Politics fiction: qui s’occupera des deux (ou trois) Belgique ?

Le 17 janvier 2011

Si la scission de la Belgique est considérée comme possible, ni les Etats voisins, ni l’UE n’y sont préparés. Wallonie française ? Bruxelles indépendante ? Premier épisode d’une revue des issues possibles.

Beaucoup s’accordent à dire aujourd’hui que la probable scission de la Belgique serait une catastrophe et un échec de la construction européenne. Certes, après le « non » français et hollandais à la constitution de Lisbonne, la volonté des peuples européens de poursuivre l’aventure de leurs gouvernants, vieille de près de 60 ans, était fortement remise en cause. Le colosse aux pieds d’argile a vibré mais reste bien ancré et s’est consolidé fin 2009 avec un nouveau traité donnant plus de droit au Parlement et instituant un Président de l’UE. Aujourd’hui, de nouveaux éléments menacent le devenir de la construction européenne.

A l’heure de la globalisation et de cette « super Union » qui lie les pays dans un marché commun à grande échelle, nous prenons peu à peu conscience que les régionalismes s’exacerbent au niveau local, menaçant le postulat de base de la construction européenne : faire la paix en Europe et compter sur le fait que l’on est plus fort ensemble. Le cas belge en est la parfaite illustration : deux peuples se déchirent et ne semblent avoir aujourd’hui en commun que leur Roi.

La scission d’un Etat membre, une hypothèse absente des traités

Le Belgique se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. Pays fondateur des Communautés européennes, venant tout juste de conclure la présidence tournante de l’Union, il perturbe la construction européenne par les menaces de scission des Flamands et Wallons. Il est d’ailleurs particulièrement symbolique qu’une éventuelle scission d’un pays européen se déroule justement dans celui où se trouvent les institutions européennes, symboles de paix et de construction d’un avenir commun.

Il y a quelque chose de paradoxal : d’un côté on veut construire la paix en unissant les peuples via des institutions communes donnant des droits nouveaux aux citoyens européens. De l’autre, à l’échelle locale, on s’aperçoit que les nationalismes s’exacerbent, et que l’on ne souhaite plus partager un héritage avec son voisin pour des raisons linguistiques, culturelles et/ou économiques. La solidarité européenne ne vaut peut-être plus à l’échelle locale.

Alors que les Allemands se sont réunifiés il y a 20 ans, les Flamands souhaitent aujourd’hui se séparer des Wallons.
Deux nouveaux pays provenant de la scission d’un autre seraient-ils automatiquement intégrés à l’Union Européenne ou bien faut-il revoter leur adhésion via un accord de l’ensemble des autres partenaires Européen ? Que disent les traités européens sur le sujet ? Question complexe que les traités ne prennent pas en compte.

Aussi, en cas de scission, que deviendrait l’héritage de la Belgique ? Comment flamands et wallons se partageraient-ils le patrimoine commun…et les dettes ?

Ce genre de problèmes juridiques est normalement géré via la Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités, rapport « onusien » de 1978 et entré en vigueur en 1996. Ce document règle la succession des Etats. Or, la Belgique n’a pas signé ce traité. L’héritage de la séparation risquerait d’être aussi douloureux sinon plus que la séparation elle-même. En cas de divorce, la situation pourrait s’apparenter à un couple qui n’arrive pas à se séparer dans un premier temps, puis, lorsqu’il se décide enfin à officialiser cette séparation, continue de se déchirer pour régler la séparation des biens. Il serait donc urgent d’y réfléchir au plus vite afin d’éviter une situation politique et juridique complexe et inédite.

La Wallonie française : bon deal diplomatique pour Paris mais gros poids économique
Certains disent déjà que la Wallonie demanderait son rattachement à la France. Il est bien difficile de prédire la réaction d’une Wallonie indépendante comme d’un gouvernement français futur sur le sujet. Toutefois, en termes d’intérêts stratégiques et politiques, quelques données peuvent être introduites. Au premier abord, il pourrait être intéressant pour un pays comme la France de voir sa sphère d’influence politique, géographique et économique s’agrandir face à l’Allemagne disposant de 20 millions d’habitants supplémentaires.

Cela signifierait aussi une influence plus grande au sein des institutions européennes via un nombre de députés et diplomates plus important notamment. Toutefois, en termes économiques, le bas blesse. La Wallonie est connue pour son manque d’industrialisation, son chômage (15,4 % en aout 2010 alors que la Flandre est proche de 7 %) et son endettement (entre 4 et 11 milliards d’euros selon les chiffres, la Flandre ayant presque épuré la sienne). Quel gouvernement français aurait intérêt à rajouter un poids supplémentaire aux déficits déjà abyssaux alors que la crise économique hypothèque l’avenir de toute une population ?

De plus, revendiquer la Wallonie éveillerait probablement l’opposition de l’Allemagne dont ce n’est pas l’intérêt premier. La France deviendrait en effet plus influente.

Bruxelles, région capitale des convoitises

La région de Bruxelles, territoire principalement francophone immergée en Flandre, fait l’objet d’appétit commun des flamands et wallons (francophones), et pour cause. Avec 19 communes et environ 1 millions d’habitants (soit 10 % de la population), la ville de Bruxelles, capitale de la Flandre, reste un symbole en raison de son dynamisme économique – il s’agit de la 3ème région la plus riche d’Europe – et de sa connotation internationale très forte.

