Internet et sida, ||même prescription scolaire?

Le 28 mars 2011

Les interventions proposées par les officines pour traiter un établissement en une journée ne dispensent pas l’École de construire un véritable enseignement sur Internet. Tribune d'Odile Chenevez, coordonnatrice CLEMI dans l'académie d'Aix-Marseille.

[Tribune initialement publiée en octobre 2007] Les élèves qui arrivent aujourd’hui à l’âge du lycée ne veulent plus entendre parler d’éducation à la sexualité. Ils ont le sentiment de tout savoir sur un sujet qu’on leur a servi chaque année de collège sous l’angle de la prévention contre le sida. Ce sont toujours des intervenants, partenaires associatifs, et extérieurs, qui s’y collent avec un dévouement d’acier, une mission louable et des outils de démonstration vaillamment décomplexés…

Ces interventions sont souvent parfaites dans leur organisation. Animées avec talent, elles recueillent l’adhésion du système scolaire, qui trouve là un palliatif pour un contenu à enseigner indispensable, et d’ailleurs annoncé dans le programme de SVT des collèges1 : « Adopter une attitude raisonnée fondée sur la connaissance et développer un comportement citoyen responsable vis-à-vis de l’environnement et de la santé (choix personnels et comportements collectifs). »

Il est en effet plus confortable d’abandonner la dimension concrète de cette approche à des associations spécialisées. Ces interventions sont souvent détachées du reste de l’activité d’enseignement et proposées comme une information sur les risques et les bons comportements. Elles reviennent à la transmission d’une doxa, et ne constituent pas un enseignement, qui supposerait une approche plus longue, mieux intégrée et contextualisée, dans une relation aux savoirs où les élèves ne sont pas un auditoire passager d’un spectacle (au mieux) interactif. Les enseignants qui ont assumé d’intégrer la question du sida à leur enseignement le savent bien, même, et surtout, s’ils l’ont fait sous la forme d’un IDD ou d’un TPE où le recours à un intervenant est possible mais ne constitue pas l’unique modalité de l’étude.

Une solution « clés en main »

Ce phénomène, qui consiste pour l’école à se décharger sur des intervenants associatifs de certaines questions vives de la société, touche également le problème des risques liés aux usages d’Internet. Certaines officines ont trouvé là une véritable mission alimentée par la pléthore de peurs qui entourent le sujet. L’association la plus en vue actuellement sur cette question se nomme Calysto et a entrepris un Tour de France des collèges et des écoles pour y délivrer une théorie de bons comportements sur Internet aux élèves comme à leurs enseignants et leurs parents. L’intention est louable et les retours des participants très positifs si l’on en croit les multiples témoignages de satisfaction de chefs d’établissement sur le site web de l’opération. Sa mission est effectivement salutaire, puisqu’elle se définit ainsi :

« Concernant les collégiens, cette opération a pour but :
– d’aiguiser leur sens critique vis-à-vis de ce média et de ses contenus ;
– d’éveiller leur curiosité afin de diversifier les pratiques d’Internet ;
– de les sensibiliser aux risques encourus et de les aider à développer une démarche “morale et citoyenne”.
Concernant les parents et enseignants, cette opération a pour but :
– de leur présenter les usages des collégiens ;
– de les accompagner, les rassurer et les informer des enjeux et des risques liés à l’utilisation d’Internet ;
– de développer la réflexion autour d’une approche pédagogique complémentaire entre les usages d’Internet au collège et ceux pratiqués à la maison. »

Pour tout cela, Calysto propose une solution « clés en main » d’une journée, au modeste prix de 299 euros, avec, comme au restaurant, deux formules au choix.
« Formule 1: pour voir un maximum de collégiens (Option 1 : Internet ; Option 2 : Le téléphone mobile) :
– 5 fois 1 heure, soit 5 séances “collégiens”. Horaires : 10 h-12 h/14 h-17 h ;
– 1 fois 1 h 30, soit 1 séance “parents/professeurs”. Horaires : 18 h-19 h 30 ;

Formule 2 : pour une approche approfondie/Internet et le téléphone mobile :
– 3 fois 2 heures, soit 3 séances “collégiens”. Horaires : 8 h-12 h/14 h-16 h ;
– 1 fois 1 h 30, soit 1 séance “professeurs”. Horaires : 16 h-17 h 30. »

La page d’accueil du site présente une bannière clignotante en gros caractères : « Un élève renvoyé/Propos racistes à l’égard d’un professeur sur un blog/M. Rivoire, le principal du collège, témoigne ». La bannière, cliquable, renvoie sur la rubrique des témoignages, où se déclinent les peurs que suscite Internet, les adultes « dépassés » et l’excellent travail accompli par l’animateur. Rarement les chefs d’établissement interrogés font le lien avec une activité menée par le collège pour donner une suite à l’intervention, par exemple la rédaction d’une charte informatique.

