’utiliser pour partager des informations sur la santé. L’idée est que ces personnes entrent dans “l’Internet Society”. La Web Foundation travaille en ce sens. Nous nous concentrons aujourd’hui sur l’Afrique, mais la portée est bien plus vaste. Et portera également sur l’accès à Internet dans les pays développés.[...]


LeMagIT : La magazine Wired a décrété la mort du Web, invoquant notamment le schéma des applications mobiles qui ne donnent plus accès au Web et aux pages HTML,  mais aux seules applications qui sont elles-mêmes connectées à Internet. Quelle est votre position ?

Article initialement publié sur LeMagIT, sous le titre “Tim Berners-Lee : ‘les développeurs doivent s’intéresser dès aujourd’hui à

HTML 5′”

Illustration CC FlickR par Dunechaser, Documentally

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