En effet, plus de 120 grandes institutions internationales y ont leur siège : l’OTAN avec 4.000 personnes, Eurocontrol (2.000 personnes), l’Organisation de l’Unité Africaine, l’Organisation Mondiale des Douanes, l’Assemblée des Régions d’Europe), la Fondation Européenne pour le Management par la Qualité, etc. ou une représentation : l’ONU, avec l’UNESCO, l’UNHCR, l’UNICEF, le PNUD ; l’OMS, le BIT, la Banque Mondiale, la Conseil de l’Europe, l’Organisation Internationale pour les Migrations.

Ce sont au final environ 120 organisations internationales gouvernementales, 1.400 organisations internationales non gouvernementales, 186 ambassades et de nombreuses délégations et représentations diplomatiques au sein d’autres institutions comptant près de 5.000 diplomates et faisant de Bruxelles-Capitale la première place diplomatique au monde. Près de 30% des habitants sont étrangers, et 47% d’origine étrangère. Parmi ces derniers, 55% sont européens (170.000 personnes dont près de 50.000 français qui constituent le groupe le plus important).

C’est également la ville au monde où les lobbies industriels seraient les plus présents après Washington : entre 15.000 et 20.000 personnes dont 5.000 au Parlement Européen. Près de 70% d’entre eux servent les intérêts des entreprises, 20% ceux des régions, villes et institutions internationales et 10% ceux des ONG déversant chaque année près de 750 milliards d’euros dans le monde.

La rue de la Loi, à Bruxelles : à gauche, le siège du Conseil européen, et à droite, le siège de la Commission européenne.

Bruxelles est aussi une place financière importante puisqu’elle est quatrième au niveau européen où près de 16.000 colloques d’affaires se tiennent chaque année, classant la ville à la 3ème place mondiale. Enfin, c’est le siège de la Commission européenne et du Conseil de l’Union. Le Parlement européen où siègent les représentants de tous les peuples européens s’y réunit trois semaines sur quatre. Au total à Bruxelles, près de 30% de l’espace de bureaux disponibles est occupé par des acteurs européens, dont la moitié par les institutions européennes et les organes consultatifs associés.
La présence des institutions européennes engendre près de 13% du PNB et des emplois directs et indirects de Bruxelles-capitale avec près de 30.000 fonctionnaires de la Commission, 3.000 fonctionnaires de Parlement auxquels s’ajoutent 3.000 assistants parlementaires embauchés par 785 députés, 3.500 personnes pour le Conseil de l’Union Européenne et près de 1.500 pour le Comité des Régions et le Comité Economique et Social Européen. Soit au total plus de 40.000 emplois directs. Aussi, jusqu’à 2.000 journalistes sont accrédités au sein des institutions.

Au vu de ce contexte économique, institutionnel et international aux enjeux stratégiques très importants, il est clair que Bruxelles et sa région demeurent un problème supplémentaire et de taille en vue de la séparation car elle cristallise les divergences des Flamands et Wallons.

Le Roi et le peuple, les deux grands perdants

Dans le cas d’une scission, que deviendrait le Roi, peut-être un des derniers dénominateurs communs des Wallons et Flamands ? Celui qui porte par le bout des doigts la stabilité de la Belgique depuis de nombreux mois pourrait bien être le grand perdant d’une scission belge. Les monarchies sont de véritables vecteurs de stabilité d’un pays et de son peuple car elles représentent le référent vers lequel le peuple peut s’adresser et avoir confiance en dernier recours.

Le Roi est donc vecteur de stabilité et de paix et sur le long terme – même si ses pouvoirs sont d’ordre symbolique, ce que ne possède pas un système Républicain qui connait des changements politiques sans « référent suprême » durable. La scission belge aurait certainement pour conséquence a minimal’affaiblissement du système monarchique tout entier, voir l’éviction totale du Roi des Belges. Sa chute représenterait un message fort à toutes les monarchies de la planète, et il est difficile de présumer des effets qu’aurait un tel événement à court ou long terme. Quoi qu’il en soit, le système monarchique en ressortirait affaibli.

Quoi qu’il arrive, la population serait la première concernée par une scission. Source de craintes et de peurs pour le futur, une scission trop rapide et donc traumatisante pourrait avoir des conséquences terribles pour le peuple et la stabilité régionale et Européenne.

Toutefois, même s’il faut laisser la possibilité aux peuples de décider de leur autodétermination et de construire leur propre histoire, ils ne peuvent ignorer leurs voisins souvent inquiets des risques associés à une telle séparation. En tant que peuple fondateur de l’Union européenne, les Belges doivent aussi être attentifs aux craintes de leurs partenaires européens vis-à-vis de leur stabilité nationale (qu’en diraient les Catalans, Basques, Corses ou autres régionalismes européens et internationaux ?) et également de la construction européenne. Il est de leur responsabilité de rassurer la communauté européenne et internationale en créant, en amont, des conditions de séparation pacifique au cas où la séparation deviendrait réalité.


Billet initialement publié sur Le Taurillon sous le titre Quel rôle pour l’UE en cas de scission de la Belgique ? 1/2.

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FlickR CC Fr Leslie Sachs ; Anton Raath ; Kristof van Landshoot ; Bruno Desclee.

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