Le soutien du ministère de l’Éducation et de la délégation aux usages d’Internet appuie la crédibilité de ces actions, et les collectivités territoriales ne rechignent pas à leur financement. Le prix à payer reste modeste pour un « clés en main » qui annonce un tel programme, avec un animateur « autonome », qui vient avec son ordinateur et son vidéoprojecteur et remet à chaque élève une brochure reprenant les conseils de l’intervention. En une journée, le « collège-étape » est traité, sans rien avoir à organiser. On laisse ainsi à la « vraie » école, rassurée d’avoir formé les élèves, le temps de s’occuper des choses sérieuses : les programmes disciplinaires.

Les préconisations du socle commun

Pourtant le quatrième pilier du socle commun des connaissances et des compétences (la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication) précise : « Ces techniques [celles de la culture numérique] font souvent l’objet d’un apprentissage empirique hors de l’école. Il appartient néanmoins à celle-ci de faire acquérir à chaque élève un ensemble de compétences lui permettant de les utiliser de façon réfléchie et plus efficace. »

Et il donne un cadre scolaire à cet apprentissage : « Les connaissances et les capacités exigibles pour le B2i collège (Brevet informatique et internet) correspondent au niveau requis pour le socle commun. Elles sont acquises dans le cadre d’activités relevant des différents champs disciplinaires. »

Quant aux attitudes attendues, elles sont énoncées ainsi : « Le développement du goût pour la recherche et les échanges d’informations à des fins éducatives, culturelles, sociales, professionnelles doit s’accompagner d’une attitude responsable – domaine également développé dans la définition du B2i – c’est-à-dire :
– une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible ;
– une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs. »

Elles correspondent aux objectifs que l’intervention de Calysto prétend atteindre en une ou deux heures de travail avec les collégiens.

Information n’est pas enseignement

Or il est clairement impossible, si l’on veut répondre aux préconisations du socle commun, d’espérer régler cette question en la déconnectant de la patiente approche au quotidien de la classe. Impossible aussi d’oublier qu’un enseignement suppose une organisation didactique bien plus différenciée qu’une simple séance d’information. Il s’agit de mettre les élèves dans des situations variées où ils rencontreront des questions, où ils trouveront des réponses parfois contradictoires, où ils devront prendre des positions et les défendre ou apprendre de nouvelles techniques. Sur des questions aussi vives que celles de la culture numérique, il importe que les réponses se construisent patiemment et mettent en avant le débat de société sous-jacent. Si donc une intervention du Tour de France peut être intégrée à cette approche, elle ne peut en aucun cas libérer l’école de son obligation d’un enseignement construit de ces questions, jour après jour au cœur des disciplines.

Quelle place pour l’« éducation à… » ?

C’est bien la même problématique que rencontrent les multiples dispositifs d’« éducation à… » qui frappent aujourd’hui aux portes de l’École. Ils se nomment éducation à la santé, à la citoyenneté, à l’environnement et au développement durable, aux médias, aux risques d’Inter- net, etc. Un certain consensus existe sur le fait qu’il s’agit de répondre à des besoins de savoirs essentiels au citoyen d’aujourd’hui, mais un autre consensus, bien plus coriace, refuse de leur donner une vraie place au sein des sacro- saintes disciplines scolaires. Ils sont pourtant l’occasion de donner une réalité d’aujourd’hui à bien des savoirs de tradition disciplinaire.

On accumule donc, dans les corridors et les placards, diverses « éducations à… », pressantes, qui cherchent leur place dans les interstices scolaires, de préférence auprès des élèves en difficulté. Les autres auraient-ils mieux à faire ? Elles vivent dans les marges du facultatif, de l’option, du club, avec d’ailleurs des résultats fort intéressants pour ceux des élèves qui y participent. Et lorsque l’urgence est là, comme pour ce qui concerne Internet, le sida ou les drogues, lorsque les comportements de mises en danger des élèves sont réels, on se tourne vers la figure de l’intervenant associatif capable de rassurer toute une équipe éducative en une heure d’intervention devant les élèves.

La prestation, souvent de qualité, de ces intervenants peut malheureusement amener à confondre temps d’information et véritable enseignement. En une heure ou deux, avec des élèves qu’il ne reverra jamais, que peut faire d’autre un intervenant que de prendre la posture du « sachant » face à des « non-sachant » qui recevront des réponses calibrées à des questions calibrées, au statut de vérité universelle, quelles que soient la qualité du contact qu’il établit avec les élèves ou l’originalité de sa prestation ? Une telle intervention, si on la souhaite dans son établissement, devrait obligatoirement apparaître comme une ressource parmi d’autres, avec des compléments, des moments où l’on reparle de ce qui a été dit, des moments où l’on vérifie, où l’on expérimente autour de cette parole de l’intervenant.

De la même manière, de plus en plus d’éditeurs fabriquent des outils à destination des élèves et de leurs enseignants pour les guider dans la connaissance des risques ainsi que de leurs droits et devoirs sur Internet. Ces fascicules ou animations didactisés sont disponibles en ligne comme par exemple les Mémotice2, ou Internet et moi3 ou encore les superbes animations Vinz et Lou4, etc. Ils constituent des « prêts-à-enseigner » dont l’usage scolaire est à double tranchant. Une ressource documentaire de grande qualité ne remplacera jamais le travail sur la durée au sein de la classe, chaque professeur le sait bien pour tout ce qui relève des contenus traditionnels de sa discipline. Mais dans les domaines des « éducations à… » où les enseignants se sentent mal assurés quant aux savoirs à transmettre, ces « prêts-à-enseigner » risquent de tenir lieu de seul contenu d’enseignement.

Un projet de journal en ligne, un blog de classe, une correspondance scolaire

En revanche, les situations didactiques adaptées, comme une recherche raisonnée sur Internet, un projet de journal en ligne, un blog de classe, une correspondance scolaire, au cours desquelles on n’évacuera pas trop rapidement les questions qui se posent, auront quelques chances d’apporter aux élèves les milieux adaptés pour construire les savoirs dans leur dimension problématique. Il s’agira en effet d’élaborer des réponses à des questions qui se posent vraiment à la classe, en utilisant toutes les ressources possibles, plaquettes éducatives, intervenants extérieurs, ressources en ligne, témoignages, livres et savoirs disciplinaires.

Par exemple, lorsque Christelle Guillot, professeur de français dans un collège de Guérande, propose à ses élèves à la rentrée 2007 d’organiser le travail de la classe autour d’un blog, elle sait qu’elle va rencontrer des situations professionnelles nouvelles liées à la publication en ligne. « En soumettant à la classe et/ou à son enseignante son projet, l’élève doit donc argumenter, prendre des responsabilités vis-à-vis de ce qu’il a produit. Ensuite, il doit accepter la décision de ses pairs et/ou de son enseignante en recevant ou non l’autorisation de diffuser. Le blog devient alors une aventure commune : chacun participe, chacun apporte sa richesse ! »

Mais elle se heurtera aussi, parfois en même temps que ses élèves, à des questions à résoudre sur le droit à l’image, le droit d’auteur, la responsabilité d’un commentaire, les copiés-collés, etc. C’est alors que les ressources diverses, intervenants ou plaquettes, prendront un sens. J’ai plusieurs fois constaté que les seules mises en garde et listes d’interdits diffusées dans les établissements scolaires produisent soit l’ennui, soit le désir de transgresser, voire la peur ou l’effroi des élèves. De ce traitement contre-productif, l’épisode suivant, auquel j’ai moi-même participé en tant qu’intervenante, est une bonne illustration : en mai 2007, dans un collège du Vaucluse, à l’occasion d’une journée d’éducation à la citoyenneté consacrée aux nouveaux médias, des élèves, de la sixième à la troisième, écoutent des intervenants leur commentant les choses à ne pas faire sur Internet, avant de visionner un film sur la cybercriminalité présenté par un gendarme en tenue ; à l’issue de cette journée, les élèves, impressionnés, concluront timidement :

Il faudrait interdire Internet !

Tribune initialement publiée dans les dossiers de l’ingénierie éducative, une publication du Centre national de documentation pédagogique.

Image Flickr PaternitéPas d'utilisation commerciale Daniel*1977 PaternitéPas d'utilisation commerciale JamesCalder et PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Temari 09

Retrouvez les autres articles de notre dossier :

Éducation numérique, ménage des salles, même combat privé

Prévention Internet au lycée : l’imposture

Téléchargez la une de Loguy /-)

  1. Les programmes au collège []
  2. Des 4-pages réalisés par le CRDP de Versailles []
  3. Brochure de 16 pages réalisée par le Forum des droits sur Internet []
  4. Sur le site d’Internet sans crainte []

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés